L’OTAN – Il y a des sanctions qui se perdent …

Mis en ligne le 10 Juil 2018

Cet article aborde les dĂ©fis externes et la problĂ©matique, liĂ©e, de la cohĂ©sion interne de l’OTAN. Cette approche procĂšde d’une interrogation initiale de l’auteur sur la rĂ©elle efficacitĂ© d’une alliance n’ayant de facto jamais dĂ» affronter directement une menace d’ampleur majeure depuis sa crĂ©ation.

Chef d'escadron Raphaël COTTAIN


Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont : chef d’Escadron RaphaĂ«l Cottain,  « OTAN – Il y a des sanctions qui se perdent … », Ecole de Guerre

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent ĂȘtre visionnĂ©s sur le site de l’Ecole de Guerre.


En 1949, la signature du TraitĂ© de Washington a Ă©tabli la crĂ©ation de l’Organisation du TraitĂ© de l’Atlantique Nord (OTAN). Le but de cette alliance, crĂ©Ă©e Ă  l’issue d’une Guerre Mondiale ayant dĂ©vastĂ© la majeure partie de l’Europe, de l’Afrique du Nord et de l’Asie, Ă©tait d’allier une communautĂ© de nations face Ă  la menace croissante reprĂ©sentĂ©e par la Russie et ses alliĂ©s. L’invocation de l’Article 5 du TraitĂ© aurait dĂ©clenchĂ© la dĂ©fense collective des Etats-membres contre une agression menĂ©e contre l’un d’eux.

Les partisans inconditionnels de l’OTAN proclament une efficacitĂ© telle, que l’Organisation n’a jamais Ă©tĂ© mise en pĂ©ril depuis prĂšs de 70 ans. Peut-ĂȘtre la question est-elle que l’OTAN n’a jamais dĂ» affronter une menace d’une ampleur suffisante pour menacer son Ă©quilibre, depuis sa crĂ©ation en 1949.

C’est pourquoi nous aborderons Ă  la fois des adversaires potentiels de l’OTAN et des dissenssions internes de l’organisation, qui constituent des menaces tangibles pour son futur. Pour y faire face, il apparaĂźt que les objectifs de dĂ©penses de dĂ©fense, dĂ©cidĂ©s en 2014, ne sont pas les critĂšres les plus pertinents pour juger a priori de l’efficacitĂ© de l’OTAN. Il est donc nĂ©cessaire de les rĂ©Ă©valuer. Ceci passera par une refonte du fonctionnement de l’Organisation et nĂ©cessiterait notamment la mise en place d’un dispositif de sanctions progressives et rĂ©elles, pouvant aller jusqu’à l’expulsion d’un Etat de l’Alliance.

L’OTAN face aux menaces extĂ©rieures et aux dissensions internes

La Russie constitue, peut-ĂȘtre mĂȘme surtout aujourd’hui, un rival sans Ă©quivalent pour l’OTAN. Au plus fort de la Guerre Froide, l’URSS Ă©tait essentiellement un adversaire pour les Etats-Unis, davantage que pour l’Organisation. La crise de Cuba en 1962 est Ă  ce titre un exemple criant : l’Histoire retient essentiellement les discussions entre les dirigeants amĂ©ricains et soviĂ©tiques de l’époque, John Fitzgerald Kennedy et Khroutchev, et beaucoup moins le rĂŽle de l’OTAN dans cette confrontation bipolaire.

Pourtant, prĂšs de 29 ans aprĂšs la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’Union SoviĂ©tique, il paraĂźt dĂ©licat de nier la menace que la Russie pourrait faire peser sur l’Europe et le reste de l’OTAN. Les tentatives rĂ©pĂ©tĂ©es d’incursions d’aĂ©ronefs russes dans les espaces aĂ©riens europĂ©ens [1], le conflit avec la GĂ©orgie en 2008, l’annexion de la CrimĂ©e en 2014 [2], les troubles en Ukraine orientale, mais aussi l’appui de Moscou au rĂ©gime de Bachar Al-Assad en Syrie Ă  partir de 2015 [3] sont autant de gestes mettant Ă  mal la crĂ©dibilitĂ© de l’OTAN comme rempart contre les vellĂ©itĂ©s russes Ă  l’international. L’Ukraine fait en effet partie du programme Partnership for Peace – PfP – qui certes ne vise pas Ă  Ă©tendre la dĂ©fense collective, mais indique malgrĂ© tout des intĂ©rĂȘts communs avec l’OTAN et le pays bĂ©nĂ©ficiant du PfP. A ce titre, l’Ukraine aurait pu espĂ©rer davantage de soutien de l’OTAN lors des crises majeures qu’elle a connues ces derniĂšres annĂ©es. Le terme de « guerre hybride » [4]– malgrĂ© ses dĂ©tracteurs – reprĂ©sente Ă  ce titre une rĂ©alitĂ© incontestable : la Russie n’hĂ©site pas Ă  mettre en Ɠuvre des moyens, cyber, clandestins, informationnels, dont l’origine reste peu ou pas attribuable, pour tenter d’imposer sa volontĂ© Ă  des nations souveraines, et tester, par la mĂȘme occasion, la cohĂ©sion et la crĂ©dibilitĂ© de l’OTAN.

Mais la Russie n’est pas le seul acteur Ă©tatique qui pose une menace pour l’OTAN. En effet, la CorĂ©e du Nord, par exemple, constitue une autre source de tensions au niveau international. Les prĂ©tentions nuclĂ©aires de la RĂ©publique DĂ©mocratique Populaire de CorĂ©e du Nord [5], l’irrationalitĂ© des acteurs et le jeu des alliances – notamment avec la Chine – pourraient bien faire basculer l’Organisation dans une guerre aux consĂ©quences difficilement prĂ©visibles Ă  ce jour. Les provocations successives de Kim Jung-Un, notamment les essais de missiles de plus en plus sophistiquĂ©s, dĂ©montrent l’inflexibilitĂ© du dirigeant nord-corĂ©en, qui ne recule devant aucune sanction ou menace, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de la communautĂ© internationale.

En complĂ©ment des adversaires Ă©tatiques, l’Organisation doit Ă©galement faire face Ă  la menace terroriste islamiste polymorphe et changeante, sur laquelle il est peu utile que nous nous Ă©tendions. Les attaques contre le World Trade Center en 2001 ont d’ailleurs Ă©tĂ© la seule et unique invocation de l’article 5 depuis la crĂ©ation de l’Alliance en 1949 : les nations ont offert un soutien total aux Etats-Unis meurtris, et se sont rangĂ©s Ă  leurs cĂŽtĂ©s dans la guerre contre le rĂ©gime taliban en Afghanistan. La Global War On Terrorism a ainsi donnĂ© Ă  l’Alliance un adversaire sur lequel s’abattre, en l’absence d’une menace claire comme avait pu l’ĂȘtre l’Union SoviĂ©tique. MalgrĂ© les succĂšs tactiques engrangĂ©s en Afghanistan et le prix du sang payĂ© par les Etats-membres, on peut nĂ©anmoins mettre en doute la rĂ©elle efficacitĂ© de l’OTAN face Ă  la menace terroriste. Plus de 16 ans aprĂšs les premiers raids sur Bagram, l’OTAN est toujours prĂ©sente en Afghanistan sans solution Ă  court terme pour le pays, et ses membres restent la cible d’organisations terroristes ayant Ă©mergĂ© depuis. Les attentats des derniĂšres annĂ©es ayant frappĂ© Londres, Madrid, Paris, sont autant de preuves de l’incapacitĂ© de l’OTAN Ă  empĂȘcher totalement les actions terroristes.

Enfin, d’autres menaces, notamment dans le domaine du cyber, qu’elles soient Ă©tatiques ou non, ou qu’elles se parent des atours de l’hacktivisme, de la dĂ©sinformation ou de la propagande, sont autant de nouveaux dĂ©fis auxquels devra faire face l’Organisation. Si l’Estonie accueille depuis le 14 mai 2008 le centre d’excellence de cyberdĂ©fense de l’OTAN [6], de nombreux progrĂšs restent Ă  accomplir dans le domaine. Il n’en reste pas moins que la menace cyber est une prĂ©occupation Ă  garder en tĂȘte pour l’Alliance. Comme l’a dit un jour Jean-Paul Delevoye, homme politique français, quand il Ă©tait prĂ©sident du Conseil Ă©conomique, social et environnemental : « Nous sommes dans une guerre numĂ©rique qui rend la paix impossible ».

Outre ces menaces extĂ©rieures, il serait naĂŻf de croire qu’il s’agit des seuls dĂ©fis auxquels l’OTAN doit faire face. La rĂ©alitĂ© d’une organisation composĂ©e de vingt-neuf Etats, aux logiques et intĂ©rĂȘts variĂ©s et dĂ©cidant par consensus, crĂ©e un certain nombre de dissenssions internes qui menacent Ă©galement la cohĂ©sion et la crĂ©dibilitĂ© de l’Alliance.

La question des dĂ©penses de dĂ©fense, Ă©tudiĂ©es plus loin, constitue Ă©videmment une premiĂšre source de tensions entre les Etats-membres et mine la cohĂ©sion interne de l’OTAN. Si l’on considĂšre l’objectif fixĂ© de 2% du PIB, sur lequel nous reviendrons, seuls six pays sur vingtneuf devraient atteindre ce seuil en 2016 [7].

Figure 1 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualitĂ©)- DĂ©penses de dĂ©fense en pourcentage du PIB, par pays

 

De ces disparitĂ©s budgĂ©taires, nonobstant des conjonctures nationales souvent trĂšs diffĂ©rentes, naissent des frictions importantes. Certains pays ont en effet le sentiment de porter Ă  bout de bras le reste de l’Alliance, au bĂ©nĂ©fice des Etats les moins « volontaristes ». Le Portugal, par exemple, est souvent la cible de critiques pour son budget de dĂ©fense : 1,28% du PIB en 2016, dont moins de 10% en investissements majeurs, mais avec le record de l’Alliance pour les dĂ©penses en personnel, Ă  plus de 80% du budget. MalgrĂ© ces faibles chiffres, le Portugal a rĂ©ussi Ă  obtenir la construction d’installations importantes pour l’OTAN, notamment le centre du Retour d’ExpĂ©rience, et vient en complĂ©ment de se voir attribuer, en 2017, la construction d’une Ă©cole des technologies de l’information de l’Organisation [8], au dĂ©triment de l’école existante de Latina en Italie.

Outre ces diffĂ©rends budgĂ©taires, les Etats se divisent selon deux orientations stratĂ©giques diffĂ©rentes, les membres de l’Est Ă©tant davantage focalisĂ©s sur la menace russe, tandis que les Etats du Sud craignent plutĂŽt la menace terroriste islamiste radicale. Le gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers rĂ©sume ainsi ces divergences : « les tensions [
] entre les pays du Sud et ceux de l’Est Ă©taient tangibles sur ce sujet lors de chaque rĂ©union Ă  Bruxelles ces trois derniĂšres annĂ©es » [9].

Finalement, ces menaces externes combinĂ©es aux dĂ©sĂ©quilibres internes constituent des enjeux majeurs auxquels l’OTAN doit continuer Ă  se prĂ©parer. Si l’Organisation veut rĂ©ussir cette adaptation Ă  son environnement actuel et futur, ses membres devront augmenter leur budget de dĂ©fense.

Le guide des 2% du PIB et leur inadaptation Ă  la rĂ©alitĂ© de l’OTAN

Pourtant, depuis la fin de l’URSS, les nations occidentales avaient cherchĂ© Ă  rĂ©colter les fameux « dividendes de la paix » – rĂ©duire les dĂ©penses de DĂ©fense, au profit d’autres secteurs de leur Ă©conomie. Le graphique ci-dessous, tirĂ© d’un communiquĂ© de presse de l’OTAN de 2017 [10], illustre cette baisse gĂ©nĂ©rale Ă  compter de 1989. Le cas des Etats-Unis restant Ă  part [11]), on ne constate une lĂ©gĂšre inflexion de la baisse qu’à partir de 2015, annĂ©e lors de laquelle les dĂ©penses des nations avaient atteint un gouffre historique d’1,40% du PIB en moyenne. C’est-Ă -dire qu’on constate une lĂ©gĂšre hausse depuis 2016, avec une estimation de 1,46% du PIB dĂ©pensĂ©s pour la fin de l’annĂ©e 2017.

Figure 2 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualitĂ©) – DĂ©penses de dĂ©fense en pourcentage du PIB (1989 – 2017)

 

Lors du Sommet du Pays de Galles en septembre 2014, les Etats-membres ont reconnu Ă  nouveau [12] que le niveau des dĂ©penses de dĂ©fense Ă©tait insuffisant pour assurer la sĂ©curitĂ© de l’Europe. Ils ont alors rĂ©ussi Ă  se mettre d’accord sur un tauxde 2% du PIB comme Ă©tant l’objectif Ă  atteindre pour 2024, soit en 10 ans. Car une meilleure dĂ©fense individuelle, et donc une meilleure dĂ©fense collective, passent en grande partie par une augmentation des budgets de dĂ©fense, qui permettent de financer masse salariale, investissements, Ă©quipements, et exercices de prĂ©paration opĂ©rationnelle. Il est intĂ©ressant de noter que d’un point de vue historique, la derniĂšre fois que les pays (hors-USA) Ă©taient Ă  plus de 2% du PIB Ă©tait en 1998, soit 16 ans plus tĂŽt que le Sommet du Pays de Galles, et surtout avant la crise financiĂšre de 2008-2009, dont l’Europe ne s’est toujours pas remise. Le lieutenant-gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain Shepro, vice-prĂ©sident du Conseil Militaire de l’OTAN, a d’ailleurs dĂ©clarĂ© devant les stagiaires de l’Ecole de Guerre, en novembre 2017, qu’il Ă©tait « peu probable que certaines nations, qui font face Ă  d’autres dĂ©fis Ă©conomiques, atteignent l’objectif des 2% en 2024 ».

S’il paraĂźt donc peu probable que les Etats-membres atteignent cet objectif, on peut donc se poser la question de la pertinence mĂȘme de ces 2%.

Comment sont-ils calculĂ©s ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la dĂ©finition de ce qui rentre dans les 2% reste assez floue et, en tous cas, ouverte Ă  interprĂ©tation. En 2017, le Royaume-Uni, l’un des plus ardents dĂ©fenseurs de ce seuil, a d’ailleurs Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre d’un feuilleton mĂ©diatique inattendu [13]), alors que les premiĂšres estimations plaçaient le pays juste en deçà de l’objectif, et que les experts de la Couronne ont dĂ» prendre en compte des dĂ©penses « annexes » pour atteindre pĂ©niblement le graal des 2%.

Ensuite, d’aucuns argumentent – probablement Ă  raison – qu’il ne s’agit pas que d’une question de masse monĂ©taire, mais qu’il faut Ă©galement considĂ©rer comment ces budgets sont dĂ©pensĂ©s, et en quoi cela contribue Ă  renforcer les capacitĂ©s de l’Alliance. Si le sommet de 2014 inclut une clause visant Ă  au moins 20% de dĂ©penses d’investissement dans les Ă©quipements majeurs et la recherche & dĂ©veloppement, ce n’est pas suffisant pour en garantir l’efficacitĂ©. Les inquiĂ©tudes rĂ©centes portent Ă©galement, entre autres, sur les stocks de munitions [14], mais aussi sur les infrastructures lourdes permettant de transporter les unitĂ©s de l’OTAN Ă  travers l’Europe [15]). La question du financement d’exercices nationaux ou interalliĂ©s, la prĂ©paration opĂ©rationnelle des forces de combat et de soutien, a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rapidement brossĂ©e et devrait Ă©galement participer Ă  l’évaluation de la capacitĂ© d’un Etat Ă  se dĂ©fendre individuellement et Ă  contribuer Ă  la dĂ©fense collective. Enfin, il ne faut pas non plus Ă©clipser la valeur non-monĂ©taire qu’un pays peut apporter Ă  l’Alliance. L’Islande, par exemple, a fait le choix de ne disposer d’aucune force armĂ©e, mais fait pourtant partie des membres fondateurs de l’Organisation. Quel est l’intĂ©rĂȘt pour l’OTAN de conserver dans ses rangs un pays comme l’Islande ? Sa situation gĂ©ographique, tout d’abord. SituĂ©e au Nord de l’Atlantique, elle est un territoire important pour les marines de l’Alliance, et sa situation pourrait devenir encore plus critique dans les dĂ©cennies Ă  venir avec la fonte d’une partie de l’Arctique et l’ouverture de nouvelles voies maritimes. Mais l’Islande est Ă©galement importante car elle accueille des radars de l’OTAN constituant l’IADS (Iceland Air Defence System), qui contribuent au systĂšme de surveillance aĂ©rienne et anti-missile de l’Alliance [16].

Par ailleurs, il faut Ă©galement prendre en compte la dissuasion nuclĂ©aire. Si la France se distingue Ă  plus d’un titre [17] au sein de l’organisation, elle est surtout une des puissances nuclĂ©aires de l’Organisation. Comme le dĂ©clarait le gĂ©nĂ©ral Darricot, reprĂ©sentant militaire adjoint de la France Ă  l’OTAN, en novembre 2017, « notre contribution Ă  l’OTAN, c’est d’abord notre dissuasion nuclĂ©aire – certes autonome – qui complique les risques pour un potentiel adversaire ». De l’autre cĂŽtĂ© du spectre, la Turquie est Ă©galement importante pour l’Organisation, non seulement pour sa situation gĂ©ographique, beaucoup plus proche du Moyen-Orient, mais Ă©galement parce qu’en tant que nation majoritairement composĂ©e de musulmans, elle constitue une « caution religieuse » pour l’Organisation [18]. D’autres nations, enfin, offrent par leur localisation des ports sur des mers autrement difficiles d’accĂšs pour les marines des Etats-membres.

Si les dĂ©penses de dĂ©fense participent des capacitĂ©s militaires d’un Etat, on doit donc rechercher une augmentation des budgets de dĂ©fense mais elles ne reprĂ©sentent pas l’unique apport d’un Ă©tat Ă  l’Organisation. Cet apport peut Ă©galement ĂȘtre gĂ©ographique ou immatĂ©riel, et devrait ĂȘtre Ă©valuĂ© pour ce qu’il est.

Premier impératif : définir de nouveaux critÚres

On l’a vu, l’objectif actuel des 2% n’apparaĂźt ni pertinent pour Ă©valuer les capacitĂ©s militaires d’un Ă©tat-membre, ni efficace pour garantir que les signataires s’engageront rĂ©ellement Ă  l’atteindre rĂ©ellement. Il faut donc dĂ©finir une nouvelle direction pour l’OTAN, notamment en Ă©tablissant de nouveaux critĂšres permettant d’évaluer la contribution d’un membre, et en crĂ©ant la possibilitĂ© de sanctions pour les Etats qui ne respecteraient pas les engagements pris en termes de dĂ©penses de dĂ©fense.

L’établissement de ces nouveaux critĂšres serait sans doute un projet long et fastidieux, compte tenu du processus dĂ©cisionnel de l’OTAN par consensus. Mais comme les partisans de l’Organisation aiment Ă  le rappeler, c’est une alliance efficace, qui a su s’adapter [19] et qui n’a jamais connu l’échec au cours de ses soixante-dix annĂ©es d’existence. On peut donc imaginer que cette rĂ©forme aboutirait. Le flou qui entoure actuellement la dĂ©finition des dĂ©penses de dĂ©fense, ainsi que les dĂ©bats sur ce qui contribue Ă  la dĂ©fense de l’Alliance, devront ĂȘtre rĂ©solus si l’OTAN souhaite pouvoir continuer Ă  progresser. En l’état actuel des choses, il paraĂźt incohĂ©rent de dire Ă  l’Allemagne que l’argent investi dans l’aide au dĂ©veloppement Ă  l’étranger, principalement en Afrique [20], ne participe pas aux missions de l’OTAN, quand l’Alliance a adoptĂ© comme l’un de ses principaux mots d’ordre « projecting stability ». Car que fait l’aide au dĂ©veloppement, si ce n’est participer Ă  la stabilitĂ© d’un pays ou d’une rĂ©gion ?

Il faut donc que les Etats-membres mĂšnent une rĂ©flexion approfondie sur la contribution de chacun, en prenant en compte les Ă©lĂ©ments citĂ©s prĂ©cĂ©demment : dĂ©penses de dĂ©fense (selon des critĂšres plus prĂ©cis qu’aujourd’hui), capacitĂ©s critiques qu’elles s’engagent Ă  conserver et Ă  mettre Ă  disposition de l’Alliance (radars islandais, dissuasion nuclĂ©aire), apports immatĂ©riels, situation gĂ©ographique avec mise Ă  disposition d’infrastructures portuaires, aĂ©roportuaires ou militaires. Une fois ces contributions Ă©valuĂ©es, il faut ensuite donner une ambition et, donc, un objectif qui vise Ă  les augmenter ou les amĂ©liorer, avec un calendrier associĂ©. Ainsi, en conservant le principe du consensus, chaque Ă©tat-membre serait reconnu pour sa contribution et pour les efforts qu’il aura Ă  accomplir, l’ensemble permettant de prouver son engagement au sein de l’OTAN et ainsi de renforcer la crĂ©dibilitĂ© globale de l’Alliance.

Second impératif : instaurer la possibilité de sanctions

Pour ce qui est de l’établissement de sanctions, elles permettraient de revenir Ă  une rĂ©alitĂ© intangible de toute organisation : pour fonctionner correctement, elles ont besoin de sanctions pour s’assurer que les membres en respectent les rĂšgles. Il en va de mĂȘme au niveau de chaque Ă©tat oĂč les pouvoirs lĂ©gislatifs et exĂ©cutifs ne suffisent pas : il faut un pouvoir judiciaire pour sanctionner les citoyens ne respectant pas la loi. Au niveau international, l’absence de sanctions, engendre un risque de dĂ©tĂ©rioration des relations entre les Etats. Ainsi l’ONU et l’Union EuropĂ©enne se sont dotĂ©es d’un cadre permettant des sanctions contre les Etats. Car « ĂȘtre indulgent avec un État refusant de tenir ses engagements Ă©tablirait en effet un dangereux prĂ©cĂ©dent » [21]). Dans l’Union EuropĂ©enne, c’est l’article 7 du TraitĂ© sur l’Union EuropĂ©enne (TUE) qui permet, entre autres, de suspendre certains des droits d’un de ses membres. Et dans les situations de tensions, l’histoire rĂ©cente et l’actualitĂ© montrent qu’il s’agit d’un dernier recours parfois indispensable pour faire revenir certains Etats rĂ©calcitrants dans le rang. En juillet 2015, en rĂ©action au rĂ©sultat du rĂ©fĂ©rendum d’Alexis Tsipras (le dirigeant grec nouvellement Ă©lu), « Mario Draghi, [
] actuel prĂ©sident de la BCE, appuyĂ© par Jean-Claude Juncker, prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, et 17 gouvernements coalisĂ©s, menace la GrĂšce, isolĂ©e, d’une expulsion manu militari de la zone euro » [22]. Le 11 juillet 2016, le Parisien dĂ©crivait la situation ainsi : « Il y a un an, le Premier ministre grec Alexis Tsipras capitulait [
]. Aujourd’hui AthĂšnes est rentrĂ©e dans le rang ». Il n’y a que la menace d’expulsion, la menace d’une sanction, qui a rĂ©ussi Ă  faire plier le leader du parti Syriza en 2015. Quant Ă  l’actualitĂ©, l’Union EuropĂ©enne brandit aujourd’hui, « aprĂšs des mois de mises en garde » la menace de l’article 7 du TUE « contre le gouvernement polonais, restĂ© sourd aux demandes d’inflĂ©chir ses rĂ©formes judiciaires controversĂ©es [23]) ».

Mais si on les refuse, quelles seraient les alternatives aux sanctions ? On peut penser qu’on n’obtiendrait que des rĂ©actions potentiellement dĂ©lĂ©tĂšres pour le fondement mĂȘme de l’OTAN. Ainsi, pendant la campagne prĂ©sidentielle de 2016, le prĂ©sident Trump avait menacĂ© l’Europe de devoir se dĂ©fendre elle-mĂȘme [24]) ; en d’autres termes, de rendre l’application de l’article 5 du TraitĂ© de Washington – la dĂ©fense collective – conditionnelle Ă  l’atteinte d’un niveau de dĂ©penses de dĂ©fense satisfaisant. Ces menaces ont Ă©tĂ© reformulĂ©es par le SecrĂ©taire Ă  la DĂ©fense, James Mattis, en 2017, qui annonçait que les Etats-Unis pourraient « modĂ©rer » leur engagement Ă  dĂ©fendre l’Europe. Il y a eu, certes, des rĂ©ponses de certains pays, dont l’Allemagne, en rĂ©action Ă  cette annonce, mais le simple fait de devoir profĂ©rer des menaces sur l’article 5, qui constitue le pilier de l’organisation, nuit Ă  la crĂ©dibilitĂ© de l’Alliance. Si l’Etat le plus puissant de l’Alliance instille un doute sur la qualitĂ© absolue de la dĂ©fense collective, c’est toute l’architecture de la dissuasion et de la crĂ©dibilitĂ© de l’OTAN qui est remise en question.

En outre, en l’absence de sanctions, il est possible que la dĂ©cision d’augmentation du budget de la dĂ©fense de la chanceliĂšre allemande ne soit qu’une annonce politique a minima – un os Ă  ronger – destinĂ©e Ă  dĂ©vier les gesticulations politiques du prĂ©sident amĂ©ricain. Mais comment peut-on garantir que la tendance positive actuelle se maintienne sur le long terme, sans sanction qui pourrait dissuader nos dirigeants politiques de revenir sur leurs engagements ? Car les budgets de DĂ©fense ont souvent Ă©tĂ©, et restent encore aujourd’hui, la variable d’ajustement des exercices budgĂ©taires des dĂ©mocraties occidentales. La logique Ă  long terme des programmes d’armement fait qu’il est plus simple de diminuer les investissements et retarder les livraisons de matĂ©riels majeurs, plutĂŽt que de couper dans les budgets de fonctionnement d’autres ministĂšres, beaucoup moins flexibles. La France n’est pas exempte de ce type de dĂ©cision, comme les Ă©vĂ©nements de l’étĂ© 2017 l’ont prouvĂ©. MalgrĂ© les engagements de campagne du prĂ©sident nouvellement Ă©lu, Emmanuel Macron, et le renouvellement de la cible de 2% du PIB en budget de dĂ©fense d’ici 2024, il avait en effet Ă©tĂ© question d’une rĂ©duction de 850 millions d’Euros pour l’exercice 2018. A nouveau, sans sanction possible contre les Etats-membres, l’OTAN prend le risque de voir certains gouvernements cĂ©der Ă  des problĂ©matiques domestiques, au dĂ©triment de leur contribution Ă  l’Alliance.

Quelles sanctions ?

Maintenant que sont Ă©tablies les bases d’une rĂ©flexion pour dĂ©finir de nouveaux critĂšres d’évaluation des contributions des Etats et que le besoin de sanctions paraĂźt pertinent, il faut Ă©tudier la question des Ă©ventuelles sanctions. Si la sanction ultime, comme vu prĂ©cĂ©demment, est l’expulsion, il est possible de trouver des mesures intermĂ©diaires avant ce qui ne serait qu’un dernier recours. Tout d’abord, on pourrait imaginer que les postes Ă  responsabilitĂ©s les plus importants au sein de la structure de commandement ne pourraient ĂȘtre attribuĂ©s qu’aux membres respectant leurs engagements envers l’Organisation. Si la France, par dĂ©cision du prĂ©sident Sarkozy, a dĂ©cidĂ© de revenir dans la structure de commandement intĂ©grĂ© de l’OTAN en 2009, c’est parce qu’elle comptait peser davantage dans les dĂ©cisions et influer sur les dĂ©cisions qui y sont prises.

Si l’on continue sur la mĂȘme lignĂ©e, on pourrait Ă©galement restreindre l’établissement de structures otaniennes Ă  ces mĂȘmes pays contributeurs – pas de NATO Joint Analysis and Lessons Learned Centre pour le Portugal dans ces conditions ! Voire, aprĂšs plusieurs rappels Ă  l’ordre, envisager un dĂ©mĂ©nagement de ces structures d’un Etat rĂ©calcitrant Ă  un Etat plus engagĂ©. Si l’idĂ©e peut paraĂźtre absurde, il y a au moins un prĂ©cĂ©dent cĂ©lĂšbre : le quartier gĂ©nĂ©ral de l’OTAN a Ă©tĂ© dĂ©mĂ©nagĂ© de la France Ă  la Belgique. Il s’agissait certes plus d’une « expulsion » par la France que d’un « retrait » par l’OTAN, mais cela reste possible, Ă  court ou moyen terme. On pourrait mĂȘme envisager d’aller jusqu’à exclure la nation de l’ensemble du processus dĂ©cisionnel. En revanche, comme abordĂ© prĂ©cĂ©demment, il ne paraĂźt pas pertinent d’envisager une « simple » exclusion du droit Ă  l’article 5 : il s’agit en effet du fondement de l’OTAN, et exclure un pays de cette dĂ©fense collective revient dans le fond Ă  l’exclure de l’Alliance. Cette sanction, l’exclusion totale de l’Alliance, serait donc le dernier recours, la peine ultime.

Les arguments avancĂ©s contre cette mise en place de sanctions, allant jusqu’à l’expulsion, sont essentiellement les risques encourus, tant par l’Alliance que par le pays exclu. Pourtant, il suffit de quelques exemples pour se rendre compte que cette dĂ©cision, si elle venait Ă  ĂȘtre prise, n’aurait en aucun cas les consĂ©quences catastrophiques prĂ©dites par ses dĂ©tracteurs. A l’échelle de l’Etat, pour commencer, une expulsion ne signifierait pas pour autant une destruction assurĂ©e. Certains pays europĂ©ens, tels l’Autriche ou la Finlande, vivent en dehors de l’OTAN sans pour autant avoir cĂ©dĂ© Ă  l’influence russe, et sans se sentir menacĂ©s Ă  un point tel qu’une adhĂ©sion Ă  l’OTAN soit la seule solution pour leur sĂ©curitĂ©. En outre, les autres organisations internationales, ONU et Union EuropĂ©enne notamment, et quelle que soit l’efficacitĂ© qu’on leur reconnaĂźt, fournissent Ă©galement un cadre de protection pour les Etats. Il y a ensuite les accords de dĂ©fense bilatĂ©raux entre Etats qui contribuent Ă  cette sĂ©curitĂ© europĂ©enne, ou la simple volontĂ© politique d’un Etat en particulier. Lors de son discours sur la dissuasion nuclĂ©aire Ă  Istres en fĂ©vrier 2015, le prĂ©sident français François Hollande avait rappelĂ© Ă  ce titre qu’il Ă©tait difficile d’envisager une situation oĂč l’Europe serait menacĂ©e, sans que cela ne menace les intĂ©rĂȘts vitaux de la France [25]. Enfin, on peut imaginer qu’un Etat exclu, qui se sentirait rĂ©ellement menacĂ©, serait alors prĂȘt Ă  reprendre des engagements en vue d’ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ© au sein de l’Organisation, et prĂȘt donc Ă  consentir les efforts nĂ©cessaires.

ParallĂšlement, l’expulsion d’un Etat, circonstance qui devrait rester exceptionnelle si les Etats se sentent effectivement engagĂ©s dans la dĂ©fense collective, ne causerait pas non plus l’effondrement de l’Alliance pour autant. Seule la perte des Etats-Unis pourrait ĂȘtre aussi dramatique, mais comme on l’a vu, l’économie amĂ©ricaine repose trop sur l’industrie de dĂ©fense pour qu’on puisse raisonnablement craindre que les Etats-Unis ne respecteront pas les engagements pris en termes de dĂ©penses de dĂ©fense. L’expulsion d’un membre serait en revanche un moyen de resserrer les rangs et de saisir de nouvelles opportunitĂ©s permises par ce regain de cohĂ©sion interne. Ainsi, avec l’annonce du Brexit pour l’Union EuropĂ©enne, on a assistĂ© Ă  un front quasi-uni contre la Grande-Bretagne – fait rare pour l’UE – et la signature d’un nouvel accord pour l’Europe de la DĂ©fense visant Ă  la mise en place de la PESCO [26]. Il s’agirait Ă©galement d’un rappel Ă  l’ordre pour les gouvernements des Etats-membres des engagements politiques pris au nom de l’OTAN, et participerait Ă  les dissuader de s’en affranchir – sauf Ă  vouloir quitter l’Organisation.

Conclusion

Face aux dĂ©fis externes et internes de l’ùre post-soviĂ©tique, il est donc nĂ©cessaire pour l’OTAN de se rĂ©former en profondeur, bien au-delĂ  des simples adaptations, progressives et consensuelles, que l’Organisation a connues jusqu’à aujourd’hui. Au-delĂ  de l’optimisme politique – politicien ? – de son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, il paraĂźt peu probable que les Etats-membres respectent leur engagement des 2% Ă  l’horizon 2024. Il faut donc rĂ©flĂ©chir Ă  de nouveaux critĂšres permettant de mesurer l’engagement politique des Etats de l’Alliance, et instaurer des mesures coercitives visant Ă  dissuader les gouvernements de se soustraire aux engagements pris. Car si Condoleeza Rice se rĂ©jouissait de la cohĂ©sion de l’OTAN post-septembre 2001 par la formule « It is really good to have friends », on ne peut oublier la maxime, souvent attribuĂ©e Ă  plusieurs personnalitĂ©s anglaises, mais que Charles de Gaulle aurait notamment rappelĂ©e Ă  ClĂ©mentine Churchill : « Une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intĂ©rĂȘts »

References[+]

Par :
Source : Ecole de Guerre
Mots-clefs : budget, OTAN, Russie, Sanctions


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