Panel international sur la sortie de la violence ; synthèses des groupes de travail – 3ème partie

Mis en ligne le 23 Août 2018

Cet article regroupe la 3ème partie des synthèses du Panel international sur la sortie de la violence (IPEV). Les synthèses de cette 3ème partie proposent une approche genrée de la violence dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient et abordent le cas des mouvements séparatistes et pour terminer, le lien entre violence et Etat. Ces synthèses sont accompagnées de recommandations émises par les chercheurs ayant contribué aux travaux.

Najwa Adra, Nadje Al-Ali, Sana Farhat, Danièle Joly, Pénélope Larzillière, Nicola Pratt, Adel Bakawan, Tarek Mitri et Sari Hanafi


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : Synthèses des groupes de travail – 3 ème  partie, conférence de restitution IPEV, Beyrouth 2018, avec Najwa Adra, Nadje Al-Ali, Sana Farhat, Danièle Joly, Pénélope Larzillière, Nicola Pratt, Adel Bakawan, Tarek Mitri et Sari Hanafi

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site du CSFRS :



Femmes et violence, approche genrée : région ANMO et diaspora

Selon les contextes, différentes formes de violence affectent la vie des femmes de la région ANMO[1] , comme ailleurs dans le monde. Ce rapport propose une perspective genrée pour comprendre la violence et les chemins qui permettraient d’en sortir. Cette approche genrée met l’accent sur l’importance d’une étude portant à la fois sur la sphère privée et publique et sur les interconnexions entre ces deux dernières. Sont ainsi prises en compte la violence dans le domaine public (comme les conflits entre groupes  armés ou la violence politique), la violence domestique et les autres formes de violence  dirigées contre les femmes et les violences genrées où qu’elles puissent se produire (à la maison, dans la rue, sur le lieu de travail et jusque dans les institutions publiques). Ces différents types de violences liées par le dénominateur commun du genre peuvent être analysés à travers le concept d’un « continuum des violences ». En effet, l’exercice de la violence est profondément enraciné dans les notions dominantes de masculinité, et associé aux hommes socialement dominants, et de ce fait valorisé, tandis que la non- violence est renvoyée aux femmes et à la féminité. Il s’ensuit que la non-violence est dépréciée, voire stigmatisée comme étant l’attribut du faible, que ce soit au sein de la société ou dans les relations internationales. La violence devient alors un outil pour  perpétuer la domination masculine et pour forcer les femmes et les hommes à rentrer dans le moule des normes de genre dominantes. Les perspectives genrées soulignent l’incidence différentielle que peut avoir la violence sur les femmes et les hommes en raison des relations, des normes et des identités dominantes entre les genres.

Une approche genrée met l’accent sur la nécessité de répondre à l’injustice sociale et aux inégalités structurelles en général, à savoir toutes les formes d’inégalités, d’oppression et d’exploitation des femmes et des hommes. Cela implique, de surcroît, la mise en œuvre de mesures positives pour atteindre l’égalité des genres, en finir avec les violences  genrées, garantir l’accès égal des femmes aux ressources et promouvoir la participation et la capacité des femmes à se faire entendre au sein des communautés et de la vie politique. Ce rapport met en exergue des exemples de femmes qui sont devenues des actrices sociales de plein droit et ont activement lutté contre la violence et de l’injustice. D’un bout à l’autre de la région ANMO, et à différents moments historiques, des  militantes féministes ont également conjugué leur opposition à l’autoritarisme politique et à la répression avec la promotion des droits des femmes et de l’égalité des genres. Dans le contexte actuel, ces militantes féministes sont d’autant plus importantes qu’elles défient les structures de gouvernance existantes, tout particulièrement dans leurs  aspects autoritaires et patriarcaux.

Ce rapport remet en cause les perspectives et la vision dichotomique des causes de la violence. Il s’oppose ainsi aux analyses qui reposent sur des explications culturalistes et présentent l’Islam et la « culture moyen-orientale » comme oppressifs envers les femmes ou qui se focalisent uniquement sur l’impact des interventions coloniales,  impérialistes et celles du monde néolibéral. De plus, notre rapport souligne l’importance de dépasser les paradigmes binaires de victime/perpétrateur, actif/passif ou acteur/ opprimé, déployés pour parler des femmes (mais aussi des hommes), de ce qu’elles subissent et de la façon dont elles contribuent à la sortie de la violence.

Nous avons opté pour une perspective transnationale qui dépasse les frontières  géographiques de la région ANMO pour prendre en compte la longue histoire d’enchevêtrements politiques, de grandes migrations de travail ou forcées et de liens sociaux et économiques entre les pays de la zone ANMO et l’Europe. L’analyse est illustrée et complétée par de multiples études de cas en Égypte, en Iraq, en Palestine, en Tunisie et au Yémen, sur le conflit entre la Turquie et les Kurdes ou la diaspora au Royaume-Uni et en France. En outre, la pression exercée sur l’ONU par les activistes et les différents mouvements pour les droits des femmes travers le monde a conduit à l’adoption de  résolutions onusiennes sur les femmes et la violence. Il est primordial que les femmes participent aux processus de négociation si l’on veut sortir de la violence et assurer une paix durable. Sans retenir le principe, hautement contestable, que les femmes sont intrinsèquement pacifistes, un consensus se dégage parmi les institutions internationales et les chercheurs pour affirmer que la participation active des femmes à la consolidation de la paix a un impact positif sur sa longévité. Les femmes sont souvent les  premières intervenantes et pourvoyeuses de soins dans les régions en conflits, et, à l’échelle locale, elles sont les mieux placées pour évaluer les besoins de la communauté durant et après le conflit. De plus, les femmes sur place ont souvent démontré leur  capacité à reconnaître les signes avant-coureurs d’un retour potentiel à la violence.  Néanmoins, les recherches indiquent qu’inclure des femmes à la table des négociations n’a d’incidence que si elles disposent d’un pouvoir décisionnel. C’est le poids de l’influence que les femmes sont en mesure d’exercer sur le processus qui peut faire la différence pour aboutir à des accords et les appliquer. Ces données mettent en lumière l’apport central d’une perspective genrée pour élaborer des perspectives de sortie de la violence.

◆ L’analyse de toutes les formes de violences, qu’elles soient ethniques, religieuses, politiques, sociales, domestiques ou économiques, doit être genrée.

◆ Compte tenu du « continuum de violence », la notion de violence doit être élargie pour inclure toute forme de violence physique, verbale, symbolique et structurelle dans les sphères publiques comme privées.

◆ Une réponse doit être apportée aux besoins particuliers des femmes qui font face à une situation de violence ou de vulnérabilité genrée pendant ou en dehors des conflits.

◆ Les organisations de femmes doivent être reconnues comme des acteurs politiques de plein droit.

◆ Les stratégies pour la sortie de la violence doivent inclure un soutien pour les femmes qui œuvrent déjà à la remise en cause des inégalités entre les sexes, des normes dominantes de genre, ainsi que d’autres injustices et inégalités sociales.

◆ En concordance avec la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies (S/RES/1325) ainsi qu’un corpus croissant de travaux de recherche en sciences sociales, il est indispensable de garantir l’inclusion véritable des femmes à des rôles décisionnels à tous les niveaux de l’activité de consolidation de la paix, qu’il s’agisse de la négociation, de la résolution de conflit, de la réconciliation ou de la reconstruction.

◆ La participation des femmes à toutes les phases du processus de paix doit inclure des femmes issues de tous les niveaux des hiérarchies sociales, y compris les femmes combattantes.

◆ Les préconceptions stéréotypées sur les femmes de la région ANMO doivent être battue en brèche en partenariat avec les organisations médiatiques, les institutions internationales et les responsables politiques.

◆ Il est nécessaire de reconnaître que la lutte pour les droits des femmes et la justice de genre est indissociable de la lutte pour l’autodétermination nationale et la liberté.

◆ Les militantes féministes du « Nord global » doivent éviter d’adopter une attitude maternaliste à l’égard des femmes du « Sud global », et respecter la différence et les priorités fixées par les militantes féministes sur le terrain.

Indépendantisme, séparatisme, irrédentisme et construction de l’État

La question du séparatisme : peut-on établir une typologie ?

Les séparatismes sécessionnistes (on ne traite pas ici des séparatismes intra-fédéraux)  relèvent d’une question globale, à multiple déclinaisons. L’actualité politique (référendum kurde, crise catalane, risque de sécession au Yémen) n’est qu’un épisode d’une riche histoire contemporaine : désintégration de l’URSS et de la Yougoslavie, séparatismes au Caucase du sud, en Tchétchénie, au Pays Basque, en Birmanie, en Chine (Tibet, Xinjiang, voire Taiwan). Outre les cas de figure abordés par notre groupe (Kurdistan irakien, Soudan du Sud, Palestine, Cachemire, Sri Lanka), évoquons aussi les Kurdes de Turquie et de Syrie, la question sahraouie au Sahara occidental, le Katanga des années 60, Aceh en Indonésie, le Timor oriental, la Papouasie Nouvelle Guinée, la Nouvelle Calédonie,  la question irlandaise post-Brexit, l‘Ecosse, la Flandre, la Corse, Chypre, le Québec :  la liste, longue, est incomplète…. Une esquisse de typologie des divers mouvements séparatistes peut se structurer autour de huit questions majeures.

Quels types de situations historiques ?

Un sécessionnisme classique est porté par les mouvements anticoloniaux : ÉtatsUnis d’Amérique au XVIIIème siècle, États latino-américains au XIXème siècle, avant la grande vague des indépendances postérieures à la seconde guerre mondiale, en Asie et en Afrique. Le morcellement délibéré des empires vaincus en 1918, empire austro- hongrois et empire ottoman, ont laissé des traces tant au Moyen-Orient que lors du grand redécoupage postcommuniste, qui définit une troisième séquence historique.  La fin de l’URSS a fait naître pacifiquement les républiques d’Asie centrale, mais le  Caucase et l’éclatement de la Yougoslavie relèvent d’une autre histoire, quand les revivalismes ethniques récusent l’ethno-fédéralisme. Les cristallisation identitaires ont souvent joué des appartenances religieuses: partition entre Inde et Pakistan, Tchétchénie à majorité musulmane, Biafra à forte population chrétienne, Albanais musulmans du Kosovo contre Serbes orthodoxes, Cachemire musulman ou Khalistan sikh anti-indiens, Sri Lanka où les Tamouls séparatistes, hindous ou chrétiens, rejetaient l’hégémonie des Cinghalais bouddhistes. Mais le paramètre  religieux est rarement unique : les causes multiples s’agrègent, voire séparent des  ethnies de même religion : la sécession du Bangladesh quittant le Pakistan l’a illustré.

Quels paramètres géopolitiques ?

Les séparatismes « simples », sont définis par la seule relation binaire entre l’État  dominant et le mouvement indépendantiste qui le conteste. Mais souvent, un État voisin joue un rôle, appuyant les insurgés ouvertement (Inde et Bangladais) ou en sous-main (Pakistan et Cachemiris). Comptent aussi les diasporas, appuyant les Kurdes, les Sikhs indépendantistes dans les années 80, ou tentant de relancer le séparatisme au Biafra depuis Londres. Jouent aussi les rapports de force internationaux : Moscou, pour conforter l’allié serbe et satisfaire les slavophiles nationalistes russes, s’opposa à l’indépendance du Kosovo, soutenue par les États-Unis et l’Union européenne.

Les Nations sans Etat

Les Kurdes sont le stéréotype des peuples sans État sous de multiples tutelles et les séparatistes Baloutches ou les Basques ont invoqué le même droit à l’indépendance, transfrontalière ou pas. Séparatistes non violents, la quarantaine de mouvements de l’Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO), autochtones sud-américaines (Awa, Mapuche), Tibétains, Tatars de Crimée ou Hmongs du Laos se font entendre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Sans obtenir l’indépendance, l’UNPO porte la voix pacifique d’un irrédentisme qui survit aux États hégémoniques.

Quels modes de sortie du conflit ?

Le droit à l’autodétermination invoqué par les séparatistes au nom de la Charte des  Nations Unies mérite examen, car les textes onusiens sont sujets à interprétation et  n’affirment pas le droit absolu à l’indépendance. La question de la définition d’un peuple, autochtone ou non, est aussi posée. De nombreux d’Etats, disposant du droit de veto (Russie, Chine) ou pas (Afrique), confinent le droit à l’indépendance aux anciennes  colonies. Au-delà du droit à l’autodétermination compte aussi le degré de reconnaissance internationale des déclarations d’indépendance unilatérales. Les référendums d’autodétermination sont divers : référendums proposés par l’ONU mais impossibles à organiser (Cachemire) ; ou référendums acceptés par l’État dominant, avec observateurs internationaux (Timor Leste, Soudan du Sud). Autre type, en système démocratique : le référendum écossais, perdu en 2014. Des référendums peuvent confirmer une sécession décidée (France et Algérie approuvant les accords d’Évian). A l’inverse, Irak et Espagne ont rejeté les référendums kurde et catalan. Enfin, des référendums rapides ont entériné des avancées militaires russes : contre (Tchétchénie) ou pour la sécession (Crimée). Le positionnement international varie selon les cas. La gestion des séparatismes hors référendum peut relever de l’écrasement militaire (Sri Lanka, Tchétchénie) ou, plus subtilement, d’un dosage entre répression militaire et manœuvres politiques divisant les insurgés (stratégie indienne dans le Nord-Est). Plus pacifiques, les négociations entre séparatistes et pouvoir central concédant une marge d’autonomie (Ecosse, Corse), ne garantissent pas toujours la fin du séparatisme.

◆ La première commande de prendre garde à une lecture exagérément ethnique ou religieuse des mouvements séparatistes. Dans le degré d’appui populaire que reçoit un mouvement séparatiste/sécessionniste, comptent aussi les frustrations économiques et politiques, l’ethnicité ou l’affiliation religieuse intensifiant un mouvement qui ne se réduit pas à elles. La seconde demande d’identifier les responsabilités dans l’évolution d’un mouvement : le refus de concessions suffisantes de la part du  gouvernement dominant conduit souvent à une radicalisation, qui peut finir, comme au Mindanao, dans l’islamisme armé. La troisième interroge l’efficacité de la violence, terroriste ou insurrectionnelle, et celle de la répression étatique. Sans concessions de part et d’autre on risque l’enlisement, ou une « paix négative ». La non-violence peut aussi être une option, qui s’accommode davantage des processus de négociations, sans exclure les rapports de force politiques. Encore faut-il que le pouvoir dominant l’entende.

◆ Une deuxième série de critères porte sur la dimension internationale des conflits séparatistes/sécessionnistes. Elle interroge la « communauté internationale » sur les analyses qu’elle conduit : qui définit la légitimité ou l’illégitimité d’un sécessionnisme, hors cas quasi génocidaire ? Le droit international, tel que l’ONU le définit, n’est pas sans ambiguïté. Faut-il le clarifier ? Si oui, comment ? Comptent aussi les formes de la lutte pour l’indépendance, le degré de soutien populaire et l’appui éventuel d’États voisins, la puissance du pays dominant, les intérêts économiques en jeu (ressources minières, énergétiques, firmes multinationales), l’opinion internationale et l’attention des médias.

◆ Il importe enfin de tirer parti de l’expérience des sorties de conflits, et de leurs méthodes : forces de maintien de la paix ; négociations ; médiations ; causes de succès et causes d’échec. Mais la recommandation principale, tant épistémologique que politique, semble devoir souligner la spécificité propre à chaque conflit, aux paramètres objectifs qui le définissent mais aussi aux passions qu’il nourrit. Car la genèse propre à chaque situation explique aussi comment, une fois sorti de la violence, on peut y retomber, ou disposer des atouts facilitant la construction de l’État, et permettant de gagner la paix positive, la seule durable.

États forts et États faibles producteurs de violence

Les recherches sur le développement de l’extrémisme actuellement ont été précédées d’une étude avancée des systèmes politiques au sein desquels l’extrémisme se développe. En effet, l’extrémisme violent résulte de l’adoption individuelle de certaines  positions radicales vis-à-vis de la société et également des systèmes qui, à la base,  favorisent une telle adoption. Un examen approfondi des systèmes qui n’ont pas réussi à mettre en place des sociétés démocratiques et qui reposent toujours sur des identités sectaires et tribales par opposition aux institutions s’avère donc essentiel  pour comprendre l’extrémisme. Pour conserver le pouvoir, ces systèmes ont eu recours aux politiques violentes afin de soumettre le peuple, lançant ainsi le cycle de violence qui sévit dans le monde arabe de nos jours et qui permet au cycle de violence de  prospérer. Cet extrémisme violent a été évoqué par ces mêmes gouvernements totalitaires afin de justifier toute violence ultérieure. Par ailleurs, la faiblesse de l’État a créé un vide rempli par plusieurs mouvements radicaux qui tendent à donner une voix à ceux qui n’en ont pas et constituent un espace permettant aux opprimés de se défouler.

Dans ce contexte, plusieurs points ont été soulevés :

◆ Selon Joel Migdal, les États faibles et les États forts ont quatre modalités :

1. les pays ayant un gouvernement fort et une société forte et qui, selon lui, sont inexistants actuellement ;
2. les pays ayant un gouvernement fort et une société faible, comme la France ;
3. les pays ayant un gouvernement faible et une société forte, comme la Sierra Leone;
4. les pays ayant un gouvernement faible et une société faible, comme la Chine entre 1939 et 1945.

◆ Le développement de l’extrémisme est lié à six indicateurs : la structure gouvernementale, les contradictions au sein de cette structure, le niveau de démocratie assuré par l’État, le type de politiques publiques de protection mises en œuvre dans le cadre de l’éducation laïque et religieuse, le type de politiques publiques justes mises en œuvre sur le plan économique et la réalité humanitaire légal du pays étudié. Dans ce contexte, le développement d’un État fort doté de bonnes politiques publiques qui protègent la société est essentiel à la prévention du développement de l’extrémisme violent. La lutte contre l’extrémisme ne saurait alors être limitée à un seul aspect, mais doit plutôt se faire à tous les niveaux.

◆ Les stratégies étatiques sont fortement liées à l’émergence de l’extrémisme, car les stratégies autoritaires ont tendance à exacerber la polarisation de la société.
Les stratégies autoritaires peuvent néanmoins varier. En effet, la cooptation peut mener aux griefs et au déclin de l’action, tandis que la répression peut mener à l’isolement et à l’exacerbation de la violence. Dans le cas du régime palestinien,  la gauche a été cooptée au sein du système tandis que les islamistes en ont été  exclus. La gauche s’est ainsi retrouvée divisée quant à l’engagement dans la sphère politique traditionnelle. Par contre, l’insularité croissante des islamistes a exacerbé la violence dans leurs rangs et les a rendus moins disposés à coopérer avec d’autres groupes.

◆ Les États forts ont été une cause de violence dans le contexte libyen, facilitant la violence à long terme. La Libye après la révolution était brisée mais non réparée. La construction des institutions était, de ce fait, plus importante que la lutte pour le pouvoir. Cependant, les parties au conflit sont plus intéressées par le pouvoir que par la construction des institutions.

◆ Le rôle de l’État est très important pour ce qui est de faciliter la propagation d’un Islam modéré mais l’État doit jouer le rôle de régulateur (et évidemment de législateur) plutôt que celui d’acteur. La réforme n’est possible que dans le cadre d’une large autonomie de l’institution religieuse vis-à-vis de l’État.

◆ Les révoltes arabes n’ont pas réussi à amorcer des changements politiques majeurs, mais elles ont quand même créé de nouvelles perspectives cognitives dans le monde arabe. Le débat portant sur les questions de démocratie, de laïcité, d’État civil et de diversité devient de nature publique et implique de nombreuses personnes, notamment des islamistes, au lieu d’être l’apanage d’une élite laïque restreinte.

◆ Le discours islamiste et les actions des mouvements islamiques ont été décrits de manière monolithique sous la rubrique d’un « islam politique ». Il est toutefois préférable d’utiliser les expressions « pensées politiques islamistes » ou « mouvements islamiques ». En effet, l’expression « islam politique » est souvent évoquée pour dénigrer un mouvement quelconque et suggérer que tous ces mouvements empruntent la même trajectoire composée de lecteurs de Sayed Qutb des Frères Musulmans à ceux d’Al-Qaïda. À noter que parmi ceux qui ont recours à de telles catégorisations (à l’instar de l’islam politique) figurent les « gardiens » de l’islam  officiel pour lesquels l’islam dont ils se prévalent est essentiellement apolitique. Pour ces gardiens, le fait de confiner les personnalités de l’opposition islamique à la sphère religieuse revient à nier toute caractérisation politique qui leur est propre.

◆ Trois facteurs essentiels sont mentionnés dans le contexte moderne de création de la violence :

1. la présence de réseaux autoritaires sociétaux ;
2. un régime basé sur le za’im (leader) qui, par conséquent, n’est pas un ensemble d’institutions avec le leader à leur tête ;
3. la mondialisation politique qui s’est élargie à la sphère publique locale et en a
aboli l’indépendance, permettant ainsi que cette sphère soit pénétrée par des idées et des concepts étrangers. Ce changement a fait de l’État un agent de
violence sur son propre territoire.

◆ Le cas palestinien est spécial. En effet, la violence y est légitimée en tant que forme de résistance. Le moyen de faire la distinction entre violence illégitime et violence légitime est la remise en cause. C’est la façon de différencier la résistance de l’extrémisme radical.

◆ Le rôle de la communauté internationale : dans le cas du Yémen, le Conseil de Sécurité n’a pas adopté de position unanime par opposition à celui de la Libye où l’unanimité a renforcé l’efficacité des Nations Unies.

◆ La montée de l’islamisme en Algérie est unique. Au lieu d’être accompagnée d’un mouvement intellectuel, elle s’est caractérisée par une infiltration des classes inférieures de la société où rares sont ceux qui ont terminé leurs études secondaires et où nombreux sont des artisans et/ou des muftis au passé de voyous. De telles masses ont évidemment mal interprété la situation et ont pris l’état apparent pour l’état profond, tombant ainsi sur les défis auxquels ils ont fait face et menant à une guerre civile de dix ans. Les lectures précises de la réalité politique s’avèrent nécessaires afin d’élaborer une action politique constructive, avisée et hostile à l’extrémisme.

◆ Le cas syrien : les États sont des entités dynamiques qui sont tantôt fortes et tantôt faibles. La Syrie était faible entre 1946 et 1959 car elle était entourée d’États plus forts et était alors le théâtre d’affrontements internes en permanence. Le nationalisme arabe était néanmoins triomphant à cette époque et la Syrie était en première ligne des efforts visant à empêcher la Turquie de s’étendre dans le monde arabe. Au cours des années 1960, la Syrie s’est écartée de l’unité arabe et la rivalité entre la Syrie et l’Irak s’est exacerbée. À la même époque, la guerre menée par l’Arabie
Saoudite au Yémen l’a éloignée du contexte syrien. Cependant, l’année 1970 est celle de l’émergence de l’État syrien fort avec la construction de services militaires et de sécurité forts, d’où l’émergence d’un État fort à partir de l’État plus faible. Ce nouvel État fort n’a toutefois pas construit un modèle durable car il ne reposait pas sur des assises idéologiques et économiques appropriées et était plutôt focalisé sur l’aspect sécuritaire. Que ce soit avec ou sans les révolutions arabes, l’État syrien était destiné à tomber en déliquescence en écho à la chute de l’Irak. Par ailleurs, l’État n’était pas durable sur le plan interne, ce qui rendait sa chute imminente. La lutte en Syrie n’est pas de nature sectaire mais elle a acquis ce caractère ultérieurement. La lutte entre zones rurales et zones urbaines est encore plus brutale que la lutte sectaire. La persistance du régime syrien est due au soutien extérieur.

◆ La chute de l’État en Irak n’a pas eu lieu avec Saddam, mais plutôt avec la désintégration de l’armée. En Syrie, la chute de l’État n’a pas encore eu lieu puisque les institutions subsistent toujours. Si le régime se désintègre, l’État peut quand même survivre.

◆ La production de l’extrémisme religieux violent est ancrée dans les trois étapes de la production, de la durabilité et de la légitimité. La production de la violence dépend des discours socio-théologiques qui formulent deux composantes du mouvement islamique : la première est évidente à travers la division sectaire des partis politiques à Bagdad et la seconde se révèle dans la même division au niveau des mouvements militants qui inculquent les anciens leaders militaires et les membres de l’ancien régime baathiste. Le caractère durable de la violence est entretenu par une économie politique qui dépend du pétrole et qui, par conséquent, constitue un terreau fertile pour les luttes sectaires. La violence est légitimée par une interaction entre les variables socioéconomiques, telles que la pauvreté et l’aliénation économique, et les discours socioreligieux qui renforcent l’importance centrale des conflits sectaires. La mémoire collective est faite d’explications phénoménologiques conflictuelles d’événements historiques et d’une corruption intense intégrée dans l’économie du pétrole. Ces deux éléments constituent le moteur sociologique générateur de la violence politique et religieuse en Irak.

◆ Les paradigmes modernes ne parviennent pas à s’attaquer aux causes profondes de la violence de manière à inclure l’intervention externe et les régimes violents pour commencer. La violence n’est pas uniquement le fruit de l’idéologie, mais également celui des conditions sociales et politiques. Limiter les causes de l’extrémisme aux causes culturelles et idéologiques est loin d’expliquer le phénomène. Parmi les pères de l’État islamique figurent Saddam Hussein, Hafiz El-Assad, Bachar El-Assad et Paul Bremer, entre autres.

◆ L’exception arabe ou islamique est un mythe. Le discours dominant présume que la culture arabe est intrinsèquement violente, et non le résultat d’années de répression et de problèmes liés à l’environnement. Les sociétés arabes ont tendance à être perçues non pas en tant que sociétés rationnelles, mais plutôt en tant que sociétés exotiques qui agissent de manière irrationnelle en ayant recours à la violence. Les approches culturelles se transforment en approches orientalistes culturellement discriminatoires qui présument que la violence est intrinsèque à la culture. Notre approche devrait être basée sur les réalités matérielles et liée aux justifications culturelles et au contexte de développement de la violence.

◆ L’approche culturelle a tendance à envisager que la solution consiste à purger les textes religieux des idées djihadistes et à considérer que tous les islamistes n’en font qu’un. Selon une autre approche, celle-là politique, l’incitation à la participation politique mènera à l’ajustement de l’idéologie au contexte politique pacifique. Ce fait est illustré par les réformes salafistes en Égypte et au Maroc suite à l’essor de la participation politique. Il est important de faire la distinction entre le radicalisme religieux lequel est basé sur les opinions religieuses et qui peut être résolu par les arguments, et le radicalisme violent basé sur le recours à la violence en tant que moyen. Plus le contexte politique et la procédure de développement sont déstabilisés, plus la naissance de mouvements violents est probable.

◆ La transition d’une société agricole à un État urbain est un important facteur générateur de violence.

◆ La violence est le résultat plutôt que la cause de la déliquescence de l’État. Preuve en est les cas de la Syrie et de l’Algérie.

References[+]


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