Face à Daech, l’étrange victoire

Mis en ligne le 25 Mar 2019

Cet article relativise la portée de la victoire militaire contre Daech, en soulignant la capacité d’adaptation et de rebond de cette mouvance djihadiste. Ce constat illustré et complété par celui de l’activité menée par d’autres groupes djihadistes, invite selon l’auteur à la prudence et à ne pas « baisser la garde », que ce soit sur le plan international ou national.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: «Face à Daech, l’étrange victoire» par Marc Hecker, directeur de recherche à l’IFRI et enseignant associé à Sciences Po pour le site The Conversation.

Ce texte est reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et du site The Conversation.


Face à Daech, l’étrange victoire

Marc Hecker, Sciences Po – USPC

À son apogée, Daech contrôlait près du tiers de l’Irak et la moitié de la Syrie. Après avoir perdu Mossoul et Raqqa en 2017, l’organisation est en passe d’être chassée de son dernier réduit, une zone étroite située entre l’Euphrate et la frontière syro-irakienne.

En décembre 2017, le premier ministre irakien, Haider al-Abadi, annonçait la « victoire finale » et la « fin de la guerre contre Daech ». Le mois suivant, Donald Trump faisait lui aussi des déclarations triomphales lors de son discours sur l’état de l’Union.

Si le califat proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi s’est effectivement effondré, crier victoire est largement prématuré. La lutte contre le terrorisme promet d’être longue, tant à l’extérieur de nos frontières que sur le territoire national.

Des victoires en trompe-l’œil

Plusieurs fois, par le passé, les Occidentaux ont pensé tenir leur victoire face au djihadisme. Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont lancé un ultimatum aux talibans pour qu’ils ferment les camps d’entraînement d’Al Qaïda et livrent les dirigeants de l’organisation terroriste aux autorités américaines. Les talibans n’ayant donné suite, les États-Unis et leurs alliés déclenchèrent une opération militaire de grande ampleur. En quelques semaines, le régime des talibans fut balayé, les camps d’entraînement détruits et de nombreux combattants d’Al Qaïda tués.

La victoire paraissait nette. Et pourtant, Al Qaïda – bien que très affaiblie – n’avait pas disparu. Le groupe terroriste a muté, misant sur une stratégie de décentralisation pour survivre. Cette décentralisation a pris deux formes. D’une part, le déversement de propagande et de conseils tactiques sur Internet afin de susciter des vocations djihadistes. D’autre part, l’adoubement de groupes affiliés dans différentes régions du monde.

Al Qaïda a pu se relancer avec la guerre en Irak de 2003. L’insurrection qui a suivi la chute du régime de Saddam Hussein a rapidement pris une dimension djihadiste. En 2004 a été créée Al Qaïda en Mésopotamie, la première « filiale » de l’organisation d’Oussama Ben Laden. Dirigée par Abou Moussab al Zarqaoui, elle s’est notamment distinguée par ses attentats anti-chiites et ses décapitations d’otages diffusées sur Internet.

Après la mort de Zarqaoui, en 2006, Al Qaïda en Mésopotamie est devenue l’État islamique d’Irak et a connu d’immenses difficultés. Ces dernières étaient essentiellement liées à l’incurie de ses nouveaux dirigeants et au renforcement de la répression. Après la mobilisation des tribus sunnites de la province de l’Anbar et après l’arrivée de renforts américains, l’État islamique d’Irak s’est retrouvé au bord du gouffre.

Au moment de l’élimination de ses deux principaux chefs en 2010, le groupe semblait moribond. Pourtant, il a su renaître de ses cendres, à la faveur notamment des révoltes arabes de 2011 et de la politique discriminatoire à l’égard des sunnites conduite par le gouvernement irakien de l’époque. Personne n’aurait pu prédire en 2010 qu’Abou Bakr al-Baghdadi, nouvel émir d’un État islamique d’Irak en bien mauvaise posture, annoncerait quelques années plus tard la restauration du califat.

Une mouvance djihadiste qui reste vivace

Aujourd’hui, la prudence reste de mise pour au moins trois raisons.

Premièrement, Daech continue d’opérer clandestinement sous forme de guérilla. À la mi-2018, Le Pentagone estimait que l’organisation terroriste conservait environ 30 000 combattants en zone syro-irakienne.

Par ailleurs, Daech est actif dans d’autres zones. Sa propagande insiste particulièrement sur ses actions en Afghanistan, en Égypte et au Yémen. Dans son livre The Islamic State in Khorasan, le chercheur Antonio Giustozzi montre que la dimension internationale de l’État islamique ne relève pas du simple effet de marque. Des transferts de cadres, de combattants et de fonds ont eu lieu pour tenter de répliquer le modèle syro-irakien dans d’autres régions.

Deuxièmement, la mouvance djihadiste ne se limite pas à Daech. Al Qaïda est toujours présente. En Syrie, par exemple, un groupe de 2 à 3 000 combattants – Tanzim Hurras al-Din – est fidèle Al Qaïda. En outre, il faut se méfier d’autres structures qui ont été liées à Al Qaïda avant de rompre officiellement avec elle. C’est le cas, par exemple, d’Hayat Tahrir al Sham qui contrôle actuellement la région d’Idlib.

Au-delà de la zone syro-irakienne, Al Qaïda dans la Péninsule arabique compterait, selon l’ONU, plusieurs milliers de combattants. Dans la bande sahélo-saharienne, Al Qaïda au Maghreb islamique a formé une alliance avec des groupes locaux appelée le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Les forces de sécurité – y compris les Casques bleus – sont régulièrement attaquées. En outre, une insurrection semble émerger au sud de la boucle du Niger, dans des zones peuplées notamment de Peuls.

En France, un calme précaire

Troisièmement, sur le sol français règne un calme relatif qui pourrait n’être que temporaire. Entre janvier 2015 et juillet 2016, 238 personnes ont été tuées sur le territoire national dans des attaques terroristes. D’août 2016 à la fin 2018, le terrorisme a fait 13 victimes supplémentaires. Le fait qu’il y ait nettement moins de victimes depuis deux ans ne traduit pas une baisse de la volonté de frapper la France. En effet, de nombreux attentats ont été déjoués.

En outre, environ 150 individus condamnés pour des faits de terrorisme se trouvent aujourd’hui en prison. 80 % d’entre eux seront libérés d’ici la fin 2022, dont certains « revenants » de zone syro-irakienne. Les prisons comptent aussi plusieurs centaines de prévenus ou accusés en attente de procès pour terrorisme et plus de 1000 détenus suspectés de radicalisation.

En somme, en dépit de l’effondrement du proto-Etat créé par Daech au Levant, la mouvance djihadiste est loin de péricliter. Par le passé, elle a prouvé sa capacité de transformation et de régénération. Elle a aussi montré son aptitude à profiter des chocs géopolitiques et à créer des surprises stratégiques. Tirons les leçons de ces expériences et ne baissons pas la garde !


L’auteur vient de publier avec Elie Tenenbaum, « Quel avenir pour le djihadisme ? Al Qaïda et Daech après le califat », Focus stratégique, n°87, Ifri, janvier 2019.The Conversation

Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


 

 

 


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