Réflexions doctorales sur les ressources

Mis en ligne le 18 Juil 2019

Cet article nous livre les points saillants des réflexions menées lors de la rencontre « Doctoriales transdisciplinaires des ressources » du 29 mars 2019, organisée par le groupe Recherche-Ressources et soutenue par le CSFRS. Les auteurs s’interrogent sur la notion même de ressource, à la fois construction sociale et matière. Ils s’intéressent en particulier à l’immersion de la ressource dans une temporalité et dans un contexte technique, ou encore à sa chaîne de valeur comme aux conditions contemporaines de son exploitation.


 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: « Réflexions doctorales sur les ressources – retour sur les Doctoriales 2019 » par Audrey Serandour et Wahel Rashid.


La notion de ressource nécessite une véritable réflexion. D’une part, parce que sa définition varie selon le regard qui est porté sur cet objet, tantôt élément géologique ou chimique, tantôt enjeu social et politique. Cela implique de croiser les approches, méthodologiques et théoriques, pour mettre en lumière la diversité des enjeux liés aux ressources. D’autre part, parce que la notion de ressource soulève une grande diversité de thématiques. Source de relations de pouvoir, mais aussi situées au cœur du rapport entre nature et société, les ressources s’inscrivent également  dans un contexte actuel de changement climatique, synonyme de transition écologique. Entre défis et enjeux méthodologiques, il convient donc d’interroger l’objet ressource.

Méthode et transdisciplinarité

Si la plupart des intervenants de la journée sont géographes, cela ne signifie pas que les recherches autour de la question des ressources soient l’apanage de la géographie, mais plutôt que le dialogue entre discipline reste parfois difficile. Il est possible et pertinent de croiser les approches des différentes sciences sociales, mais aussi de croiser ces dernières avec des sciences dures. Ainsi, la méthode d’analyse des flux de matières (AFM), qui est passé de la médecine à l’économie devient un outil méthodologique en science politique. Cette amorce mériterait d’être poursuivie.

Au cours des Doctoriales 2019, thèmes et problématiques similaires ont été abordés par des disciplines proposant des focales diverses. La perspective économique porte une attention particulière à la question des flux et des chaînes de valeur. La géographie n’est pas la seule discipline à ancrer le réel dans l’espace, mais apporte une grille d’analyse intéressante en mettant l’accent sur les jeux d’échelles. Enfin, la science politique et la sociologie développent des analyses fines, qui peuvent inspirer les autres disciplines, sur le fonctionnement des institutions, sur les acteurs et leurs stratégies. Parallèlement, il a été constaté que pour décrire un même phénomène, chaque discipline propose parfois son propre concept. Ainsi, les « représentations » des géographes correspondent aux « référentiels » dont se servent les politistes et aux « visions sociales » qui sont mobilisées par la sociologie. Il convient donc de s’attarder sur les nuances que met en exergue chacun de ces concepts, afin d’enrichir les réflexions et perspectives de recherche.

Comment appréhender les ressources ?

Lorsque l’on s’attarde sur la notion de ressource, un réel enjeu définitionnel apparaît. Sur ce point, un élément fait consensus : les ressources sont une construction sociale [1].En effet, une matière naturelle devient ressource à partir du moment où un acteur lui accorde une valeur, qui est liée à un besoin et émerge dans un contexte  politique, économique, social et symbolique spécifique ; et à partir du moment où il est capable de mobiliser une technique pour mettre la matière en valeur. D’où la nécessité de prendre en compte les acteurs, ainsi que leur discours, représentations et stratégies. Une question doit systématiquement être posée par le chercheur : pour qui telle matière constitue-t-elle une ressource ? Cela signifie-t-il qu’il s’agit forcément d’une richesse pour l’ensemble des acteurs concernés ou impactés ? Les externalités positives et négatives apparaissent inégalement réparties entre les acteurs. Il y a des gagnants et des perdants dans le processus de construction et de valorisation d’une ressource. Ainsi, chaque acteur se construit une certaine représentation de la ressource. Ces représentations peuvent alors entrer en confrontation, et même entrainer des conflits. L’existence de conflits de représentations, voire de luttes entre acteurs autour d’une ressource et de son accès participe finalement de son processus de construction et de définition. D’ailleurs un certain nombre de travaux portant sur les ressources minières privilégient cette entrée par les conflits sociaux, qui constituent des lieux de redéfinition de la régulation des ressources, mais aussi des relations nature-société et des pratiques de l’espace [2].

Toutefois, il paraît important de rappeler qu’une ressource n’est pas uniquement une construction sociale. Le phosphate, l’eau, l’argan ou encore le gaz sont avant tout des matières. Cette perspective matérialiste nous rappelle que la dimension tangible de la ressource impose, elle aussi, des contraintes aux acteurs. La matière est une contrainte constitutive de toute ressource (Bakker, Bridge, 2006). Cette contrainte réside notamment dans la localisation des gisements, mais aussi dans leur accessibilité, leur exploitabilité ou encore leur quantité limitée. De plus, chaque matière dispose de propriétés et d’attributs biophysiques qui la caractérisent et que les société humaines pourront mettre en valeur ou non selon leurs capacité techniques, leurs besoins et leurs pratiques. La dimension matérielle d’une ressource implique également qu’il faille parfois penser une ressource en interaction avec d’autres, que ces relations soient des relations de concurrence ou de complémentarité. Le cobalt l’illustre parfaitement : dans la nature, cet élément chimiques est généralement mêlé à du cuivre et du nickel, ce qui implique une co-production de ces différents éléments, qui sont récupérés conjointement. S’intéresser aux enjeux liés à la ressource cobalt nécessite donc de prendre en considération les autres matières qui lui sont associés d’un point de vue physique.

Des ressources mondialisées

Enfin, le dernier axe ayant nourri les réflexions porte sur la dimension mondiale des processus et dynamiques observés autour des ressources. En effet, la technique et les infrastructures, qui participent à la construction d’une ressource contribuent aussi à leur mise en valeur et à leur diffusion. Certaines matières considérées depuis longtemps comme des ressources locales et traditionnelles (exemples : argan et açai) deviennent, parfois par l’intermédiaire d’acteurs exogènes, des ressources mondialisées [3]. Cela passe notamment par des processus de mise aux normes internationales ou de labellisation (production biologique, traditionnelle ou de commerce équitable). C’est dans ce cadre qu’une ressource peut être associée à un espace spécifique, comme c’est le cas avec les AOP. Néanmoins, ces garanties de la qualité des produits peuvent parfois être détournées par d’autres acteurs, dans un but mercantile, comme dans le cas de l’huile d’argan par exemple.

La mondialisation implique également une transformation et une multiplication des espaces concernés par les ressources. D’une part, les nouvelles chaînes de valeur multiplient et diversifient les étapes de la vie d’une ressource : elle est produite, avant d’être transformée, vendue, consommée et enfin recyclée. D’autre part, on observe un phénomène des espaces de production. En effet, l’augmentation de la demande crée des opportunités économiques à la fois pour les acteurs qui avaient jusque-là une faible production et pour de nouveaux acteurs qui investissent dans de nouveaux espaces. Ainsi, la zone de culture de l’arganeraie, traditionnellement cantonnée aux espaces de campagne s’est étendue jusque dans les milieux urbains. Enfin, la mondialisation fait émerger de nouveaux acteurs. L’État demeure certes un acteur clé, qui conserve un rôle de régulation dans l’exploitation des ressources, mais il peut s’effacer au profit d’autres acteurs. Il peut soit avoir de la difficulté à réorienter son action publique, soit s’associer avec des entreprises privées au détriment de populations locales qui n’ont pas les ressources sociales, politiques et matérielles suffisantes pour garder le contrôle sur ce que produisent leurs territoires. Elles se voient donc imposer des définitions contraignantes de ce que sont ces ressources.

Pistes de recherches

Tout d’abord, la question de la temporalité de la ressource mérite que l’on s’y attarde. En effet, les liens entre temps et ressources sont multiples et ne se limitent pas à une simple chronologie  des projets d’exploitation et de leurs cycles de vie. Aborder une ressource par le prisme de la temporalité permet de comprendre en quoi elle est le fruit d’une histoire, mais aussi d’un certain rapport au temps. D’une part, cette temporalité est liée aux acteurs qui ont des attentes et des projets, mais aussi des représentations de la ressource qui peuvent être divergentes. Ainsi, les différentes scénarisations du futur portées par les acteurs peuvent entrer en confrontation. D’autre part, la temporalité de la ressource renvoie également aux moyens techniques : la mise en valeur d’une matière naturelle dépend d’un contexte technique, mais aussi d’infrastructures dans lesquelles les acteurs ont effectué des investissements.

Ensuite, les travaux présentés lors des Doctoriales 2019 ont dressé un panorama de la chaîne de valeur d’une ressource qui va de son exploitation à sa commercialisation, mais dont une dernière phase semble peu explorée : la consommation de la ressource. Or, toutes les politiques de sécurisation des approvisionnements se basent sur des projections, c’est-à-dire des estimations de consommation. Cette étape de la chaîne de valorisation d’une ressource détermine donc le reste du processus. Pourtant, il s’agit d’une phase dans laquelle les incertitudes sont nombreuses. Les prévisions de consommation d’une ressource sont d’ailleurs régulièrement surévaluées. Dès lors, une question se pose : comment cette incertitude est-elle gérée par les différents acteurs impliqués dans le processus de valorisation de la ressource ? À cela s’ajoute le fait que les comportements des consommateurs sont rarement examinés. Pourtant, on observe bien souvent des décalages de temporalité entre l’inertie des pratiques individuelles et le temps court de l’action politique ; ainsi que des décalages de modèles entre les attentes des consommateurs et la vision du développement qu’ont les acteurs politiques.

Enfin, le contexte actuel de multiplication des discours environnementalistes invite à se demander si, finalement, une nouvelle forme de ressource ne réside pas dans le fait de ne pas l’exploiter et de préserver des écosystèmes, voire de reboiser certains espaces [4]. Est-ce qu’une ressource en devenir ne serait pas l’écosystème en soi ? Et par conséquent : faut-il changer, ou du moins amender voire compléter notre définition de la ressource ?

References[+]


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