Pour des universités de rang mondial – Défis et chances des universités européennes au XXIe siècle

Mis en ligne le 20 Déc 2018

Cet article souligne les points forts sur lesquels les universités doivent désormais s’appuyer pour exister à l’échelle internationale. Se fondant sur leur expérience à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), les auteurs mettent en exergue les adaptations devenues incontournables à l’heure de la mondialisation et de la révolution numérique. Selon eux, l’Europe, et la France en particulier, peuvent et doivent réunir et mobiliser les voies et moyens nécessaires pour se positionner à bon niveau sur la scène internationale de l’enseignement supérieur.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont :  « Pour des universités de rang mondial – Défis et chances des universités européennes au XXIe siècle », Gérard Escher et Patrick Aebischer Futuribles – Revue n°424 .

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site de Futuribles :



Cinquante ans après la révolte étudiante de mai 1968, Futuribles consacre, dans ce numéro, un dossier aux perspectives de l’enseignement supérieur en France. Outre les articles de Jean-François Cervel, Pierre Papon et François Taddei présentant les défis auxquels le système français est aujourd’hui confronté et les voies possibles pour y faire face, Gérard Escher et Patrick Aebischer soulignent ici les points forts sur lesquels les universités doivent désormais s’appuyer pour exister à l’échelle internationale.

Se fondant notamment sur l’expérience réussie de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ils mettent en avant les adaptations devenues incontournables aujourd’hui, pour l’enseignement supérieur, dans le contexte de mondialisation et de diffusion du numérique à grande échelle : formation en ligne, à distance, ouverte à tous à tout moment de la vie… Gérard Escher et Patrick Aebischer précisent aussi la liste des ingrédients indispensables pour une université de rang mondial : se donner les moyens d’attirer les étudiants les plus prometteurs, être présent sur Internet, faire venir les meilleurs enseignants, promouvoir l’innovation, développer un esprit de campus, susciter des financements conséquents, disposer d’une vision stratégique… Les pays européens, à commencer par la France, ont sans aucun doute les moyens de mobiliser ces ingrédients et de se positionner à l’échelle mondiale, mais ils tardent à entrer en scène et dans une époque où tout s’accélère, il faudrait sans doute passer à la vitesse supérieure.

Des défis

Dans moins de 10 ans, la moitié des emplois en Europe nécessitera des qualifications de haut niveau. Par ailleurs, les deux tiers des enfants qui entrent aujourd’hui à l’école primaire travailleront demain dans des métiers qui n’existent pas encore. Ces deux projections récentes émanant de la Commission européenne soulignent que, dans notre économie compétitive et fondée sur la connaissance, les systèmes de formation jouent un rôle essentiel pour la prospérité.

Trois (r)évolutions technologiques et sociales sont en train de transformer profondément la société. La convergence technologique entre la nanotechnologie, la biotechnologie, les neurosciences et l’informatique crée de nouvelles opportunités d’innovations de rupture. La diffusion du numérique dans la société crée un déluge d’informations et de données, et l’automatisation de leur traitement transforme de larges pans de nos activités. Finalement, la transition écologique, la conscience de la fragilité de la planète, du changement climatique et des dangers d’épuisement des ressources nécessitent de trouver des solutions technologiques et sociales.

Les universités, qui comptent parmi les institutions les plus stables et durables de nos sociétés (la Sorbonne a été créée en 1257), doivent s’adapter à ces nouvelles tendances. La révolution numérique, l’automatisation et l’intelligence artificielle vont transformer les métiers et les activités liés jus qu’ici aux formations supérieures. La reconnaissance des compétences, plutôt que les diplômes, la formation tout au long de la vie plutôt que focalisée sur les années précédant une activité professionnelle : autant de nouvelles approches complémentaires qui doivent ensemble contribuer à répondre à ces défis de formation. Certaines compagnies de distribution de savoir comme linda.com et bright.com ont été acquises pour des milliards de dollars US. Pour l’embauche, les compagnies high-tech tiennent désormais autant compte d’une activité sur Kaggle — site de programmation citoyenne — et de cours pris sur le Net que d’un diplôme délivré par une Grande École.

En Europe, les universités se caractérisent par une forte fragmentation nationale, une multiplicité des langues d’enseignement, une séparation fréquente de la recherche et de la formation, ainsi qu’un système de promotion basé sur le mérite (comme le « tenure-track » américain par exemple[1]) encore peu développé. À ces constats s’ajoute la question du financement des universités européennes, qui est en grande partie insuffisant. Au final, on constate que l’Europe dispose d’un système d’éducation tertiaire assez performant, mais qu’elle manque d’universités de rang mondial axées sur une recherche de pointe. C’est un défi important des universités européennes.

Des adaptations indispensables

Du point de vue de la formation, la révolution numérique nous oblige à repenser l’enseignement, à dépasser le traditionnel cursus basé sur la séquence bachelor-master-PhD[2]. Au-delà du campus physique, lieu d’échanges et d’interactions par excellence, il s’agit désormais d’ajouter la notion de campus virtuel. Sur le plan de la pédagogie, il faut progressivement repenser les leçons magistrales dans de grands auditoires et explorer de nouvelles méthodes d’enseignement en plus petits groupes, avec tout ce que cela suppose en termes d’encadrement. Il faut également dépasser le « concentré de formation » entre 18 et 25 ans, afin de l’élargir à la formation tout au long de la vie. L’enseignement supérieur se doit de répondre sans tarder à ces changements profonds.

À titre d’exemples, les cursus de formation en ligne, et en particulier les MOOC (Massive Open Online Courses) — pour lesquels l’EPFL a été pionnière en Europe — sont des outils parfaitement adaptés pour répondre aux besoins grandissants de formation continue[3]. Dans ce registre, l’EPFL a créé récemment une « Extension School », dont tous les cours sont virtuels. Chacun peut ainsi travailler à son propre rythme en fonction de ses besoins ou de ses contraintes, les participants étant pour la grande majorité déjà des professionnels. L’encadrement est personnalisé afin de répondre à la multitude de profils des apprenants.

La révolution numérique affecte également la recherche. La science citoyenne, le crowdsourcing des compétences, permettent de faire évoluer la démarche scientifique selon une approche nouvelle et complémentaire à la recherche académique plus traditionnelle. Un public enthousiaste permet parfois de trouver des solutions à des problèmes scientifiques difficiles. À titre d’exemple, les participants au jeu vidéo Foldit ont résolu la structure en trois dimensions d’une enzyme complexe, problème sur lequel avaient buté jusqu’alors les chercheurs.

En parallèle, la science basée sur la simulation permet l’intégration des connaissances dans des modèles numériques. Cette nouvelle approche de la science prend chaque jour un peu plus de place aux côtés de la science théorique et de la science expérimentale. Le projet Venice Time Machine est un bel exemple de cette évolution : l’objectif est d’intégrer à terme, dans un modèle multidimensionnel, l’ensemble des archives de Venise couvrant les 1 000 dernières années, permettant ainsi de « reconstruire » la Venise historique dans un système d’information vivant et accessible à tous. Pour réaliser un tel projet, la simulation doit pouvoir s’appuyer sur une réflexion computationnelle et des capacités d’interprétation des big data que doivent développer des équipes interdisciplinaires. Autant de nouvelles compétences qu’il s’agit d’intégrer dans les cursus de formation et les méthodes d’apprentissage.

Notons encore que la recherche transdisciplinaire requiert des structures plus agiles que les facultés ou les départements. L’objectif est de réunir, dans des entités flexibles et adaptables, des compétences scientifiques provenant d’horizons différents afin de contribuer à la résolution des défis de société.

Ingrédients pour une université de rang mondial

Il y a autant de profils et de spécificités qu’il y a d’universités, chacune ayant son génie propre et sa vocation, qu’elle soit régionale, mondiale, professionnalisante, générale, spécialisée, etc. Parmi ces institutions, plusieurs d’entre elles ont développé une vision tendant vers l’excellence. Sans qu’il y ait de recette unique, certaines composantes sont néanmoins à prendre en compte afin de tendre vers cette notion d’excellence.

1. Attirer les meilleurs étudiants. Le cadre légal suisse et, de manière plus générale, les règles en vigueur en Europe ne permettent pas, à l’exception notoire de la médecine, de sélection à l’entrée des universités. La question se pose donc de savoir comment attirer les meilleurs étudiants. Au niveau licence, le défi est avant tout d’éviter un abandon massif des étudiants, en visant par exemple une sélection très en amont du cursus de formation (année propédeutique) ou en proposant des formations complémentaires au sein de l’université. Au niveau du master, en revanche, la sélection peut pleinement s’opérer, permettant à chaque université de se positionner sur le « marché » mondial de la formation. Ainsi, pour être attractif internationalement, l’anglais en tant que langue d’enseignement, en particulier dans les domaines technologiques, est incontournable. Afin d’éviter une sélection sur les frais de scolarité, un système de bourses doit être développé. Enfin, il est essentiel de promouvoir la mobilité estudiantine de type Erasmus, celle-ci représentant une véritable valeur ajoutée dans le cursus de formation. À titre d’exemple, on relèvera que la moitié des étudiants en master de l’EPFL ont un diplôme étranger (baccalauréat ou licence).

2. Être présent en ligne : l’EPFL compte environ 10 000 étudiants, mais elle totalise plus de deux millions d’inscrits à ses MOOC et a délivré jusqu’à présent environ 100 000 certificats de cours en ligne. La présence en ligne est donc un formidable démultiplicateur. Qui plus est, cette présence en ligne permet de tisser de nouveaux liens avec les régions émergentes du XXIe siècle : à titre d’exemple, un quart des inscriptions aux MOOC de l’EPFL délivrés en français proviennent d’Afrique.

La présence en ligne permet aussi l’ouverture de la formation aux professionnels qui doivent s’adapter aux nouveaux outils de la révolution numérique (data science, machine learning, développement Web, applications mobiles, etc.). Deux tiers des inscrits aux MOOC de l’EPFL sont ainsi déjà titulaires d’un diplôme universitaire et sont à la recherche d’une offre de formation continue. Pour répondre à cette demande, les cours de l’EPFL Extension School sont ouverts à tous, sans prérequis. La formation dure entre 12 et 18 mois. Les participants doivent s’acquitter de frais de scolarité mensuels, et cette formation donne droit à des crédits ECTS[4] et à un Certificate of Open Studies de l’EPFL.

3. Attirer les meilleurs professeurs. Recruter les meilleurs enseignants et chercheurs doit impérativement se faire au niveau international. Sans être déterminant, proposer une infrastructure de qualité et des salaires compétitifs compte bien sûr dans l’attractivité. Mais d’autres facteurs tels que la qualité de vie locale ou l’existence de programmes pour les conjoints (spouse programs), pour embaucher des couples, peuvent également jouer un rôle. Dans le contexte international actuel, l’Europe a indéniablement une carte à jouer pour attirer ou rapatrier des chercheurs d’envergure mondiale. L’attractivité se construit dès le début de la carrière académique. La création d’un tenure-track (prétitularisation conditionnelle) permet de motiver les jeunes chercheurs en leur conférant l’autonomie et l’indépendance de développer leur propre programme de recherche, et ainsi de les responsabiliser en leur donnant de solides chances de réussir. La qualité des professeurs a un impact décisif sur l’obtention de fonds de recherche compétitifs. À l’EPFL, ces fonds de tiers ont triplé en l’espace de 15 ans pour atteindre 300 millions de francs suisses (255 millions d’euros) en 2016. On peut souligner ici le rôle essentiel des subventions de l’ERC (European Research Council), qui ont permis pour la première fois aux chercheurs de l’Europe entière de se comparer. L’obtention de ces bourses ajoute par ailleurs au prestige de leur université d’origine. Notons en passant que les neuf premiers rangs — en termes de nombre de subventions obtenues — sont occupés par des institutions de pays non membres de l’Union européenne (ou en voie de la quitter…), soit le Royaume-Uni, Israël et la Suisse. L’EPFL se positionne au quatrième rang des universités européennes, derrière les universités d’Oxford, de Cambridge et l’University College London (UCL).

4. Promouvoir l’innovation et le transfert de technologie. La majorité des universités bénéficient aujourd’hui d’un office de transfert de technologie. Mais il faut aller plus loin et viser la création d’un véritable écosystème d’innovation qui soit attractif, tant pour les jeunes pousses que pour les compagnies plus matures et établies. Un tel écosystème d’innovation est un tout qui va des laboratoires universitaires, dont la mission relève de la recherche fondamentale, à la création de start-ups et aux collaborations avec l’industrie et des partenaires extérieurs. Il comprend également des entités et des structures dédiées telles que des accélérateurs et des incubateurs de start-ups, des centres de recherche industriels et des fonds de capital-risque.

L’EPFL a créé sur son campus un parc d’innovation avec pour objectif de favoriser l’interaction et la proximité entre recherche universitaire et développements industriels. Sur la période de 2000 à 2016, quelque 233 startups ont vu le jour, plus de 20 grandes compagnies se sont installées, et 2 000 emplois à haute valeur ajoutée ont été créés. Les investissements de capitalrisque pour les start-ups ont explosé, passant de quelques millions de francs suisses en 1999 à environ 400 millions (340 millions d’euros) en 2016. L’accès au capital-risque, et plus particulièrement aux fonds de croissance, reste cependant encore difficile au niveau européen. En pourcentage du produit national brut, la Suisse, la France et l’Allemagne investissent environ 0,03 % dans le capital-risque, alors que ces montants sont multipliés par 10 en Israël et aux États-Unis. En conséquence, trop de start-ups prometteuses, en particulier dans le domaine informatique, sont rachetées par des entreprises américaines, à l’exemple de la start-up DeepMind, championne du monde de go, acquise par Google / Alphabet.

La possibilité de transformer en innovations les résultats de la recherche joue aussi un rôle au niveau de l’émotion. En effet, elle peut être une source d’ambition — et de rêve ? — pour les étudiants. Et ce rêve n’est pas réservé aux universités technologiques : avec la diffusion du numérique, le mariage de l’art et de la technologie, des sciences humaines et des sciences exactes est concevable ; et conséquence réjouissante, les « humanités numériques » entrent ainsi de plus en plus dans l’arène des start-ups.

5. Créer un campus vivant. À l’ère du numérique, construire un campus vivant et attractif peut paraître paradoxal. Le campus universitaire reste ce pendant une fantastique expérience de vie et d’interactions : des logements pour étudiants, des hôtels à même d’accueillir les hôtes académiques et les visiteurs, un centre de congrès et de conférences, une bibliothèque et des lieux de rencontre, des boutiques, des lieux de restauration, sans oublier des manifestations festives qui réunissent les membres de la communauté universitaire. Autant de composantes d’un campus et d’un espace de vie dont les étudiants se souviendront plus tard dans leur parcours d’alumni[5]. Mais l’attractivité d’un campus a un prix et les ressources publiques ne permettent généralement pas de dépasser le niveau des constructions fonctionnelles. Ainsi, le Rolex Learning Cen ter, la bibliothèque construite par le bureau japonais SANAA (Sejima And Nishi zawa And Associates), est de venu le bâtiment totémique de l’EPFL.  Sa construction et son audace architecturale ont été rendues possibles grâce à des sponsors, qui ont ainsi associé leur renommée à la dynamique de développement et à la visibilité de l’école.

Vue du campus de l’EPFL © EPFL

6. Obtenir un financement suffisant reste un défi constant, car l’excellence a un coût. Ce coût, selon l’ancien président de Harvard Derek Bok, se situe aux environs de 90 000 dollars US par étudiant, toutes sources de financement confondues. Quelques universités européennes disposent de ce niveau de ressources, mais elles ne sont pas nombreuses. Grâce à un financement généreux de la part de la Confédération helvétique et à l’obtention de fonds de tiers compétitifs, l’EPFL a la chance d’en faire partie. Cependant, l’écart avec les grandes universités américaines menace de se creuser dans le futur, car le financement public plus généreux des universités en Europe n’atteint pas les niveaux de financement total (privé et public) de l’enseignement supérieur aux États-Unis.

L’évolution des sources de financement est en effet une préoccupation primordiale pour une université de classe mondiale. D’une manière générale, on observe une diminution lente mais continue de la part de financement direct de l’État, accompagnée d’une augmentation accélérée du financement lié à la performance. Or, il est impératif d’obtenir un soutien financier adéquat, de même qu’un bon équilibre entre fonds publics et privés : une solide base de financement publique combinée à un financement concurrentiel de la recherche, des partenariats industriels, des activités de mécénat (bâtiments, chaires, bourses d’études) et des moyens créatifs de financer les infrastructures. En ce qui concerne l’EPFL, les subventions de recherche compétitive du Fonds national suisse de la recherche, les fonds européens, les parrainages avec des fondations ou des donateurs, ont permis à l’EPFL d’accroître son budget. Aujourd’hui, l’ensemble de ces fonds externes compte pour un tiers du budget global de l’institution. On relèvera cependant que ces fonds de recherche compétitifs ne couvrent souvent pas ou insuffisamment les coûts indirects. Ils « punissent » donc les universités de recherche plus performantes.

Il manque aux grandes universités européennes un instrument dont disposent la plupart des grandes universités américaines —  de même qu’Oxford et Cambridge — : un fonds de dotation (endowment). Ces fonds peuvent se monter à des dizaines de milliards de dollars US pour les universités les plus connues. Or, un tel fonds de dotation décemment pourvu est un outil indispensable afin de réagir rapidement aux nouvelles opportunités qui se présentent, que ce soit un domaine émergent de la science à développer, un professeur exceptionnel à engager ou une infrastructure révolutionnaire à mettre en place. En d’autres termes, prendre des risques dans un environnement politique, administratif et réglementaire qui est devenu de plus en plus réfractaire à cette notion et à cet esprit d’entreprise.

7. Leadership et management. Comme le disait très judicieusement Charles Vest, ancien président du Massachusetts Institute of Technology (MIT), « une institution académique évolue à 50 % par la planification et à 50 % par un heureux hasard (serendipity) ». Malgré le fait que les universités soient aujourd’hui des entités complexes, la capacité de saisir une opportunité imprévue et non planifiée est essentielle pour une bonne université. Avec pour corollaire que son président doit être en mesure de prendre rapidement des décisions stratégiques. Pour ce faire, une certaine professionnalisation du management de l’université est indispensable, avec en parallèle, la nomination de professeurs à temps plein dans des fonctions à responsabilités telles que recteurs, vice-recteurs, doyens, etc.

La stratégie et l’action doivent précéder l’organisation et la structure. Même si l’université est publique, elle ne constitue pas une entité administrative qui peut être dirigée comme un bureau dans un ministère d’État. Prendre des risques et des décisions audacieuses, trouver des partenaires intéressants et parfois improbables, rivaliser afin d’augmenter sa part dans de nouveaux marchés prometteurs, voilà la mission fascinante et passionnante d’un président d’université.

La compétition mondiale

La compétition que se livrent les grandes universités les oblige à une innovation continue et à une amélioration constante. Compétition pour les thèmes de recherche, les financements, les nouvelles technologies d’enseignement. Concurrence dans la recherche de talents, rendant leur champ d’action de plus en plus cosmopolite et international plutôt que national ou régional. La concurrence oblige les universités à réfléchir stratégiquement à la façon d’investir leurs ressources. Pour diverses raisons, les systèmes européens d’enseignement supérieur n’ont pas favorisé la concurrence au même titre que le système américain. En fait, certains pays ont parfois même activement découragé la concurrence dans le monde universitaire, car l’esprit de compétition peut avoir des conséquences et des implications négatives.

Pour créer une université reconnue au niveau mondial, il faut un savant mélange d’éléments matériels et immatériels. Il faut tout d’abord une masse critique, avec — dans le contexte suisse — un budget d’environ un milliard de francs suisses (850 millions d’euros) par an, et une autonomie suffisante pour prendre des décisions rapidement. Il faut donner aux jeunes chercheurs plus de responsabilités et d’indépendance à un stade précoce de leur carrière. Il faut ensuite une vision sur les domaines de recherche émergents, et travailler à la visibilité de quelques projets phares et fédérateurs, développer des domaines de recherche de manière transdisciplinaire afin de contribuer à apporter des solutions aux grands défis de nos sociétés. Il faut faire évoluer la formation pour tenir compte des nouvelles approches pédagogiques et de la révolution numérique.

Les universités européennes n’ont certainement pas encore pris pleinement conscience que le terrain de compétition est international et qu’elles devront se battre pour exister dans un espace tertiaire mondialisé. Néanmoins, l’Europe semble être dans une relativement bonne position pour faire sa place dans cet univers académique mondialisé. Les bourses ERC compétitives au niveau du continent, de même que le processus de Bologne — initié par la France —, sont des signes prometteurs de cette prise de conscience européenne. En comparaison avec les États-Unis, les degrés primaire et secondaire, et par-là les étapes de préparation à l’université, sont meilleurs sur le Vieux Continent. L’Europe possède également un grand réservoir de capital humain à utiliser. La France, par exemple, a une longue tradition d’excellence en matière d’érudition et de stature universitaire. Elle a également une tradition de respect pour le milieu intellectuel et son système d’examens est basé sur des principes de mérite. En revanche, la France semble gérer deux systèmes parallèles d’enseignement supérieur, dont l’un jouit d’un prestige beaucoup plus grand dans l’opinion publique que l’autre. En d’autres termes, comme le dit Jonathan Cole, l’ancien doyen de l’université de Columbia, on peut avoir l’impression que les Français se font une certaine forme de concurrence interne au pays, et malheureusement pas d’une manière qui améliore la qualité.

Au final, l’Université n’a pas changé. Comme le dit Donald Kennedy, l’ancien président de Stanford, « L’Université est une institution qui existe pour faire avancer la culture, à la fois en acquérant de nouvelles connaissances et en diffusant les connaissances reçues d’une manière qui incite les jeunes à les utiliser de manière créative et constructive. »

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