La Turquie embourbée dans la crise syrienne

Mis en ligne le 27 Sep 2018

Geostrategia - La Turquie embourbée dans la crise syrienne

Cet article éclaire d’une mise en perspective historique la rupture intervenue entre la Turquie et la Syrie en 2011. Cet éclairage est le prélude d’une analyse de la position turque dans le conflit syrien et des enjeux comme des tensions internes et externes engendrés, en particulier sur la question kurde.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : Tigrane Yégavian , « La Turquie embourbée dans la crise syrienne », Les Cahiers de l’Orient n°131, Eté 2018.

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site Les Cahiers de l’Orient.


911 kilomètres de frontières communes fixées par les autorités mandataires français et le pouvoir kémaliste et presque autant de sujets de litige témoignent de l’importance du poids du passé. Ancienne province ottomane, le Bilad al Cham, qui englobe le Liban, la Palestine historique, la Jordanie et la Syrie actuels, occupe une place à part dans les mémoires syrienne et turque, qu’elles soient ou non nostalgiques de l’Empire ottoman. Âprement soutenue par le peuple arabe syrien, la grande révolte de 1916 contre la domination ottomane demeure encore aujourd’hui considérée par les Turcs comme un « coup de poignard dans le dos ». Alors que le nouveau pouvoir kémaliste ordonnait un grand coup de barre vers l’ouest et la civilisation occidentale, les Turcs semblaient avoir définitivement tourné le dos à leurs anciens « sujets » arabes, pour lesquels ils ne cachaient pas leur condescendance. En cela, la Syrie s’est retrouvée limitrophe du réduit anatolien sur lequel Mustafa Kemal a sanctuarisé la nouvelle nation turque, faisant table rase du passé et de l’humiliant traité de Sèvres (1920). Artificielle, la frontière s’affirme avec le traité de Lausanne (1923) qui, bien que fortement avantageux pour la Turquie, ne règle pas tous les contentieux avec la Syrie passée sous mandat français.

C’est le cas du sandjak d’Alexandrette. Jouxtant le golfe éponyme, cette province à majorité arabe syrienne est revendiquée par Ankara qui l’inclut dans les frontières du MisakiMilli, le Pacte national qui fixait les frontières ottomanes après l’armistice de 1918. Particulièrement insistante sur ce point, la Turquie a pour elle la faveur de l’atmosphère de l’entre-deux-guerres, où elle entretient de bonnes relations avec l’Allemagne, pour convaincre la France de lui céder cette province. Ce sera le cas en 1939, provoquant ainsi l’exil de dizaines de milliers d’Arméniens [1]. Les conséquences sont désastreuses pour Alep qui perd son débouché maritime tandis que les nationalistes syriens ne se remettront pas de cette amputation. Depuis lors, Damas n’a jamais reconnu l’annexion du sandjak, comme l’attestent les cartes officielles. Plus significatif est le rôle déterminant joué par des figures du nationalisme arabo-syrien originaires du sandjak d’Alexandrette, la plupart alaouites, à l’instar de Zaki Al Arzouzi, l’un des principaux fondateurs du parti Baas [2].

C’est dans ce contexte de consolidation de deux récits nationaux antagonistes que les deux voisins évoluent dans un climat de tension palpable. Au lendemain de la défaite de 1948 contre la jeune armée israélienne, la Syrie se rapproche du bloc de l’Est et adhèrera plus tard au front du refus contre Israël, tandis que la Turquie, membre de l’OTAN, est le premier pays musulman à reconnaître l’État hébreu. Et lorsque la Syrie du président Choukri Al Kouatli signe dans la précipitation la fusion avec l’Égypte nassérienne en 1958, créant la République arabe unie, elle le fait sous la menace d’une invasion turque – membre pivot de l’OTAN –, sous l’injonction des États-Unis, ces derniers craignant qu’un coup d’État à Damas ne fasse tomber la Syrie dans l’escarcelle communiste.

L’escalade

Au milieu des années 1990, l’épineuse question du partage des eaux du Tigre et de l’Euphrate envenime les relations bilatérales. Le projet d’aménagement pour le sud-est anatolien (GAP), censé aboutir à la construction de vingt-deux barrages de retenue disséminés sur les fleuves mésopotamiens et leurs affluents, entraîne des répercussions sévères en Syrie. À cela s’ajoute le pacte de défense tripartite noué en 1996 entre Israël, la Turquie et les États-Unis. La tension monte d’un cran lorsqu’Ankara fait pression pour que Damas abandonne son appui au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Jusque-là, les services secrets syriens ne ménageaient pas leur soutien logistique à la guérilla kurde ainsi qu’à l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA), dont les combattants étaient entraînés dans la plaine libanaise de la Bekaa, alors sous contrôle syrien, tandis que le fondateur et dirigeant du PKK kurde turc Abdullah Öcalan avait élu domicile à Damas. En 1998, les bruits de bottes se font entendre et l’armée turque se déploie sur des positions à la frontière, provisoirement fermée. Désireux de desserrer l’étreinte américano-israélienne, le président Hafez Al Assad cède au chantage turc, extrade son protégé kurde et rompt son soutien au PKK. La guerre est évitée de justesse.

Une lune de miel de circonstance

Les accords d’Adana, conclus en octobre de la même année, scellent le dégel et un retour progressif à la confiance. En échange du « lâchage » par Damas de militants du PKK, la Turquie rouvre les vannes de l’Euphrate. La coopération sécuritaire s’intensifie, tout comme les visites d’officiels ou de hauts responsables de l’armée et des services de renseignements. Désormais, l’heure n’est plus à la confrontation mais à la détente, au renforcement de la coopération bilatérale et antiterroriste. Exit le PKK de Syrie : les points de vue d’Ankara et de Damas convergent sur la question kurde au plan régional. La présence du président turc Ahmet Necdet Sezer à la cérémonie d’enterrement de Hafez Al Assad en juin 2000 confirme le dégel des relations politiques entre les deux pays. Mais c’est surtout l’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, en successeur de son père, et de l’AKP à Ankara deux ans plus tard, qui semble sceller définitivement la réconciliation syro-turque. Dans ce nouveau contexte, la Syrie tire profit du « zéro problème avec les voisins », formule élaborée par un futur conseiller du Premier ministre Recep T. Erdogan qui marquera pendant plus d’une décennie la nouvelle politique étrangère de l’État turc.

Publié en 2001, « La Profondeur stratégique » (Strategik Derinlik) d’Ahmet Davutoğlu fait l’effet d’un choc psychothérapique. Pour la première fois, un proche du pouvoir oppose huit siècles de grandeur impériale à quatre-vingts ans d’atrophie républicaine. Si cette réappropriation partielle de l’héritage ottoman est perçue comme un fantasme, il n’empêche que la société turque est majoritairement séduite par l’islamo-conservatisme de l’AKP, lequel renoue avec la longue mémoire nationale. « La réappropriation du passé ottoman est une psychothérapie », note le spécialiste de la Turquie contemporaine, Tancrède Josseran [3], lequel perçoit dans le livre-programme de l’ancien chef de la diplomatie (20092014) et Premier ministre turc (2014-2016) une solution à la lancinante question kurde puisqu’en « se déplaçant du passé vers l’avenir à l’aide de la grammaire civilisationnelle ottomane, la Turquie panse ses plaies et réintègre son environnement régional » [4]. Dans ce grand dessein, l’isolationnisme kémaliste n’a plus de place. L’alliance stratégique avec Israël est qualifiée de « contre-nature ». Ankara doit regagner une profondeur stratégique naturelle, sorte d’espace de déploiement de la puissance incarné par l’arc islamique du Maroc à l’Indonésie. La dynamique de confessionnalisation du pouvoir est en marche ; elle se traduit notamment par la valorisation du prisme sunnite dans les relations turco-arabes, confirmées par la solidité de l’axe géostratégique Ankara-Riyad-Doha.

En ce qui concerne le rapprochement syro-turc, les affinités personnelles entre Bachar Al Assad et Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre, sont pour beaucoup dans le réchauffement des relations bilatérales. Le niveau de la coopération s’étend et se renforce dans tous les domaines : économique, politique, stratégique et même militaire. De son côté, le jeune président syrien, qui entend dépoussiérer un appareil économique frappé d’obsolescence, fait appel à des conseillers turcs qui concoctent le projet de la nouvelle bourse de Damas et préparent le terrain à la privatisation du secteur bancaire. En 2003, la Syrie réagit positivement à l’annonce du Parlement turc d’interdire le survol de son espace aérien par l’armée d’invasion américano-britannique sur l’Irak et les deux pays signent en décembre 2004 un accord de libre échange qui débouche sur une reconnaissance commune des frontières. Signe de bonne volonté de la part de Damas, la question épineuse du sandjak d’Alexandrette est mise au placard. Parallèlement, les militaires syriens et turcs conduisent des opérations conjointes de déminage le long de la frontière [5]. Il faudra attendre 2009 pour que le régime des visas soit supprimé pour les ressortissants des deux pays. Ainsi le commerce turco-syrien, qui était en 2000 de l’ordre de 720 millions de dollars, atteint-il sept ans plus tard une valeur d’1,174 milliards de dollars. Dans la foulée, les produits turcs de consommation inondent le marché syrien et le Premier ministre Erdoğan invite celui qu’il nomme « son petit frère » Bachar à passer des vacances en famille, l’occasion pour la presse people de faire ses choux gras sur la proximité qui lie leurs épouses respectives.

Au niveau régional, Ankara donne une réponse favorable à la proposition de Damas de jouer les bons offices avec TelAviv dans le cadre de pourparlers indirects visant au retour du Golan occupé dans le giron de la mère patrie. Cette médiation est d’autant plus appréciée qu’elle permet de sortir partiellement de l’isolement international dont pâtit la Syrie au lendemain de l’assassinat du Premier ministre libanais Rafik Hariri en 2005. Au-delà de l’affect, ce rapprochement s’avère gagnant pour Damas, qui avait perdu le marché irakien après l’invasion de 2003 – et souffert de la fermeture du pipeline de Kirkouk-Banyas – ainsi que ses revenus en provenance de l’Occident suite à l’embargo américain. Au surplus, la Syrie s’étant vu privée du flux de capitaux en provenance du Golfe dans la foulée de l’assassinat de Hariri, sa survie économique dépendait encore plus fortement du capital iranien. Souffrant d’une balance commerciale négative à partir de 2007, le pays fait face à une forte croissance démographique, tout en accusant des ressources pétrolières déclinantes, d’où la nécessité de trouver de nouveaux produits d’exportation remplaçant le pétrole. Du 6 au 8 janvier 2004, Bachar Al Assad est le premier Président syrien à se rendre en visite officielle en Turquie. Mal perçue par l’administration Bush, cette visite témoigne d’une défiance turque à l’égard de la politique du « regime change » prônée par Washington.

Une rupture graduelle

Lorsque la crise éclate en Syrie en mars 2011, Ankara opte tout d’abord pour la prudence, tentant une médiation, par crainte de remettre en question de fragiles équilibres régionaux. Dès les premiers mois de la révolte, la Turquie fait l’impossible pour éviter la rupture avec la Syrie. Il s’agit surtout de sécuriser sa frontière, de sauvegarder ses intérêts commerciaux et économiques et de contenir la question kurde. Signe fort, entre mars et août 2011, Ahmet Davutoğlu se rend à dix-neuf reprises à Damas. Au cours de ces entretiens, le ministre des Affaires étrangères tente de convaincre le président Assad de procéder à des réformes et d’accepter de former un nouveau gouvernement comprenant des ministres Frères musulmans. Mais les premiers afflux de réfugiés à la frontière turque et la certitude d’une chute imminente du pouvoir syrien le font revenir sur la question.

La Turquie ferme donc son ambassade à Damas le 26 mars et accueille le 1er avril la première rencontre dite des « Amis de la Syrie ». En juin, l’opposition syrienne de l’extérieur, dont une partie est investie en sous-main par les Frères musulmans, se retrouve à Antalya. Face à ce que Damas considère comme une ingérence dans les affaires internes syriennes, la rupture est finalement consommée. En août 2011, lorsque l’armée syrienne intervient violemment à Hama et Lattaquié, provoquant la mort de centaines de civils [6], Erdoğan compare le traitement des manifestants au massacre de Halabja (mars 1988) provoqué par Saddam Hussein contre les Kurdes. Ces propos sont été très mal reçus en Syrie. Bachar Al Assad dénonce l’ingérence dans les affaires intérieures du pays et refuse de fléchir aux injonctions turques. Ce camouflet sera vécu par Erdoğan comme une humiliation. En phase avec ses alliés occidentaux, le Premier ministre turc se range manu militari du côté de l’opposition syrienne. Convaincu que la révolution syrienne décapitera la dictature, il déclare dès 2012 son intention d’aller prier à la mosquée des Omeyyades à Damas. Si la charge affective et les raisons personnelles jouent un rôle dans cette prise de décision, d’autres facteurs rentrent en jeu. Aux yeux du dirigeant turc, la révolte syrienne ne serait qu’un maillon parmi d’autres dans la chaîne des soulèvements populaires qui essaiment dans le monde arabe. Il est persuadé qu’à l’image de la Tunisie, de la Libye et de l’Égypte, le pouvoir syrien tombera comme un fruit mûr sous la pression de la rue.

La Turquie, base arrière des jihadistes

En exil depuis la sanglante répression de la révolte de Hama en 1982, les Frères musulmans syriens ont, dès les prémices de la crise syrienne, joué un rôle aussi efficace que discret auprès de leurs parrains régionaux que sont le Qatar et la Turquie. Ils ont su habilement noyauter une bonne partie de l’opposition de l’extérieur tout en nouant des contacts étroits avec les décideurs turcs [7]. C’est notamment le cas de l’homme d’affaires syrien Gazi Al Masri (Gazi Misirli) : natif d’Alep, établi en Turquie dans les années 1980 et naturalisé depuis, ce frère musulman membre du Müsiad, le tout puissant syndicat des patrons turcs musulmans et de la Federation of Islamic Organizations in Europe (FIOE), est un proche de l’AKP [8]. Il est rejoint dans son travail de médiation par Mohammed Farouk Tayfour, vice-président de la branche syrienne des Frères musulmans, et par l’ancien secrétaire général des Frères musulmans syriens Ali Sadreddine Al Bayanouni, ce dernier étant opposé à la militarisation de l’opposition.

Parallèlement, le 29 juillet 2011, le colonel déserteur de l’armée arabe syrienne, Riad Al Asaad annonce la formation de l’armée syrienne libre (ASL). Pour la première fois dans son histoire, la Turquie autorise des groupes armés étrangers à opérer sur son sol. Un camp d’entraînement de l’ASL est installé à la mi-décembre 2011 dans le sandjak d’Alexandrette et opère en étroite coordination avec les forces turques. Le 15 septembre 2011, le Conseil national syrien (CNS) est créé à Istanbul. Nombreux sont les délégués politiques issus de la diaspora, dont la plupart n’ont pas mis les pieds en Syrie depuis des décennies. Mais derrière la coordination avec l’ASL, Ankara ne ménage pas son appui logistique à ses autres « partenaires » salafistes et salafo-jihadistes, regroupés dans des coalitions hétéroclites et lâches (Front islamique syrien et Front islamique de libération syrien, actifs entre 2012 et 2013). Dès lors, les candidats au jihad en provenance d’Asie Centrale, du Caucase, du Maghreb et d’Europe affluent sur son territoire sans être inquiétés. En mars 2015, Ankara coparraine avec ses alliés séoudiens et qatariens l’Armée de la conquête (Jaïch al-Fath), laquelle regroupe dans ses rangs la branche syrienne d’al-Qaïda (Jabhat al Nosra), ainsi que les groupes Ahrar ach Cham, Jaïch al Islam, etc. Officiellement, cette coalition combat à la fois Daech et l’armée loyaliste. Toujours est-il que, lors de la conquête d’une grande partie de l’est syrien par les fidèles du calife auto-proclamé Al Baghdadi, la Turquie maintient pendant un temps l’ambiguïté dans sa relation avec les jihadistes de l’EI, dont elle achète le pétrole, soigne les combattants dans ses hôpitaux et ferme les yeux sur les activités de renseignement et de recrutement sur son propre territoire [9].

Non contente de plaider lors de diverses conférences internationales en faveur de groupes jihadistes radicaux inscrits sur les listes des organisations terroristes, la Turquie prend une part de plus en plus directe au conflit. À partir de 2013, l’implication d’Ankara aux côtés des jihadistes en Syrie, notamment de l’organisation État islamique, est constatée par tous les services de renseignement des pays occidentaux. Ces derniers s’inquiètent des milliers de combattants transitant sur une partie du territoire frontalier turc et originaires d’Europe, du Maghreb, du Caucase, d’Asie centrale, du Pakistan et même d’Inde ou de Chine… De fait, la présence de forces turques aux côtés des jihadistes de l’EI est signalée en plusieurs lieux du nord syrien, notamment à Solipkaran, à huit kilomètres de Tell Abyad, où elles les épaulent face aux combattants kurdes du PYD (parti de l’Union démocratique) kurde syrien. En outre, des blindés turcs franchissent régulièrement la frontière turco-syrienne, notamment pour prêter main-forte aux jihadistes assiégeant Jiimayé-Almalik (à vingt kilomètres de Tell Abyad) face au PYD. C’est aussi le cas pour des sections d’élite turques qui supervisent des attaques de Daech contre le village de Khan al-Jaradé, faits confirmés non seulement par le régime syrien mais aussi par certaines sources de l’opposition syrienne, notamment l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) [10]. Pendant cinq ans, les services secrets turcs (MIT) ont assuré la liaison politique et logistique avec les opposants, fournissant eux-mêmes armes et munitions aux rebelles salafistes. Pour décrypter la nature de cette relation, il faut comprendre que, vu d’Ankara, Daech résulte davantage de l’arbitraire du régime d’Assad que l’incarnation d’une menace réelle [11].

Changement de cap

Cet engagement tous azimuts pour imposer à Damas un nouveau pouvoir à prédominance frériste musulman n’est pas dénué d’arrière-pensée. Le pouvoir turc mise rapidement sur la confessionnalisation du conflit en soutenant l’installation d’un régime inféodé à Ankara. Pour ce faire, tous les moyens sont bons. Selon le célèbre journaliste d’investigation américain Seymour Hersh, le MIT avait en août 2013 introduit des armes chimiques utilisées dans la Ghouta à proximité de Damas [12]. En mai de la même année, des combattants du Front al-Nosra étaient arrêtés en Turquie en possession de gaz sarin avant d’être libérés sans poursuites. On se souvient également de la bande d’enregistrement audio mise en ligne sur YouTube le 27 mars 2014 [13], et dans laquelle le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ahmet Davutoğlu, et le chef du MIT, Hakan Fidan, s’entretiennent sur la possibilité d’organiser une attaque de l’intérieur de la Syrie à la frontière, ou contre le tombeau de Suleiman Chah [14] grand père de Osman Ier, fondateur de la dynastie ottomane. L’état-major turc a, il est vrai, planifié à maintes reprises des plans d’invasion en Syrie, mais le premier objectif demeure inchangé : établir une zone tampon d’exclusion aérienne au nord de la Syrie d’une longueur de 110 km sur 33 km de large afin de neutraliser le PYD, « franchise » syrienne du PKK, de prévenir à tout prix la jonction des trois cantons kurdes de Qamichli, Tel Abyad et Afrine et de contenir les flux de réfugiés. [15]

C’est du reste en prenant prétexte de la lutte officielle contre l’EI que l’armée turque a lancé le 24 août 2016 « Bouclier de l’Euphrate », la première opération extérieure depuis l’invasion de Chypre en 1974. Baptisée « Rameau d’olivier », la dernière offensive turque amorcée le 20 janvier 2018 contre les positions du PYD dans le canton d’Afrine n’a de pacifique que le nom. Bien que jouissant d’une opinion positive en Turquie, l’armée d’Ankara et ses alliés de l’ASL ont quasiment atteint leur but au bout de deux mois d’âpres combats. Jusque là, ce canton kurde isolé au nord-ouest d’Alep avait été relativement épargné par les combats, accueillant une population hétéroclite de 300 000 réfugiés (Arabes, Turkmènes, Yézidis…). Contrairement à l’opération précédente, qui avait vu l’armée turque et ses alliés rebelles syriens accueillis dans la ville d’Azaz en libérateurs, cette campagne militaire s’annonce longue et hautement périlleuse pour la Turquie. Alors que cette dernière entendait se débarrasser du plus vulnérable des cantons kurdes à ses frontières, la bataille d’Afrine a permis, pour la première fois depuis 2012, le redéploiement sur place des troupes loyalistes syriennes et de leurs alliés. Cette alliance tactique entre Damas et les unités combattantes du PYD prend son sens dans la mesure où le pouvoir syrien n’a pas renoncé à recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national.

Des pillages systématiques

Si Ankara rappelle à l’envi à ses partenaires européens que la Turquie héberge et garantit des conditions de vie décentes à près de trois millions de réfugiés syriens, en faisant ainsi leur première destination à l’étranger, cette aide n’a jamais été totalement désintéressée. Il a été avéré que des officiels turcs ont joué un rôle actif dans le pillage systématique d’usines et de biens divers dans le nord de la Syrie. Dans un entretien au quotidien libanais francophone L’Orient-Le Jour, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Syrie, Farès Al Chehabi, lui-même originaire d’Alep, évoquait outre la destruction de centaines de manufactures et de magasins, de quelle façon des experts turcs ont aidé les rebelles, facilitant le désassemblage des machines et le transfert de leur butin vers Gaziantep et Adana. Ce sont plus de 5 000 plaintes de vols émanant d’industriels qui ont été recueillies ; les butins transitaient sans être inquiétés, sous escorte de la police turque, une fois franchis les postes-frontières. À ce jour, Al Chehabi a déposé deux plaintes contre le gouvernement turc au tribunaux de La Haye et de Strasbourg [16]. À ces spoliations des usines de la région d’Alep, principal pôle économique syrien, viennent se greffer les gains que perçoivent les Turcs dans le trafic des antiquités. Selon Maamoun Abdulkarim, le responsable des antiquités syriennes, près de 2 000 pièces pillées dans le site de Palmyre se trouveraient en Turquie [17].

Des minorités instrumentalisées

Si la Turquie a encouragé la tournure confessionnelle du conflit syrien, cette puissance régionale n’est pas immunisée contre les risques de contagion. C’est du moins l’interprétation confessionnelle faite par le parti kémaliste Cumhuriyet Halk Partisi (CHP) très critique envers la politique syrienne d’Erdoğan et effrayé par la hantise d’un débordement du conflit en Turquie. Le principal parti d’opposition a de fait maintenu des relations suivies avec Damas en envoyant régulièrement des députés auprès de Bachar Al Assad. Traditionnellement, le CHP s’appuie sur le vote des alévis, lesquels sont soucieux de la défense de la laïcité. Il compte notamment dans ses rangs des responsables alaouites du sandjak d’Alexandrette, cette minorité arabophone – à ne pas confondre avec les alévis – qui s’est retrouvée en territoire turc au lendemain de la cessation du sandjak et a tôt fait de se positionner en médiatrice entre la Syrie et la Turquie, pratiquant une diplomatie de la résilience [18]. Les alaouites de Turquie ont, dès les prémices de la guerre civile, adopté une posture défensive, se rangeant inconditionnellement aux côtés du camp loyaliste en Syrie. Animés par la crainte de voir des réfugiés sunnites affluer vers leur région frontalière, ils ne s’estiment pas à l’abri de représailles ni d’un regain de tensions confessionnelles. Cette hantise s’explique entre autres par l’installation de plusieurs milliers de Ouighours originaires du Turkestan chinois, à la fois dans la région d’Idlib (Jisr al Shughur) et en Turquie voisine, où les militants du parti islamique du Turkestan combattent aux côtés de jihadistes caucasiens. L’autre sujet d’inquiétude est la concentration dans leur région de brigades salafistes qui jouissent de bonnes relations avec Ankara, à l’instar de Jaïch al-Islam, commandée par Zahran Alloush, d’Ahrar al-Cham ou encore de groupes moins importants et moins bien structurés, comme les Brigades du front national des Turkmènes de Syrie [19].

Éparpillée dans les principaux pôles urbains du pays, cette minorité turcophone implantée depuis les invasions seldjoukides servait naguère de relais du pouvoir ottoman pour contenir le nationalisme arabe. Si, à la différence des druzes et des alaouites, les Turkmènes ne disposent pas de « repli stratégique », il existe des villages turkmènes dans les régions d’Alep, Tartous, Lattaquié (Bayirbucak), Idlib, Homs, mais aussi de Raqqa, Damas et Deraa. Bien qu’ils n’aient pas immédiatement rejoint l’opposition armée, c’est la rupture entre Damas et Ankara en 2012 qui les a jetés dans les bras de la rébellion. Démunis de toute expérience militaire contrairement aux Kurdes syriens, les Turkmènes ont d’emblée bénéficié d’un soutien actif et régulier du pouvoir turc. À l’aide humanitaire et financière s’est ajouté un soutien logistique et militaire, mis en place via l’envoi d’agents des services secrets du MIT, de formateurs des forces spéciales turques (Özel Kuvvetler Komutanlığı) mais aussi de volontaires issus des rangs de l’extrême droite ultra nationaliste. Outre la solidarité organique panturquiste, Ankara poursuit plusieurs objectifs en Syrie. En armant les combattants turkmènes, la Turquie entend faire d’une pierre deux coups : contenir les unités de protection populaire kurdes (PYD) à ses frontières, morceler la société syrienne et accélérer la chute du président Assad. Pour ce faire, les services secrets turcs ont facilité la mise en place d’une coordination étroite entre les groupes salafistes issus de l’armée de la conquête ( Jaïch al Fatah), les restes de l’Armée syrienne libre (ASL) et les brigades turkmènes. Lors de la conférence d’Antalya en 2011, les Turkmènes de Syrie se sont vu faciliter l’accès à « l’opposition offshore » en adhérant au Conseil national syrien (18 sièges sur 400) et à la Coalition nationale syrienne (4 sièges sur quelque 115).

Grâce à la médiatisation de leur cause, les Turkmènes jouissent depuis quelques années d’un fort capital de sympathie dans les rangs de l’extrême droite turque, qui a intégré cette minorité dans son récit. Les Turkmènes seraient ainsi à l’avant-poste de la « turcité » au même titre que les Turcs de Bulgarie, de Chypre et de Thrace occidentale. Sur le plan interne, les Turkmènes de Syrie ont créé sur le sol turc plusieurs partis et mouvements politiques, comme l’Union des Turkmènes de Syrie, fondée en 2011 par 180 d’entre eux établis en Turquie de longue date, et dont la plupart sont originaires de Bayırbucak. En mars 2012, leurs deux principaux partis ont vu le jour en Turquie : le Mouvement des Turkmènes syriens et le Bloc turkmène de Syrie, tous deux financés par Ankara. Très actif dans la région d’Alep, le Mouvement démocratique turkmène de Syrie coordonne l’aide logistique et arme les brigades dans les villages du nord syrien, tandis que le bloc turkmène concentre ses activités à Bayırbucak et dispose de bureaux de liaison dans des villes turques proches de la frontière syrienne (Yayladağı, Akçakale, Gaziantep). La coordination avec le gouvernement et les diverses structures politiques turques s’effectue via une plateforme qui travaille sous la tutelle du ministère turc des Affaires étrangères. Un pas supplémentaire est franchi le 15 décembre 2012 lorsque le président du Parlement turc, Cemil Cicek, et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, assistent à Istanbul à un congrès fondateur turkmène. En mars 2013, l’Assemblée des Turkmènes de Syrie (350 délégués) – reconnue par le Parlement turc comme instance représentative des Turkmènes – voit le jour en présence de Davutoğlu et du Premier ministre d’alors, Recep Tayyip Erdogan. Cette assemblée est présidée depuis le 11 mars 2014 par Abdurrahman Mustafa, un homme d’affaires turkmène né à Alep et proche de l’AKP.

Fort de ce soutien, le lobby turkmène de Syrie peut aussi compter sur d’autres parrains, comme l’ONG islamiste Mazloum Deir, qui avait financé la tenue du congrès inaugural de décembre 2012. Selon la BBC, les différentes brigades turkmènes de Syrie rassemblent environ 10 000 combattants sur plusieurs fronts (Alep, Homs, Idlib, Damas et surtout Lattaquié). Leurs noms ne semblent pas avoir été choisis au hasard : Abdülhamid I, Fatih Torunlari ou Sultan Mourat, des sultans ottomans connus pour leur cruauté et les massacres qu’ils ont commis contre les minorités chrétiennes de l’Empire. Ces brigades (celle du Jabal al-Turkman, formée en 2013, comprend douze unités) luttent avec ce qu’il reste de l’ASL dans plusieurs zones de conflit, notamment à Idlib, Alep, dans la région de Lattaquié mais aussi dans la franchise syrienne d’al-Qaïda (le Front al-Nosra) et d’autres mouvements salafistes armés. C’est d’ailleurs depuis les hauteurs du jebel [montagne] turkmène que des roquettes sont régulièrement tirées sur Lattaquié. Plus récemment, en mai 2015, la presse d’opposition kémaliste avait relayé dans ses colonnes l’information selon laquelle des camions contenant des armes avaient été livrés aux combattants jihadistes. Leur emboîtant le pas, le Premier ministre Ahmet Davutoglu évoquait une « aide humanitaire destinée aux Turkmènes ».

Considérant l’Euphrate comme une ligne rouge, la Turquie craint que toute la zone frontière ne passe aux mains des Kurdes et des forces loyalistes syriennes, la privant ainsi de tout lien terrestre avec ses alliés turkmènes et jihadistes. Les bombardements russes visant à « nettoyer » tout l’arrière-pays alaouite de la présence de combattants salafistes (tchétchènes et autres) ont immanquablement causé des dégâts collatéraux majeurs chez les civils turkmènes à Bayirbucak et ailleurs dans la région. Dans la foulée de la destruction du chasseur SU-24 russe, des délégations de partis d’extrême droite turque se sont rendues à la frontière syrienne et sur le front turkmène, à l’instar du vice-président du MHP Ümit Özdag – ce parti compte dans ses rangs des responsables d’origine turkmène, mais aussi du BBP (Parti de la Grande unité), dont le vice-président, Kaptan Kartal, avait fait le déplacement à Bayırbucak. Considérés par le régime comme une cinquième colonne turque dans cette région stratégique, les Turkmènes de Syrie paient un lourd tribut humain à la guerre. Quand bien même leurs responsables défendent mordicus le principe de l’intégrité territoriale de la Syrie (à l’exception du sandjak d’Alexandrette) pour mieux se distinguer du discours autonomiste kurde, leur adhésion au récit ultranationaliste panturc et leur collaboration avec les combattants salafistes du Caucase et d’Asie centrale jettent un voile d’ombre sur le projet qu’ils nourrissent pour la Syrie de demain. Sans oublier l’éventualité d’un lâchage par la Turquie aux funestes conséquences… Sur le terrain, la situation des Turkmènes est des plus critiques. Les bombardements massifs de l’armée russe ayant vidé les villages turkmènes, provoquant un nouvel exode, ils ont été investis par des combattants tchétchènes.

Les réfugiés, une bombe à retardement ?

Accueillis et encadrés dans des camps adaptés dès 2011, les réfugiés syriens ont vu leur nombre augmenter massivement, à telle enseigne que cette surpopulation exerce une pression démographique, économique et politique croissante sur les villes frontalières comme Kilis, Şanlıurfa ou Gaziantep [20]. De son côté, le site officiel de l’AFAD, organisme public turc de gestion des catastrophes naturelles, évaluait à 5,6 milliards de dollars le montant des aides allouées aux réfugiés syriens par le gouvernement turc, alors que les aides de la communauté internationale n’atteignait que 399 millions de dollars, bien en deçà de ce qui avait été promis [21].

Mal réélu aux cours des précédents scrutins législatifs, l’AKP doit composer avec la grogne croissante de plusieurs secteurs de la société, exaspérés de ses errements en Syrie. Les opposants laïcs et kémalistes du CHP lui reprochent l’abandon du sacro-saint principe de non-ingérence dans les affaires internes d’un État tiers, tandis que les populations des régions méridionales s’inquiètent de la recrudescence des attentats terroristes et du coût économique des réfugiés syriens, accusés de pratiquer un dumping social sur le marché de l’emploi. À cela s’ajoute la politique d’ingénierie démographique sciemment mise en œuvre par le pouvoir turc, qui propose de naturaliser la plupart des réfugiés syriens (sunnites) – une confessionnalisation à peine dissimulée qui sert les intérêts à court terme de l’AKP. Au surplus, l’impitoyable répression menée contre les Kurdes et des figures de la société civile [22], le déni du fait alévi, jettent un voile d’incertitude sur l’avenir des minorités non associées à la nouvelle synthèse islamo-nationaliste turque ardemment prônée par l’AKP.

Le chaos syrien, un champ fertile pour le PKK

Prenant en compte l’ancienneté de la question kurde en Turquie et de la coopération étroite entretenue avec le PKK sous le régime de Hafez Al Assad, les dirigeants turcs ont commis une imprudence en négligeant l’emploi par Damas de la carte kurde dans l’hypothèse d’un regain de tensions. C’était oublier que le soutien syrien à la rébellion armée du PKK fut l’un des facteurs majeurs de la dégradation des relations bilatérales entre 1984 et 1998, et que c’est sur fond de coopération contre le séparatisme kurde que les deux pays se sont rapprochés de manière spectaculaire en 1998. Mise en difficulté, Damas a vu dans la guérilla du PKK un atout majeur pour répondre à l’interventionnisme turc dans le conflit. Parallèlement le PYD, créé en 2003, a profité du chaos syrien pour se renforcer, obtenant l’autonomie là où ses forces sont déployées et, par ricochet, consolider les positions de son grand frère en Turquie. La franchise syrienne du PKK avait déjà entamé un véritable travail d’encadrement idéologique et militaire des populations dans les villes et villages à forte concentration kurde le long de la frontière, là où les nationalistes kurdes cherchent à créer le Rojava (Kurdistan occidental), base arrière qui a permis au PKK de se doter d’une assise territoriale et d’accroître ses attaques contre l’armée turque dans tout l’est de la Turquie, notamment durant l’été 2012 [23]. Initiées avant la guerre en Syrie – dont une première fois en 2009 sous forme de discussions secrètes à Oslo entre services turcs et représentants du PKK en Europe [24]– interrompues puis reprises, les négociations entre Ankara et le chef du PKK en prison, Abdullah Öcalan, ont été rendues plus difficiles pour la Turquie car la crise syrienne a entretemps renforcé les positions maximalistes du camp kurde, tandis que l’épineuse question du Rojava faisait son entrée dans les pourparlers.

Sur la scène intérieure turque, les répercussions ont été significatives, le parti pro-kurde HDP, ayant su tirer profit du capital de sympathie auprès de la gauche libérale turque, de sorte que la reconnaissance de l’autonomie kurde de Syrie a été intégrée dans l’agenda de la nouvelle formation, qui en a fait une condition sine qua non pour la poursuite des pourparlers de paix entre l’État turc et le mouvement national kurde en Turquie [25]. De quoi plonger Ankara, qui considère le Rojava comme une entité terroriste, dans un profond embarras. En outre, cette reconnaissance sous-entendrait la violation du principe de l’intégrité territoriale, clé de voûte de la politique étrangère turque depuis l’avènement de la République kémaliste. Ceci explique notamment le peu d’empressement des forces turques à secourir les assiégés de Kobané contre l’EI au cours de l’automne et de l’hiver 20142015, épisode aux funestes conséquences auprès de l’opinion publique occidentale. À cela s’ajoute l’effet dévastateur du prolongement de la crise syrienne sur le capital de crédibilité dont jouissait jusqu’à présent la diplomatie turque. Jusqu’en 2011, Ankara pouvait en effet se targuer d’un certain prestige vantant son modèle de développement libéral et laïc auprès de ses partenaires arabo musulmans. De sorte que les rapports du très sérieux think tank TSEV [Turkish Economic and Social Studies Foundation] faisaient état de l’attractivité de ce pays dans son environnement régional, car perçu comme une combinaison réussie entre islam et démocratie [26]. Parmi les raisons d’un relatif succès turc auprès des opinions publiques arabes figuraient aussi la politique « gaullienne » de la Turquie et les prises de positions anti-israéliennes d’Erdoğan.

Multiforme, l’engagement de la Turquie contre le régime de Bachar Al Assad a démarré avec une aide matérielle massive allouée à l’opposition syrienne afin qu’elle puisse se structurer. C’est en Turquie que le Conseil national syrien a vu le jour, après plusieurs réunions qui se sont tenues à Antalya et à Istanbul. Par ailleurs, même si cela ne constitue pas une ingérence directe dans le conflit syrien, la Turquie a accueilli (et continue d’accueillir) des centaines de milliers de réfugiés dont le nombre s’élève à l’heure actuelle à plus de trois millions de personnes. Aujourd’hui, l’heure est au pragmatisme. L’ombre de Davutoğlu s’est évaporée dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères à Ankara. Traditionnellement marquée par le tropisme occidental, la diplomatie turque a fait les frais de ses erreurs d’analyse des sociétés arabes. Considérablement affaiblie par les purges consécutives au coup d’État manqué de juillet 2016 [27], l’armée turque n’est plus en mesure de se déployer de manière pérenne à l’extérieur de ses frontières. Fragilisé par la plus grave série d’attentats terroristes perpétrée sur son sol, brouillé avec ses partenaires européens qui l’accusent de pratiquer un insupportable chantage autour de la question des migrants, R. T. Erdogan a opté pour la realpolitik en se rapprochant de la Russie. En échange il a accepté l’idée que Bachar Al Assad puisse, du moins temporairement, faire partie d’une solution politique. Fin 2016, Russes et Turcs sont ainsi parvenus à une évacuation négociée des combattants rebelles d’Alep et d’autres localités, tandis que les relais salafistes soutenus par la Turquie campent toujours dans la région d’Idlib. Ankara s’est retrouvée piégée par son trop grand appétit – vouloir la chute du régime d’Assad et empêcher la jonction des trois cantons kurdes de Syrie – obstruant par là les chances d’écraser l’EI. La politique syrienne de la Turquie est des plus dangereuses, comme le souligne le chercheur Samim Akgönül, qui la compare à un « lapin face aux phares d’une voiture sur le point de l’écraser » [28].

References[+]


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