Puissance navale russe et conflit syrien: du déni d’accès à la projection de puissance

Mis en ligne le 14 Juin 2017

Depuis Catherine II, l’accès aux mers chaudes et singulièrement à la Méditerranée est une des permanences de la stratégie russe. Le récent déploiement d’un Groupe Aéronaval (GAN), près de 25 ans après la dissolution de la 5ème Eskadra, procède de cette volonté constante de présence dans une zone clef, exacerbée par le contexte de crise syrienne. Cet article propose donc une analyse diplomatique, stratégique et opérationnelle du retour de la flotte russe en Méditerranée orientale, aux abords du Levant.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Capitaine de frégate Thibault Lavernhe, « Puissance navale russe et conflit syrien : du déni d’accès à la projection de puissance », Ecole de Guerre, 6 mars 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’Ecole de Guerre.

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Puissance navale russe et conflit syrien: du déni d’accès à la projection de puissance

 

Le retour des stratégies de puissance étatiques est désormais une évidence régulièrement rappelée par les hautes autorités militaires[1]. La sphère maritime n’y échappe pas : la Chine[2]et la Russie sont ainsi deux acteurs majeurs qui réinvestissent le champ naval depuis le golfe d’Aden jusqu’à la Méditerranée, où nos intérêts sont nombreux. Dans ce contexte, le récent déploiement du groupe aéronaval russe (GAR) atour du porte-avions Admiral Kuznetsov pour participer à l’action militaire russe en Syrie marque une nouvelle étape dans la montée en puissance de la Russie, qui doit nous interpeller.

 

Une montée en puissance continue depuis dix ans

Après un long effacement, l’année 2007 marque le retour de la puissance navale russe, dans un contexte international tendu (sécession du Kosovo, élargissement de l’OTAN, bouclier anti-missiles…). Couplé à l’emploi de l’aviation à long rayon d’action dans le ciel européen, ce retour spectaculaire sera marqué en décembre 2007 par la sortie du croiseur Moksva en Méditerranée, couplée à la sortie du GAR en Arctique, les deux forces convergeant dans le golfe de Gascogne, après des escales remarquées à Brest et à Toulon. Dès lors, la Russie ne cessera pas ses démonstrations périodiques de puissance navale au service d’une stratégie plus large de pression sur le proche Occident, en jouant savamment de l’ambivalence de ses actions.

Dans cette logique, le conflit syrien va jouer un rôle d’accélérateur.

Le théâtre syrien comme nouveau révélateur

A partir de 2013, le théâtre syrien va devenir le catalyseur du retour de la puissance russe dans le jeu diplomatique, avec des manifestations significatives sur le plan naval. La crise de l’été 2013[3] marque en effet une occupation du terrain maritime sans précédent par la flotte russe : en l’espace de quelques jours, la mer Noire va se vider des escadres russes qui vont quadriller le canal de Syrie et développer un écosystème maritime autour de la base navale de Tartous, dont le rôle stratégique va dès lors aller croissant. Ce faisant, la Russie va développer une stratégie de déni d’accès maritime, mais également aérien avec le déploiement progressif de systèmes anti-aérien S-300 et S-400 à proximité du littoral syrien.

Puis, à partir de 2015, ce déni d’accès va se doubler d’une démonstration technologique de projection de puissance depuis la mer, en parallèle des frappes de l’aviation à long rayon d’action : tir de missiles SSN30A Kalibr depuis des corvettes en mer Caspienne fin 2014, depuis le sous-marin Rostov-sur-Don fin 2015 et récemment depuis la frégate Grigorovitch fin 2016. Ce faisant, la Russie met en place une forme de « puissance navale continentale »[4] en montrant son aptitude à frapper depuis ses enclaves de la mer Noire et de la mer Caspienne. En parallèle, les Russes s’installent durablement à terre dans la Syrie utile, pour peser sur le cours du conflit et soutenir le gouvernement syrien alors en difficulté. Les bâtiments de la marine nationale régulièrement déployés en Méditerranée orientale – à commencer par le GAN français – vont ainsi assister à l’émergence progressive du « fait maritime russe », sereinement mais inexorablement…

L’arrivée du GAR fin 2016 marque néanmoins une accentuation sans précédent de cette émergence maritime.

L’arrivée du Kuznetsov : une nouvelle étape

Parti de Mourmansk en octobre 2016 pour un déploiement annoncé de longue date, le GAR – composé d’un porte-aéronef et d’une demi-douzaine d’escorteurs et de bâtiments de soutien – arrive au large de la Syrie mi-novembre, après un transit très surveillé mais surtout très médiatisé. En affichant sa participation aux frappes terrestres dans le cadre de la bataille qui fait rage à Alep, la Russie franchit un seuil supplémentaire, en montrant sa capacité à déployer durablement un « gros bâton » pour peser sur la manœuvre terrestre et soutenir sa posture diplomatique offensive. Malgré ses difficultés logistiques (illustrées par l’affaire du ravitaillement à Ceuta) et bien que son poids tactique soit sans doute à relativiser (un MIG-29 s’est abîmé en mer peu après son arrivée[5], et l’essentiel du travail de frappe au sol est réalisé par les aéronefs russes basés à terre), il n’en demeure pas moins que l’activité d’un groupe aérien moderne – SU-33 et MIG-29 – depuis un porte-aéronef apte à durer au large d’une côte dépasse la simple démonstration de savoir-faire technologique observée jusqu’ici. En occupant un espace aéromaritime conséquent, la marine russe prend ainsi un ascendant qu’elle n’avait pas jusqu’ici. Comme le souligne le CF François Lagrange dans un récent article[6], c’est bien notre aptitude à opérer depuis la haute mer sans opposition qui est désormais questionnée.

Évoquant la stratégie de déni d’accès russe au Levant, le ministre de la défense remarque :

« J’observe aussi, s’agissant des systèmes anti-aériens déployés, que ni Daech ni l’insurrection ne possèdent d’aéronefs : il n’est donc pas difficile de deviner qui ils viseraient ». En creux, le message est donc clair. La même logique s’applique pour le déploiement du GAR, et nous devons en tirer les conséquences : après 25 ans de projection de puissance occidentale aéroterrestre en toute liberté, la présence de l’Admiral Kuznetsov et de ses satellites devant la Syrie nous suggère que les rapports de force se joueront de plus en plus en haute mer !

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