PRS 2030 : Prospective des réalités sahéliennes en 2030

Mis en ligne le 02 Oct 2017

Cette synthèse de l’étude « Prospective des réalités sahéliennes 2030 » soutenue par le CSFRS entend éclairer les potentialités de développement économique de l’espace sahélien, en identifier les freins comme les leviers mobilisables. La synthèse présente un double intérêt. Elle illustre de façon générale le cheminement méthodique et rigoureux de la réflexion prospective qui permet, au travers de l’élaboration de scénarios ancrés dans le réel, de stimuler la réflexion, le débat et de favoriser la convergence entre acteurs. Elle éclaire pour le cas sahélien plus particulièrement les enjeux et orientations utiles à la définition de politiques d’intervention qui pourront permettre d’accompagner les tendances lourdes à l’oeuvre et d’éloigner le spectre d’un chaos.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Thierry Hommel, « PRS 2030 : Prospective des réalités sahéliennes en 2030 », Thierry Hommel Conseil,  septembre 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site du CSFRS.

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 PRS 2030 : Prospective des réalités sahéliennes en 2030[1]

 

 

Réalisée entre 2016 et 2017, l’étude Prospective des Réalités Sahéliennes 2030 (PRS 2030) s’est donnée pour objectifs :

  • d’évaluer, à horizon 2030, les potentialités d’intégration et de développement économiques de 8 pays : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et le Tchad. Ces huit pays forment un ensemble qualifié de sahélo-saharien : 5 sont directement sahéliens, les 3 autres sont, pour les marchandises notamment, des portes d’entrées sur le Sahel.
  • de repérer les freins et les leviers à cette intégration de l’espace saharo-sahélien.

L’étude est pluridisciplinaire, systémique et prospective. Elle s’est nourrie de l’analyse de travaux d’anticipation, de projets en cours et d’études sectorielles. Elle s’est également appuyée sur une collecte de données de terrain originales. Enfin, PRS 2030 a mobilisé un réseau d’experts et une équipe projet expérimentée associant analystes et praticiens du développement. Le projet a débouché sur la production de quatre scénarios contrastés.

Source : Galeazzi Greta, Helly Damien, « Les Stratégies Sahel en perspective — Troisième conférence des donateurs sur le Mali. Avantages comparatifs ou jungle de coopération internationale ? », European Centre for Development Policy Management (ECDPM), 2014. URL : http://ecdpm.org/fr/talking-points/strategies-sahel-perspective-troisieme-conference-donateurs-mali/.

 

Dix variables

Les scénarios sont produits en considérant les évolutions potentielles de 10 variables sélectionnées après discussion avec nos experts. Ces variables influencent les possibilités d’une intégration économique, ses formes potentielles comme ses modalités d’organisation. Pour chacune, une fiche variable, reprenant la définition du sujet, les enjeux clefs afférents et les tendances d’évolution à horizon 2030 (tendances lourdes, signaux faibles de changement et incertitudes) a permis de produire des hypothèses prospectives. Les variables considérées dans PRS 2030 sont :

  1. la démographie,
  2. la sécurité,
  3. le marché du travail,
  4. les finances publiques et les marchés financiers,
  5. les activités productives,
  6. les identités,
  7. les normes et standards,
  8. l’offre, la demande et la gestion des ressources naturelles et de l’environnement,
  9. les infrastructures,
  10. les services publics.

Quatre scenarios

Les quatre scénarios cherchent à faire état de différentes trajectoires de développement possibles pour cet espace. Ils sont volontairement contrastés et portent les intitulés suivants :

  1. La vie rêvée des émergences
  2. Marasme : une crise économique, politique et sociale renforcée
  3. Islamisation et réorientation géopolitique et économique en faveur des Etats du Golfe et des BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du sud, Russie)
  4. Hybridation des valeurs et des partenaires du développement

Les scénarios projettent des modalités d’organisation politiques et économiques différentes de l’espace saharo-sahélien à l’horizon 2030. Ces modes d’intégration résultent de la combinaison de valeurs individuelles et collectives et de modalités d’organisation des économies qui sont représentées avec leurs caractéristiques, en abscisse et en ordonnée du cadran ci- après :

Scénario 1 – La vie rêvée des émergences suggère une intégration axée sur modernisation économique et libéralisme politique.

Dans ce scénario :

  • les populations vivent mieux et accèdent aux services de base.
  • les villes principales et secondaires mieux structurées génèrent des opportunités d’emploi dans le secteur économique moderne et facilitent l’innovation des structures économiques informelles.
  • les économies se sont diversifiées. Le secteur bancaire et le marché financier régional accompagnent ces transformations structurelles.
  • le sentiment de citoyenneté s’est développé en proportion des stratégies déployées par les gouvernants.
  • la sécurité physique des personnes est assurée et le salafisme est contenu.
  • la démocratie et l’épanouissement des libertés individuelles sont devenus un projet de société.

 La CEDEAO est le moteur de l’intégration régionale. Elle s’est élargie : le Maroc est membre, la Mauritanie a redemandé son adhésion.

Dynamique, l’institution:

  • contribue à homogénéiser les normes en vigueur dans les huit pays considérés. Ils disposent d’une monnaie commune, issue de l’ex FCFA de l’UEMOA qui s’est fondue dans la CEDEAO;
  • met en œuvre les grands chantiers communautaires qui concernent principalement le transport, la production et la distribution d’énergie, la sécurité et l’éducation.

L’intégration est renforcée par l’interconnexion physique des réseaux de transport et d’échange d’énergie, des modalités de gestion de l’environnement, des crises sanitaires et de la sécurité sanitaire, avec néanmoins deux différentiations envisageables :

  • V1 : l’intégration a poussé les Etats à envisager leur développement économique dans la complémentarité.
  • V2 : l’intégration reste politique mais la fédération des Etats nation reste fortement attachée à la souveraineté et n’agit pas en complémentarité sur le plan économique.

Des instances ad hoc fonctionnelles permettent aux pays de coopérer afin de mieux appréhender certains enjeux sectoriels (G5 Sahel sur la sécurité et le développement, CILSS pour la sécheresse et les enjeux de sécurité alimentaire).

 

Scénario 2 – Marasme dessine une intégration axée sur des modalités d’organisation économiques traditionnelles et la prédominance d’un islam rigoriste.

Dans ce scénario :

  • la croissance, la diversification et la transformation structurelle des économies sahéliennes programmées après 2010 ne se sont pas réalisées ; les économies restent essentiellement informelles, le secteur moderne n’est toujours pas un important pourvoyeur d’emplois, et la capacité de création de PME structurées reste limitée.
  • les valeurs traditionnelles (appartenance religieuse, familiale, ethnique) prennent le pas sur la construction d’Etats nation modernes.
  • un conflit de normes religieuses oppose les tenants d’un islam malékite aux salafistes quiétistes et à l’islam politique. Ces derniers gagnent du terrain en Mauritanie et au Mali. Ils sont également présents dans l’opposition au Tchad et au Niger, très encadrés en Côte d’Ivoire et combattus au Sénégal et au Nigéria. Cette présence y entrave la construction d’Etats modernes.
  • Les Etats s’appuient sur la solidarité des associations islamiques pour assurer la subsistance des populations pauvres et des personnes vulnérables. Les systèmes de solidarité religieuse et traditionnelle continuent de se développer en creux de l’absence d’action des pouvoirs publics. Ces derniers ne disposent pas des moyens nécessaires au financement de l’accès aux services de base pour les populations vulnérables : la dégradation des finances publiques a été renforcée par la détérioration des termes de l’échange.
  • Le financement du développement s’appuie de moins en moins sur les partenaires traditionnels. Les marchés financiers, la Banque Islamique de développement, les appuis des pays du Golfe servent de guichets alternatifs. Ils n’imposent pas les mêmes conditionnalités aux prêts. Les pays du Golfe financent abondamment la construction de mosquées et l’envoi d’Imams alors que les partenaires traditionnels diminuent leur participation à l’aide publique au développement.

 La CEDEAO existe en tant qu’entité « rhétorique »:

  • la volonté politique est faible et ses capacités d’action n’ont pas été renforcées,
  • le projet de monnaie commune n’a pas été mis en œuvre, la proportion des échanges entre pays est restée faible et les Etats membres n’appliquent pas le tarif extérieur commun (Tec-CEDEAO),
  • la sécurité physique des personnes reste précaire sur les corridors de transport. Elle est quasi nulle dans certaines enclaves ‘administrées’ par des groupes djihadistes armés,
  • les grands chantiers communautaires (transport, énergie, sécurité, éducation) avancent au ralenti, d’autant plus que des dissensus s’expriment entre les Etats qui résistent au salafisme (Sénégal, Côte d’Ivoire), ceux qui cherchent à le combattre en interne (Burkina, Niger, Tchad) et ceux qui l’adoptent (Mauritanie, Mali),
  • le ralentissement de la croissance sous régionale, essentiellement du à la baisse des cours des matières premières et à la présence renforcée de la mouvance salafiste djihadiste ont conduit le Maroc à freiner son intégration à la CEDEAO.

La faible intégration politique (les Etats restent fortement attachés à la souveraineté) se double d’une mise en concurrence économique : les pays cherchent à diversifier leurs économies sans tenir compte de leurs complémentarités : ils limitent ainsi la possibilité de créer des chaînes de valeur régionale bien intégrées et compétitives à l’échelle internationale.

Des instances ad hoc permettent théoriquement aux pays de coopérer autour d’enjeux ciblés (G5 Sahel sur sécurité et développement, CILSS pour la sécheresse et les enjeux de sécurité alimentaire) mais elles manquent cruellement de moyens.

 

Scénario 3 Ré-islamisation et réorientation vers BRICS et les pays du Golfe suggère une intégration régionale stimulée par une réorientation des partenariats économiques et l’adoption d’une identité islamique.

Dans ce scénario :

  • la croissance, la diversification et la transformation structurelle des économies sahéliennes ne se sont pas réalisées aux rythmes programmés, mais les résultats économiques sont nettement supérieurs à ceux du scénario précédent. En dépit des amorces de décentralisation, l’aménagement des territoires reste imparfait.
  • Les populations sont plus urbanisées et restent jeunes. Légèrement renforcé, l’accès aux services de base reste éloigné de l’universalité visée par les plans de réduction de la pauvreté en 2015.
  • Un conflit de normes religieuses oppose les tenants d’un islam malékite aux mouvances salafistes (salafisme quiétiste et islam politique). Ces derniers dominent en Mauritanie et au Mali, où ils sont officiellement représentés sur le plan politique et participent à la coalition gouvernementale ; ils siègent aussi au parlement au Nigéria et au Burkina Faso, alors qu’ils existent illégalement au Tchad et au Niger. Moins présents au Sénégal et en Côte d’Ivoire, leur développement y fait néanmoins l’objet d’une étroite surveillance.
  • Les valeurs traditionnelles coexistent avec la volonté de construire des Etats modernes. Le principal, ou seul point d’accord officiel entre les tenants d’un Etat moderne et les adeptes de la mouvance salafiste quiétiste et de l‘islam politique réside dans le combat du djihadisme. La coexistence des valeurs traditionnelles et des approches occidentales est conflictuelle sur les questions de droits des femmes, de libertés politiques et sexuelles, de construction et de régulation des marchés financiers.
  • Partiellement, réinscrites et réappropriées par les salafistes quiétistes, les valeurs traditionnelles prennent le pas sur l’Etat moderne et laïque et réorientent la gestion des affaires publiques : les valeurs religieuses se sont immiscées dans le discours politique.
  • Les Etats s’appuient sur la solidarité des associations islamiques pour assurer la subsistance des populations pauvres et vulnérables. Du fait de la dégradation des termes de l’échange, les pouvoirs publics ne disposent pas des moyens prévus pour financer les filets sociaux qui sont pris en charge par des associations salafistes soutenues financièrement par les Etats du Golfe.
  • L’aide au développement mobilise de moins en moins les partenaires traditionnels (Nations Unies, FMI, Banque mondiale, etc.). Les marchés financiers, la Banque islamique de développement et les pays du Golfe, servent de guichets alternatifs. Sachant qu’ils n’imposent pas les mêmes conditionnalités aux prêts, les bénéficiaires peuvent organiser leur développement en s’écartant des visions et objectifs des donneurs traditionnels. Ces détachements conduisent à une moindre attention portée à l’émancipation des femmes et aux libertés politiques. Les partenaires commerciaux comme la Chine, l’Inde ont gagné du terrain dans des domaines d’activités technologiques autrefois chasses gardées (BTP, numérisation des services, télécommunication, automobile, etc..) et leurs entreprises remplacent les opérateurs économiques occidentaux. Les pays du Golfe financent abondamment la construction de mosquées et l’envoi d’Imams tout en injectant de l’argent dans le développement d’activités économiques (agriculture, activités minières, etc.).

 Dynamique, la CEDEAO cristallise les affrontements entre courants religieux :

  • la coopération sécuritaire est renforcée pour lutter contre le Djihad,
  • la sécurité physique des personnes sur les corridors de transport est garantie,
  • non consolidée, l’intégration monétaire apparaît inéluctable avant 2050. La finance islamique y est très développée.
  • les grands chantiers communautaires (transport, énergie, sécurité, éducation) ont été ralentis par la croissance modeste et les problèmes sécuritaires mais n’ont pas été abandonnés.
  • La présence du Maroc joue un rôle important dans la construction des capacités bancaires et dans le maintien du dialogue avec les partenaires occidentaux. Il s’agit de l’économie la plus diversifiée de la CEDEAO, elle exporte ses biens et services dans l’espace communautaire. Associé au Sénégal, le Maroc est également la tête de pont de la lutte idéologique contre le salafisme.

Du fait du mimétisme stratégique des pays considérés, l’intégration économique est faible. En ayant opté pour des choix stratégiques plus homogènes que complémentaires, ils ont limité les capacités de construction de chaînes de valeur régionales.

 

Scénario 4 – Hybridation des valeurs et des partenaires du développement suggère  une intégration fondée sur la diversification des partenaires du développement et l’adoption renforcée d’une identité islamique.

Dans ce scénario :

  • la croissance, la diversification et la transformation structurelle des économies sahéliennes ne se sont pas réalisées aux rythmes programmés mais la diversification est tout de même perceptible.
  • Les valeurs traditionnelles coexistent avec la volonté de construire des Etats modernes intégrés dans un espace régional. En dépit des amorces de décentralisation engagées à partir des plans de réduction de la pauvreté, l’aménagement des territoires reste à parfaire.
  • Les populations sont plus urbaines et jeunes. Elles bénéficient d’un accès amélioré aux services de base, dans des proportions qui restent éloignées des objectifs ciblés par les plans de réduction de la pauvreté conçus dans les années 2010.
  • Un conflit de normes religieuses oppose les tenants d’un islam malékite aux salafistes quiétistes et à l’islam politique. Ces derniers gagnent du terrain et sont présents dans l’opposition en Mauritanie, au Mali, au Nigéria et au Burkina Faso, très encadrés en Côte d’Ivoire et combattus au Sénégal, au Niger, au Tchad. Cette tendance en expansion contribue à façonner une identité islamique aux populations mais se heurte aux tenants d’une modernité occidentale, souvent issus des classes moyennes urbanisées. Le principal point d’accord entre ces deux conceptions polaires du développement est le combat d’un Djihadisme contenu mais non éradiqué. Sur les autres domaines, la coexistence de ces valeurs n’est pas toujours harmonieuse, et achoppe sur les questions de droits des femmes (modalité de la succession, nature de l’autonomie), de libertés politiques et sexuelles, de pratiques financières, sans qu’une rupture soit consommée : les débats se poursuivent. De façon générale, les valeurs religieuses se sont immiscées dans le discours politique. Les partenaires occidentaux continuent de financer le développement, notamment dans le secteur de la sécurité : la présence du Maroc, et, à moindre degré, celles du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, qui font contrepoids aux Etats du Golfe, sont des facteurs rassurants pour les occidentaux.
  • Les Etats s’appuient sur la solidarité des associations islamiques pour assurer la subsistance des populations pauvres et des personnes vulnérables. Les systèmes de solidarité religieuse et traditionnelle continuent de se développer en creux de l’absence d’action des pouvoirs publics qui ne disposent pas des moyens pour financer des filets sociaux efficaces du fait de la dégradation des termes de l’échange.
  • Le développement ne s’appuie plus uniquement sur les partenaires traditionnels. Les marchés financiers, la Banque Islamique de développement, la Nouvelle banque de développement et les appuis des pays du Golfe servent de guichets alternatifs et ne posent pas les mêmes conditionnalités aux prêts. Les pays peuvent par conséquent s’écarter ou menacer de s’écarter des préceptes libéraux de la Banque mondiale et du FMI. Ces détachements conduisent à une moindre attention portée à l’émancipation des femmes. Les pays du Golfe financent abondamment la construction de mosquées et l’envoi d’Imams alors que les partenaires traditionnels concentrent l’aide sur des enjeux consensuels : infrastructures, sécurité. Les partenaires commerciaux comme la Chine, l’Inde ont gagné du terrain dans des domaines d’activités technologiques autrefois chasses gardées (BTP, numérisation des services, télécommunication, automobile, etc..) des partenaires traditionnels du développement. Cette concurrence des aides et des opérateurs économiques augmente le pouvoir de négociation des Etats concernés.

La CEDEAO est devenue dynamique :

  • la coopération sécuritaire est renforcée,
  • la sécurité physique des personnes est garantie sur les corridors de transport,
  • l’intégration monétaire est programmée et apparaît désormais inéluctable avant 2050,
  • les grands chantiers communautaires (transport, énergie, sécurité, éducation) ont été ralentis par la croissance modeste, mais l’intégration se poursuit.
  • La présence du Maroc joue un rôle important : il s’agit de la première économie de la CEDEAO en termes de diversification. Le Maroc vend ses biens et services dans l’espace communautaire et joue un rôle important dans l’accomplissement d’une modernité islamique alternative au salafisme.

Des instances ad hoc hors institutions internationales permettent aux pays de coopérer sur des enjeux uniquement sectoriels (G5 Sahel sur sécurité et développement, CILSS pour la sécheresse et les enjeux de sécurité alimentaire) mais elles manquent encore de moyens pour assumer leurs rôles.

L’intégration économique est complexifiée par le mimétisme stratégique des pays considérés. Ils optent pour des choix stratégiques plus homogènes que complémentaires qui limitent les capacités de construction de chaînes de valeur régionales.

 

Quatre recommandations

Au regard des scénarios, des recommandations ont été produites. Du point de vue européen, deux des scénarios, qui permettent de maintenir une présence économique, politique et culturelle au sein de l’espace considéré, apparaissent plus désirables que les deux autres.

Ces scénarios sont :

  • La vie rêvée des émergences et
  • Hybridation des valeurs et des partenaires du développement.

La vie rêvée des émergences représente l’objectif d’intégration visé par les plans de développement et les stratégies des bailleurs, le scénario d’hybridation s’en écarte mais suggère des évolutions qui restent compatibles avec le maintien et le développement renouvelé de partenariats entre l’Union européenne et les huit Etats considérés. Les deux autres suggèrent soit un échec total des stratégies de réduction de la pauvreté et une situation d’instabilité qui en résulte, soit une trajectoire d’évolution qui s’émancipe des cadres consacrés du développement. Si l’on peut considérer que ces deux derniers scénarios sont a priori néfastes aux intérêts des pays considérés, ils le sont à coup sûr pour l’Union européenne qui verrait son positionnement économique fragilisé et ses influences culturelles et politiques diminuées.

Afin de les éviter, l’étude suggère de :

  1. Concentrer les moyens de l’aide et d’éviter la forte dispersion des stratégies et des moyens. Dans une perspective européenne, cela suppose de réunir les appuis bilatéraux et multilatéraux autour d’une stratégie intégrée. Le cadre stratégique actuellement retenu par l’Union Européenne propose trois grandes orientations qu’il est essentiel de financer :
  • l’amélioration des capacités institutionnelles des Etats sahéliens ;
  • la nécessité du renforcement de la coopération régionale autour des enjeux de la sécurité et de développement au Sahel ;
  • l’indissociabilité des questions de sécurité et de développement au Sahel.

Pour la mettre en œuvre, les Etats membre, France en tête, devront mieux coopérer et renouveler leur conception de l’aide. L’aide française est principalement distribuée par le canal des institutions multilatérales et onusiennes qui captent environ 1,7 milliard sur les 2,8 milliards de l’effort budgétaire national. En matière de dons, l’aide bilatérale de la France s’établit annuellement à environ 200 millions d’euros, réparti entre 16 pays. La part des prêts a fortement augmenté : bonifiés, leur volume représente 900 millions, qu’il faudrait diviser par douze pour appréhender les montants réellement injectés. Avec 200 millions annuels pour 16 pays, la France ne peut, selon Serge Michailof[2], que pratiquer le saupoudrage alors que le sahel traverse une crise profonde. Pour augmenter l’efficacité de l’aide, il apparaît indispensable de réunir rapidement les moyens français, européens, et ceux des partenaires au développement porteurs d’une philosophie analogue et de les concentrer sur les espaces/enjeux stratégiques jugés prioritaires. Dans cet esprit, la création d’un fond spécial abondé par un premier versement français de 200 millions suivi des autres Etats membres de l’Union permettrait d’augmenter les moyens de financement de la stratégie intégrée. Serge Michailof estime que l’effet de levier de ces 200 millions pourrait aller jusqu’à 1 milliard d’euros par an.

  1. Réunir les expertises : de nombreuses expertises sont disséminées dans les institutions de recherche, les administrations nationales et les agences d’aide, les ONG internationales. Il est essentiel de les réunir, de les confronter, afin de mieux cibler les priorités stratégiques et les modalités d’action à retenir. La France et les partenaires de l’Union gagneraient par ailleurs à mieux identifier les intellectuels et acteurs du développement sahélien, qui disposent de regards documentés sur l’espace considéré. La réunion de cette expertise suppose certainement la création d’un espace dédié, ou l’élargissement des missions et des moyens de l’un des espaces d’accueil de ces expertises fragmentées.
  1. Cibler des interventions stratégiques intégrées aux priorités exprimées par les stratégies européennes. La faiblesse des moyens mobilisés sur les priorités stratégiques identifiées conduit à une faible efficacité de l’aide. Les diagnostics mettent en évidence des domaines d’intervention clefs :
  • le renforcement des capacités institutionnelles des Etats, dont le secteur de la sécurité au sens large (lutte anti terrorisme, lutte contre la criminalité, lutte contre l’incivisme).
  • L’appui aux activités productives par le soutien du développement rural et de la montée de l’entreprenariat à travers une vision intégrée visant la réunion des moyens logistiques, du capital et des compétences nécessaires à l’amorce d’activités économiques.
  • L’appui au secteur sociaux pour soutenir les plus vulnérables en lien avec la philosophie des Etats membre de l’Union : appui au secteur de la santé et de l’éducation formelle, de base et professionnelle, qui, à terme, est menacée d’éviction au profit de systèmes d’éducation incompatibles avec l’idée d’état moderne, et dont la multiplication et la diversité des référentiels menace la capacité à créer une identité plurielle et citoyenne dans l’aire d’étude.
  1. Rechercher des alliances stratégiques avec les partenaires émergents des pays sahéliens. Le Sahel est traversé par une crise profonde. Cette crise s’explique en considérant l’effacement des Etats, la vulnérabilité d’un grand nombre de personnes et la montée en puissance d’une norme religieuse importée dont certains préceptes heurtent radicalement la philosophie des bailleurs traditionnels. Pour mieux saisir les lignes de fractures entre protagonistes et, éventuellement, les résorber, le maintien d’un dialogue avec ces Etats est vital. Il convient aussi d’identifier in situ et aux abords de l’espace saharo-sahélien des partenaires pour limiter l’empreinte grandissante de la mouvance salafiste. De ce point de vue, les européens gagneraient à renforcer encore leurs interactions avec le Royaume du Maroc qui représente une alternative à l’expansion du salafisme et un vecteur d’intégration économique de l’espace. Il est tout aussi souhaitable de ne pas occulter l’Algérie qui dispose de moyens d’intervention et de renseignement militaires conséquents. La façon dont l’Union européenne appuie les institutions régionales concernées (UEMOA, CEDEA, G5-Sahel) dans les domaines du renforcement de la coopération régionale devra également faire l’objet d’une réflexion intégrée à l’échelle européenne.

 

References[+]


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