La transition économique en Arabie Saoudite: une dynamique nouvelle face à des contraintes multiples

Mis en ligne le 19 Déc 2018

Avec cet article, l’auteur met en lumière le processus inédit de réforme dans lequel s’est engagé l’Arabie Séoudite. Un projet de transition économique global est en cours, avec l’ambition de faire pièce aux rigidités d’un système bâti sur la répartition de la rente pétrolière, alors même que les revenus de cette rente stagnent.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: « Une dynamique nouvelle face à des contraintes multiples ». Les Cahiers de l’Orient n°132,  Pascal Devaux automne 2018

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site des Cahiers de l’Orient


 

L’Arabie séoudite est engagée dans un processus de réforme inédit, contrastant avec des décennies d’immobilisme. La nouvelle direction à la tête de l’État, le changement de paradigme du marché pétrolier et la nécessité de s’intégrer dans l’économie mondiale ont été des éléments déclencheurs de cette dynamique. Il n’est plus possible à l’économie séoudienne de vivre uniquement de sa rente pétrolière. Cependant la multiplication des annonces de réforme et les faibles résultats obtenus dans ce domaine par le passé laissent sceptiques un certain nombre d’observateurs.
La nécessité de réformer l’économie pour la diversifier et créer des emplois pour les nationaux, constat qui a déjà été fait depuis de nombreuses années, s’était traduit par certaines réformes et projets d’investissement. On peut par exemple citer l’imposition de quotas de travailleurs séoudiens dans les entreprises privées (« séoudisation » du marché du travail) ou la création de villes nouvelles dédiées à certaines activités économiques (les New Economic Cities). À ces programmes partiels, éloignés des réalités économiques et donc peu couronnés de succès, le gouvernement actuel oppose un projet de transition économique plus global et témoigne d’une réelle volonté de changement. Des mesures telles que la mise sur le marché d’une partie du capital de la compagnie pétrolière nationale Aramco ou la volonté de se doter d’un fonds souverain sont de véritables signes de changement, même si la mise en oeuvre est toujours moins rapide qu’attendue. Ce  programme de réforme doit cependant faire face à deux catégories de contraintes : structurelle, en raison de la rigidité d’un système économique basé sur la redistribution de la rente pétrolière, et conjoncturelle, en raison de la stagnation des prix du pétrole à un niveau insuffisant pour dégager des marges de manoeuvre budgétaires. Le maintien de l’économie séoudienne sous perfusion de la rente pétrolière pendant des décennies a eu des conséquences négatives sur sa compétitivité et rend plus difficile sa transition vers un modèle plus ouvert et plus concurrentiel. Par ailleurs, les difficultés budgétaires actuelles ne facilitent pas la mise en place de réformes coûteuses.

 

Les grandes lignes du programme de transformation.

 

Le plan de réformes du gouvernement vise avant tout à stimuler la croissance économique et à favoriser le développement du secteur privé. L’établissement d’un fonds souverain est l’élément central de cette stratégie.

 

Le programme de réformes Vision 2030

 

Depuis 2015, le gouvernement séoudien tente de mettre en place un ambitieux programme de réformes baptisé Vision 2030. Dans l’esprit de ses concepteurs, il ne s’agit pas d’établir les grandes lignes d’une politique qui permettraient à l’économie séoudienne de s’adapter à une nouvelle conjoncture internationale, mais véritablement de transformer cette économie. D’une manière similaire à la transition des économies planifiées de l’ancien bloc de l’Est vers l’économie de marché, Vision 2030 a pour objectif de transformer une économie centrée autour de la redistribution étatique de la rente pétrolière en une économie où la création de richesses et d’emplois proviendraient majoritairement du secteur privé non pétrolier. Ce programme de réforme se décline en deux parties : Vision 2030, qui établit les objectifs stratégiques, et le Plan de transformation nationale, qui en fixe les objectifs chiffrés. Les objectifs stratégiques comprennent le développement de la contribution du secteur privé à l’économie, notamment grâce à des privatisations et aux investissements directs étrangers (IDE), la maximisation de la valeur issue du secteur énergétique – grâce à la libéralisation du marché de l’énergie, au développement des débouchés du secteur des hydrocarbures et à l’augmentation de la production –, le développement des secteurs productifs non-pétroliers, la transformation du Fonds d’investissement public (FIP) en véritable fonds souverain, et enfin une intégration accrue dans l’économie mondiale. L’élément central de ce programme est la privatisation d’une partie du capital de l’entreprise pétrolière nationale Aramco, afin d’accélérer la mise en place du fonds souverain. Cette privatisation partielle (environ 5 % du capital) est une prise de participation d’investisseurs étrangers dans la concession pétrolière accordée par le gouvernement à la compagnie Aramco, et non dans les réserves pétrolières, qui restent la propriété de l’État.

 

Le rôle central du fonds souverain

 

Paradoxalement, tout en étant l’une des principales économies pétrolières mondiale, l’Arabie séoudite ne dispose pas d’un véritable fonds souverain. Dans les économies dépendantes d’une rente pétrolière, celui-ci a un double objectif : d’une part, amortir les variations de revenu liées aux fluctuations du prix des matières premières sur les marchés mondiaux et, d’autre part, anticiper par des investissements diversifiés les conséquences de l’épuisement des réserves pétrolières nationales. Jusqu’aujourd’hui, l’épargne du gouvernement séoudien issue des excédents budgétaires
est placée pour partie dans un compte spécifique logé à la Banque centrale. Ces avoirs gouvernementaux sont d’une liquidité élevée (essentiellement investis dans des titres de
dette publique de pays développés) et permettent donc de faire face à des difficultés budgétaires conjoncturelles. Néanmoins, ce mode de fonctionnement ne permet pas une distinction claire entre ce qui relève des avoirs de la banque centrale et qui a pour objet de garantir la stabilité de la monnaie, et ce qui appartient au gouvernement et qui remplit un objectif de finance publique. Par ailleurs, existe ce qui s’apparente plus à un fonds souverain classique avec le Fonds d’Investissement Public. Dans celui-ci une partie de l’épargne publique est investie dans des entreprises privées. Jusqu’à une période récente ces entreprises étaient essentiellement séoudiennes, limitant la diversification géographique des investissements. Relativement à la taille de l’économie séoudienne, l’épargne du gouvernement logée dans ces deux supports reste relativement modeste. À la fin de l’année 2017, les avoirs du gouvernement à la Banque centrale s’élevaient à 195 milliards de dollars, soit 28 % du produit intérieur brut (PIB), tandis que le Fonds d’investissement public détenait des actifs estimés à 230 milliards de dollars, soit 34 % du PIB – par comparaison, les fonds souverains des Émirats arabes unis, du Koweït ou du Qatar sont équivalents à plusieurs fois la taille de leurs économies respectives. Au-delà du rôle d’amortisseur budgétaire conjoncturel, qui restera nécessaire à moyen terme, le fonds souverain séoudien a pour ambition de participer activement à la diversification économique du pays : d’une part en diversifiant les ressources budgétaires par l’ajout d’une rente de nature financière, et d’autre part en augmentant l’investissement productif dans le royaume. Dans la logique de Vision 2030, la privatisation d’une partie du capital d’Aramco permettra à ce fonds d’atteindre une certaine masse critique, et donc de répondre aux défis de la transition économique séoudienne, par exemple en investissant dans l’économie nationale ou en prenant des participations au capital d’entreprises étrangères afin de faciliter le transfert de technologie et l’investissement vers le pays. Traditionnellement, les IDE restent concentrés dans les secteurs où l’avantage comparatif séoudien est le plus évident : les activités dépendantes d’une matière première énergétique abondante et bon marché. Ainsi sur la période 2009-2013, environ 62 % des IDE concernaient les secteurs de la pétrochimie et de l’extraction d’hydrocarbures.

 

Des réformes nécessaires dans un environnement économique contraignant.

 

La  transition vers une économie plus diversifiée et créatrice d’emplois passe par des réformes structurelles qui peuvent être coûteuses en termes de dépenses et d’effet sur l’activité économique. La modération des prix du pétrole est une contrainte supplémentaire pour le gouvernement séoudien.

 

Les contraintes structurelles

 

La transformation de l’économie séoudienne se heurte à deux contraintes majeures : une forte dépendance aux revenus pétroliers et la dualité du marché du travail.

 

Une économie basée sur la redistribution de la rente pétrolière

 

La dépendance de l’économie séoudienne vis-à-vis des revenus pétroliers est importante et se manifeste à tous les niveaux de l’économie. Au cours de la période 2011-2015, le secteur pétrolier a en moyenne contribué à environ 45 % du PIB, 85 % des recettes budgétaires et 85 % des revenus d’exportation de biens. L’économie non-pétrolière représente environ 55 % du PIB mais sa croissance est étroitement liée à l’évolution des revenus pétroliers. C’est en effet l’ensemble de l’économie qui est irriguée par les revenus pétroliers sous forme de subventions multiples, d’emplois dans le secteur public et d’investissementspublics. Par ailleurs, l’État séoudien a des participations importantes au capital de nombreuses grandes entreprises et
banques locales. Cette dépendance à la rente pétrolière et ce poids de l’État dans l’économie rendent difficile tout processus de diversification économique. Schématiquement, à côté d’un secteur public hypertrophié, le secteur privé est en grande partie constitué d’activités de services à relativement faible valeur ajoutée (notamment commerces et services à la personne). Le secteur manufacturier ne contribue qu’à environ 10 % du PIB – contre 20 % en moyenne dans les pays émergents les plus importants – et la consommation des ménages dépend essentiellement des importations. Les principales entreprises du secteur industriel exerçant en dehors du secteur des hydro-carbures sont concentrées dans l’industrie lourde (essentiellement pétrochimie) et bénéficient de la disponibilité et du faible coût local de leur intrant principal : les hydrocarbures. À cette dépendance structurelle de l’ensemble de l’économie à ce secteur s’ajoute une autre dépendance : le rôle des expatriés dans le fonctionnement du secteur privé.

 

Marché du travail : réduire la dépendance à la main-d’oeuvre émigrée

 

La garantie pour les nationaux séoudiens d’occuper un emploi dans le secteur public a longtemps constitué un élément clé du système rentier. Le marché du travail est ainsi profondément déséquilibré, fondé sur l’importation de travailleurs étrangers dans les secteurs les moins qualifiés et les plus pénibles. Les nationaux séoudiens sont à 70 % employés dans le secteur public, où ils bénéficient d’une sécurité de l’emploi et de salaires élevés. Parallèlement, les travailleurs expatriés (environ 6 millions de personnes, soit plus de 20 % de la population totale résidant dans le royaume) représentent environ 80 % de la main-d’oeuvre dans le secteur privé. Ils occupent essentiellement des emplois dans la construction, le commerce de détail et les services à la personne, généralement des emplois peu qualifiés et faiblement productifs. Par ailleurs, moins de 800 000 expatriés exercent dans des domaines à qualification élevée, tels que la finance et la médecine. Les limites de ce modèle ont été soulignées depuis plusieurs décennies, étant donné la divergence croissante entre la croissance démographique séoudienne et les ressources budgétaires de l’État. On estime qu’environ la moitié de la population séoudienne a moins de 25 ans, et les trois quarts moins de trente ans (ndlr)[1]. Or l’insertion des jeunes sur le marché du travail est de plus en plus difficile au vu du fort ralentissement de la croissance de l’emploi public – le taux de chômage parmi les jeunes est estimé à plus de 30 %. À moyen terme, la pression du marché de l’emploi restera forte : d’ici à 2030, on estime que le nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail se situera entre 250 000 et 400 000 annuellement. L’écart entre les deux estimations est lié à l’évolution du taux de participation de la population au marché du travail, qui est actuellement particulièrement bas (moins de 50 %). En effet, les changements envisagés concernant le statut des femmes pourraient significativement augmenter leur participation au marché du travail – en 2014, le taux de participation des femmes au marché du travail était de 18 %, contre 65 % pour les hommes. Le gouvernement a déterminé trois axes principaux de réforme du marché du travail : la réduction du nombre de travailleurs expatriés[2] par des licenciements directs ainsi que par l’application de taxes spécifiques visant ces personnes et leur famille ; le remplacement des expatriés par des ressortissants nationaux (les emplois sont réservés aux Séoudiens dans un certain nombre de secteurs), et l’insertion croissante des femmes dans le marché du travail (accès à de nouvelles professions, accroissement de l’emploi privé). Mais cette politique a des conséquences négatives sur l’emploi total, du moins à court terme, car les postes laissés vacants par les expatriés ne sont pas occupés par des nationaux dans leur totalité. Ainsi, selon une enquête récente réalisée auprès des employeurs séoudiens, le volume total d’emplois pourrait-il baisser de 2 % en 2018. L’absorption des nouveaux entrants sur le marché du travail par le secteur privé se heurte à certaines contraintes. Même s’il est vraisemblable que les emplois les moins qualifiés et les plus pénibles du secteur privé (notamment dans la construction) restent occupés par des expatriés, le niveau des coûts salariaux sera une contrainte au développement de l’emploi séoudien dans le reste du secteur privé. En effet, les différences de salaire entre secteurs privé et public sont importantes : selon une étude du cabinet McKinsey, en 2014, le salaire mensuel moyen était de 2 500 dollars dans le secteur public, contre 1 500 pour les Séoudiens employés dans le secteur privé et 400 seulement pour les expatriés dans le secteur privé. Par ailleurs, la mise en place du programme de réforme est confrontée aux lourdeurs de l’administration publique, plutôt habituée à fonctionner sur un mode bureaucratique et qui doit s’adapter au rythme accéléré de réformes du gouvernement. Dans le secteur public séoudien, les sureffectifs, la faible productivité et l’inadéquation des qualifications sont des freins non négligeables à la progression
des réformes.

 

Les contraintes conjoncturelles

 

Par ailleurs, l’environnement économique actuel n’est pas porteur pour l’Arabie séoudite, en raison de la relative déprime des prix du pétrole. Les conséquences négatives des récentes mesures sur l’activité économique en termes d’activité (imposition de nouvelles taxes, réforme du marché du travail) s’ajoutent aux nécessaires restrictions budgétaires imposées par une conjoncture pétrolière durablement moins favorable.

 

De nouveaux acteurs sur le marché pétrolier

 

La première décennie des années 2000 a été globalement favorable aux producteurs d’hydrocarbures, qui ont bénéficié de la hausse soutenue de la demande mondiale et ont pu augmenter leur production tout en bénéficiant de prix de vente élevés. Dans ce marché pétrolier, l’Arabie séoudite était le principal producteur et le seul disposant d’une flexibilité significative de sa production. Depuis 2010, le marché pétrolier a cependant été profondément modifié par l’émergence des producteurs américains de pétrole de schiste – la production pétrolière nord-américaine ayant doublé depuis 2011, elle se situe actuellement au niveau séoudien. Les États-Unis sont donc redevenus en quelques années le principal producteur mondial, avec une influence réelle sur l’évolution des prix du pétrole. La flexibilité de la production américaine (pour des raisons techniques) et d’importants gains de productivité depuis trois ans ont permis aux États-Unis de réduire le seuil de rentabilité moyen de la production de pétrole de schiste[3] et ainsi de réduire l’efficacité de la politique des pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). En effet, dans ce contexte les membres du cartel sont soumis à deux exigences contradictoires : faire baisser le prix du pétrole – afin d’exclure certains producteurs du marché – et faire face à une contrainte budgétaire grandissante. Pour les pays du Golfe, les circonstances politiques régionales ont accru cette difficulté. Suite aux soulèvements politiques qui ont eu lieu dans de nombreux pays arabes en 2011, les gouvernements de la région ont significativement augmenté leurs dépenses budgétaires afin de contenir la pression sociale et politique de leur population. Dans ce contexte, le prix du baril de pétrole – qui équilibre le budget – a atteint un niveau proche de 80, voire 100 dollars dans de nombreux États du Golfe, dont l’Arabie séoudite. Dans ce contexte, il n’est pas possible à la fois de mener une guerre commerciale sur le marché du pétrole et de maintenir le prix du baril à un niveau suffisamment élevé pour faire face aux contraintes budgétaires. Du point de vue de l’Arabie séoudite, le cours actuel est peu satisfaisant, car il ne permet pas d’équilibrer le budget et maintient les producteurs américains de pétrole de schiste dans le marché. Cette situation pourrait perdurer, du moins à moyen terme, et maintenir une certaine pression sur les prix du baril. En effet, selon l’Agence internationale de l’Énergie, environ 80 % du surplus de production pétrolière attendu au niveau mondial d’ici 2021 proviendra des producteurs nord-américains.

 

Des finances publiques fragilisées

 

La situation budgétaire séoudienne s’est en conséquence significativement dégradée depuis 2014. La chute des prix du pétrole a réduit les revenus budgétaires, tandis qu’une grande partie des dépenses restent incompressibles (entre 2015 et 2017, le déficit des finances publiques s’est élevé en moyenne à 14 % du PIB). Le financement de ce déficit important s’est fait en vendant d’une partie des actifs du gouvernement logés à la Banque centrale et en émettant de la dette sur les marchés internationaux. Le gouvernement séoudien s’endette sur le marché des capitaux internationaux à des conditions favorables et pour des maturités longues : la dernière émission de dette internationale (pour un montant de 11 milliards de dollars) comprend des tranches comprises entre 7 et 31 ans et le taux d’intérêt appliqué à la maturité la plus longue est de 5 %. La solidité macroéconomique du pays n’est pas pour autant remise en cause. En 2017, la dette publique était équivalente à 19 % du PIB tandis que les actifs du gouvernement s’élevaient à plus de 60 % du PIB. Cependant, à moyen terme, les perspectives budgétaires restent mitigées[4]. Si le prix du pétrole se maintient à un niveau inférieur à 70 USD / baril, il est vraisemblable que la dette continue d’augmenter et que, parallèlement, le montant des actifs du gouvernement se réduise. Les efforts séoudiens pour corriger cette dérive budgétaire, bien que réels, restent insuffisants et sont quelquefois peu durables. Le gouvernement a ainsi brisé un tabou en réduisant sensiblement les subventions aux produits énergétiques. Même si les prix des carburants restent très bas par rapport aux standards internationaux, la facture énergétique de la population a significativement augmenté. Cependant, les réformes budgétaires mises en place depuis 2015 afin de rétablir les finances publiques ont pour le moment des résultats mitigés. La baisse des subventions et l’introduction de nouvelles recettes fiscales n’ont permis que marginalement de réduire la vulnérabilité des finances publiques aux variations des revenus pétroliers. D’ici 2020, en pourcentage du PIB, la taxe sur la valeur ajoutée devrait augmenter les revenus de 1,5 %, les taxes sur le tabac et les sodas de moins de 0,5 % et l’impôt spécifique sur les expatriés, d’environ 0,9 % (par comparaison, les revenus budgétaires liés aux hydrocarbures étaient équivalents à 25 % du PIB en moyenne entre 2013 et 2017). Surtout, une grande partie de l’effort de consolidation budgétaire s’est traduit par la chute des investissements publics. De nombreux projets d’infrastructure ont été retardés, voire simplement annulés, mettant en difficulté de nombreuses entreprises du secteur de la construction. Par ailleurs, on a constaté un relâchement assez rapide des efforts de consolidation budgétaire quand les revenus pétroliers augmentent. En avril 2017, les mesures de réduction de la masse salariale prises six mois auparavant ont été annulées à la faveur du retour du prix du baril à un niveau supérieur à 50 dollars. L’année 2017 a montré que l’effort de consolidation est difficilement compatible avec la poursuite des réformes structurelles du plan Vision 2030. La conjonction des effets de la consolidation budgétaire et des réformes (particulièrement la baisse du nombre de travailleurs expatriés) a eu des conséquences négatives sur l’activité économique, et donc sur la capacité de l’économie à créer des emplois.

 

Une croissance économique insuffisante

 

L’économie séoudienne est entrée en récession en 2017 (- 0,8 %) et a connu sa plus mauvaise année depuis 2009. La baisse de la production pétrolière[5] a entraîné une chute de 3 % du PIB pétrolier. La déprime de la consommation privée (baisse du nombre d’expatriés, hausse des taxes) et les restrictions budgétaires ont réduit la progression du PIB non pétrolier à 1 % (par rapport à 5,7 % en moyenne entre 2011 et 2015). Cette situation n’est pas tenable pour un pays qui doit créer des emplois en nombre et qui cherche à attirer les investisseurs étrangers. En dehors de la politique budgétaire, le gouvernement est relativement désarmé. L’ancrage du rial séoudien au dollar américain empêche toute autonomie dans la politique monétaire, et donc toute possibilité de bénéficier de la flexibilité du taux de change. En effet, pour éviter les flux de capitaux spéculatifs à la recherche des possibilités d’arbitrage, la stabilité du taux de change contre le dollar impose que la Banque centrale séoudienne suive la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Compte tenu de la dépendance de l’économie séoudienne aux revenus pétroliers, qui sont libellés en dollar américains, cet ancrage est amené à perdurer. Or, dans la situation actuelle, la politique monétaire américaine va à l’encontre des intérêts économiques du royaume : la Réserve fédérale a amorcé depuis 2016 une hausse des taux d’intérêt que la Banque centrale séoudienne est obligée de reproduire. La hausse du coût de l’argent n’est évidemment pas favorable à la reprise de l’activité. Par conséquent, le recours à la relance budgétaire a été une nécessité en 2018. Les dépenses courantes devraient modérément augmenter, une pause dans la hausse de la fiscalité devrait être appliquée, et une relance des dépenses d’investissement a été annoncée.

 

Quelles perspectives ?

 

Les premiers résultats du programme de réformes tardent à se concrétiser. Cela souligne la nécessité de concentrer l’action politique sur les objectifs les plus réalistes et d’adopter une perspective  de long terme.

 

Des résultats mitigés pour le moment

 

La privatisation partielle d’Aramco – qui est l’élément central du plan de réforme – a été retardée. Si la volonté politique reste forte, certains éléments restent à déterminer : la valorisation de la société et le mode de cession d’une partie du capital. En effet, un certain flou demeure sur le mode de réalisation de cette privatisation, par une cotation sur un marché boursier international ou par un processus de placement privé, moins contraignant du point de vue réglementaire. En conséquence, le retard dans cette privatisation reporte d’autant l’établissement d’un fonds souverain. Les contraintes budgétaires entretiennent également une incertitude supplémentaire quant à la mise en place de ce fonds. Dans le projet de budget 2018, l’effort important d’investissement repose essentiellement sur un financement provenant du Fonds d’investissement public, ce qui permet de sortir ces dépenses du budget, mais ne correspond pas au mandat normal d’un fonds souverain.
Par rapport à la série de mesures annoncées dans le plan national de transformation, peu de réformes ont été amorcées pour le moment, et on ne constate pas encore de progrès notable dans les flux entrants d’investissements directs étrangers. Ayant atteint en moyenne 1.5 % du PIB entre 2011 et 2015, les IDE ont chuté en 2016 et 2017, à respectivement 1,2 % et 0,8 % du PIB. L’attentisme prévaut chez les investisseurs étrangers, qui manquent encore de signaux clairs de progrès dans les réformes et d’amélioration significative du climat des affaires pour investir dans le pays. Selon l’indice « Doing Business » publié par la Banque mondiale, si l’Arabie séoudite progresse, elle se situe encore au 92e rang mondial sur 190 pays. De même, selon l’assureur crédit Coface, l’indicateur de risque d’impayés[6] pour des entreprises étrangères actives dans le pays situe l’Arabie séoudite à un niveau de risque élevé.

 

La voie étroite de la transition

 

Dans les processus de réformes décidés au plus haut niveau, et qui ne tiennent pas forcément compte de la réalité économique, l’écart est toujours important entre ce qui est annoncé et ce qui est réalisé. Cet écart est d’autant plus important dans une économie marquée par des décennies de rigidités. Cependant, nous estimons que le processus en cours, sous réserve de continuité politique, devrait produire une dynamique positive et engager l’économie séoudienne dans la transition, au moins partielle, vers une certaine diversification. La question réellement centrale est celle du calendrier et du délai nécessaire avant d’obtenir des premiers résultats positifs. L’absence de réalisme de certains objectifs, la multiplication des changements annoncés dans tous les domaines (économique, politique, social) – qui rend difficile la lisibilité du processus en cours – et surtout la conjoncture pétrolière défavorable sont des freins évidents dans un premier temps. Notre scénario central, quant au processus de réforme en cours, est celui d’une transition avant tout centrée sur la valorisation des atouts de l’économie nationale. Parmi ceux-ci : le développement des industries liées à la ressource pétrolière (comme énergie ou comme matière première) devrait se poursuivre, car c’est l’un des seuls secteurs où l’économie séoudienne soit réellement compétitive au niveau international. Par exemple, l’entreprise SABIC, spécialisée dans la pétrochimie, est un leader mondial de son secteur et a entrepris depuis quelques années un développement international significatif, notamment par des acquisitions. Pour ce qui concerne le secteur manufacturier, nous ne pensons pas que le pays ait un potentiel important de création
d’emplois. Au niveau international, la main-d’oeuvre séoudienne restera peu compétitive pendant de nombreuses années, état de fait qui n’est pas compensé par un avantage technologique significatif. C’est donc dans le secteur des services que semble se situer le potentiel le plus important de diversification économique et de création d’emplois. Le royaume bénéficie d’une population relativement importante et majoritairement jeune. Par exemple, au-delà de certains objectifs peu réalistes, le projet Neom de développement d’une zone d’activité nouvelle centrée sur les loisirs pourrait offrir des perspectives intéressantes, même si traditionnellement les emplois dans ce secteur sont relativement peu qualifiés et donc moins bien rémunérés. Par ailleurs, les industries lourdes liées aux hydrocarbures sont relativement peu créatrices d’emplois. Il est donc illusoire d’attendre des progrès rapides de la participation des Séoudiens à l’emploi du secteur privé. La réduction de la dépendance au secteur public sera de toute façon très progressive afin d’en limiter les conséquences sociales. Si elle est menée à bien, la transition en cours se fera sur la durée d’une génération et non sur une quinzaine d’années. Enfin, la réalisation de ce scénario est vulnérable à deux catégories de risques : politiques et économiques. Étant donné l’importance des changements impliqués par cette transition, la continuité politique est une condition nécessaire. L’évolution du marché du pétrole constitue l’autre interrogation. C’est seulement le maintien du prix du baril à un niveau suffisant (au moins supérieur à 60 dollars le baril) qui permettra la réalisation des principaux objectifs de Vision 2030.

 

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