Les ressources minérales dans le développement de l’Afghanistan

Mis en ligne le 13 Fév 2018

Cet article nous décrit une facette peu ou mal connue de l’Afghanistan : ses ressources minières, pétrolières et gazières. Ces ressources attisent les appétits de nombreux acteurs internationaux, appétits que tempère une situation de gouvernance et de sécurité peu propice. Ces ressources représentent également une opportunité de développement. L’auteur en analyse les défis et perspectives.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Raphaël Danino-Perraud, «Les ressources minérales dans le développement de l’Afghanistan», ANAJ-IHEDN, Octobre 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’ANAJ-IHEDN.


 

 

Les ressources minérales dans le développement de l’Afghanistan

 

 

L’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis et les troupes de l’OTAN le 7 octobre 2001 a eu sa cohorte de fantasmes et de théories du complot. La découverte de ressources minières et pétrolières importantes en 2010 a ravivé ces théories brandissant le spectre d’une guerre engagée uniquement pour le contrôle des matières premières. Pourtant, la guerre en Afghanistan a d’abord été une guerre menée contre le terrorisme, la première riposte américaine au lendemain des attentats du Word Trade Center contre les alliés proclamés d’Oussama Ben Laden, ce dernier s’étant réfugié dans les zones tribales, régions montagneuses situées entre le Pakistan et l’Afghanistan.

En 2010, alors que la pacification du pays et la lutte contre les talibans marquaient le pas, l’USGS (United States Geological Survey) révélait l’existence de ressources minières, pétrolières et gazières d’une valeur minimum de 1000 milliards de dollars[1]. Annoncées comme suffisamment importantes pour assurer le développement économique du pays, ces ressources suscitent également la convoitise de ses voisins et des acteurs œuvrant en Afghanistan, États-Unis en tête.

Miné par la corruption et les rivalités tribales, par une économie peu efficace et sous perfusion et surtout par une insécurité et une instabilité chronique, le contexte particulier de l’Afghanistan a empêché jusqu’à maintenant l’exploitation à grande échelle de ces ressources.

Ces dernières années, l’Afghanistan s’était éloigné des priorités de l’agenda international, plus préoccupé par la montée en puissance de Daech au Moyen-Orient. Néanmoins, les remous créés par ce dernier et la compétition pour les ressources ne pourraient-ils pas replacer l’Afghanistan au centre de l’échiquier, permettant ainsi son retour dans le « grand jeu » mais par la « petite porte » ? Nous décrirons dans un premier temps les différentes ressources révélées par les explorations de l’USGS. Dans un deuxième temps, nous étudierons les stratégies et les intérêts des différents acteurs de l’échiquier afghan avant de nous intéresser aux spécificités de l’exploitation des ressources naturelles dans le cas si particulier de l’Afghanistan.

 

Les matières premières afghanes : contenu et contexte

L’Afghanistan se trouve à un carrefour de son histoire. La montée en puissance de Daech change la donne sur le plan intérieur, forçant talibans et gouvernement à envisager une collaboration. La stratégie régionale de la Chine et le renforcement du dispositif américain dans le pays influenceront également l’exploitation des ressources afghanes qui ne pourra avoir lieu avant la sécurisation du territoire.

 

Que contient le sous-sol afghan ?

La production de minerais en Afghanistan est millénaire : en effet, de l’étain et du plomb afghans datant du troisième millénaire avant notre ère ont été retrouvés en Iran et à Oman[2].

En 2009, l’USGS publiait le contenu de ses recherches sur le potentiel minier en Afghanistan. Débutées en 2005 en partenariat avec le Département de la défense, ces recherches ont confirmé les travaux soviétiques effectués dans les années 80. L’USGS avait estimé la valeur potentielle de ces gisements à de l’ordre de 1000 milliards de dollars et le gouvernement afghan à 3 fois plus.

Le sous-sol afghan contiendrait de nombreux minerais essentiels aux technologies de la transition énergétique et aux technologies civilo-militaires, métaux de base comme métaux rares, pierres précieuses comme métaux précieux, gaz et pétrole. Ainsi, l’USGS a relevé de nombreux gites de cuivre, de fer, de bauxite, de chrome, de nickel, de mercure, d’or, d’argent, de plomb, de zinc, de terres rares, de niobium, de béryllium, d’étain, de tungstène, de graphite, de phosphore, de cobalt ou encore de lithium, sans compter les ressources en charbon, en pétrole et en gaz.

En ce qui concerne ces trois derniers, les soviétiques ont estimé que le bassin à charbon au nord de l’Afghanistan contiendrait environ 120 millions de tonnes de charbon de qualité variable[3].

Ressources en hydrocarbures du champ d’Amu Darya.

Approfondissant ces recherches, l’USGS s’est penché sur le cas du pétrole et du gaz. En 2011, l’institut estimait le champ d’Amu Darya contenait environ 1900 millions de barils de pétrole[4] et 35  milliards de mètres cube de gaz[5]. Toutefois, il est situé à cheval sur plusieurs pays, l’Afghanistan, l’Iran, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan ce qui pourrait compliquer son exploitation.

En termes de minerais, des ressources estimées à 60 millions de tonnes de cuivre seraient enfouies en Afghanistan, dont 12,3 millions pour le seul gisement d’Aynak situé à l’est du pays, près de la frontière pakistanaise. Ce dernier contiendrait également 600 000 tonnes de cobalt, associé au cuivre. Des ressources de 9100 tonnes d’argent et 724 000 tonnes de molybdène ont aussi été estimées au côté du cuivre dans différents gisements. 2100 millions de tonnes de minerais contenant 63% de fer ont également été recensées dans plusieurs gisements et notamment celui de Haji Gak dans le centre du pays ainsi que 4,5 millions de tonnes de bauxite contenant 50,5% d’alumine dans les provinces de Zabul et Baghlan. Au sud du pays, dans la province de Helmand, ce sont des ressources en terres rares et en niobium qui auraient été découvertes, estimées à près de 1,3 millions de tonnes de terres rares et 3,48 millions de tonnes de minerais de niobium À cela s’ajoutent d’importantes quantités d’uranium, de fluor ou de phosphore. Les provinces du Logar et de Khost contiendraient près de 200 000 tonnes de chrome, et 5000 tonnes de graphite ont été recensées dans le nord de l’Afghanistan. Toutefois, l’USGS estime qu’un million de tonnes supplémentaires pourraient être découvertes dans le pays. Dans les provinces de Kandahar, Herat et Paktia, 244 000 tonnes de de zinc et de plomb ont été estimées ainsi  que 32000 tonnes de mercure (provinces de Farah et Ghor) et 3000 tonnes d’or (provinces de Takhar, Ghazni, Badakhshan et Zabul)[6] Enfin, Hamid Karzai avait déclaré en 2010 que l’Afghanistan disposait de ressources en lithium aussi importantes que celles de la Bolivie, et que l’Afghanistan pourrait devenir « la capitale mondiale du lithium[7]».

Malgré l’importance de ces réserves, tant pour l’économie afghane que pour l’économie mondiale, leur exploitation ne va pas de soi. En effet, elles nécessitent infrastructures, stabilité et sécurité, trois critères qui ne caractérisent pas l’état de l’Afghanistan aujourd’hui.

 

Le contexte afghan en 2017

Le retrait de l’OTAN et de la majorité des forces américaines en décembre 2014 n’a pas été le signal de l’arrêt des combats en Afghanistan, mais bien le passage du relais aux forces gouvernementales afghanes. Ces dernières voient les talibans gagner en influence malgré le soutien financier et militaire des États-Unis. À la veille de leur traditionnelle « offensive de printemps » 2017, les talibans contrôlaient plus de onze districts et en disputaient 131 au gouvernement sur les 400 que compte le pays[8]. Mais cet apparent succès n’est pas exempt de difficultés. En effet, la mort du mollah Omar en 2013 a mis à jour les divisions internes du mouvement également nourries par la montée en puissance de Daech et la résurgence du conflit entre sunnites et chiites.

Présente en Afghanistan depuis janvier 2015, l’organisation « État islamique » a rapidement vu plusieurs chefs talibans lui faire allégeance. Immédiatement combattu par les talibans, un coup d’arrêt aurait été donné à Daech à la frontière nord contre l’Islamic Movement of Uzbekistan[9].

La montée en puissance de l’Etat islamique a eu le mérite de faire évoluer la doctrine politico-religieuse des talibans. On observe notamment une intolérance religieuse moindre que par le passé dans les zones disputées avec le gouvernement, mais aussi la réémergence d’une vision afghano-centrée. Ces deux éléments permettent d’envisager une interaction plus importante entre les talibans et le gouvernement afghan. L’arrivée de Daech non seulement retarderait la stabilisation du pays, mais pourrait également entraîner une déstabilisation des pays voisins en Asie centrale ainsi qu’un regain d’activité de la minorité musulmane ouïgoure en Chine.

Dans ce contexte, les États-Unis ont annoncé le renforcement de leur dispositif politico-militaire sur place. Alors que Donald Trump avait annoncé vouloir retirer les 8000 soldats américains restant en Afghanistan, ce ne sont finalement pas moins de 3900 soldats qui y seront envoyés dans les prochaines semaines[10].

 

La présence étrangère en Afghanistan : des intérêts divergents au prisme de la « Realpolitik »

Pour des raisons diverses, plusieurs pays sont impliqués en Afghanistan. Le soutien de Washington est militaire et financier. Pays frontalier de l’Afghanistan, la Chine souhaite intégrer l’Afghanistan dans sa stratégie globale, mais se heurte aux réalités afghanes. Puissance plus lointaine, l’Inde souhaite profiter des opportunités économiques que représente le pays. Enfin, les états frontaliers que sont l’Iran et le Pakistan sont aussi des acteurs importants sur l’échiquier afghan.

 

Les États-Unis, acteur « historique » 

Présents depuis fin 2001, les États-Unis et leurs alliés occidentaux sont les soutiens majeurs du gouvernement afghan tant sur le plan militaire que financier. Le retrait militaire, certes partiel, a néanmoins réduit leur influence dans le pays.

Dès les premières publications de l’USGS, de nombreux médias échaudés par l’expérience irakienne considérèrent cette guerre comme une guerre faite pour les ressources et non pour l’Afghanistan. Toutefois, sept ans après l’annonce des découvertes, ils semblent que les occidentaux aient peu profité de leur position dominante pour « s’accaparer » les ressources du pays. Jusque récemment l’entreprise canadienne Kilo Goldmines y était une des seules entreprises occidentales présentes dans la prospection minière.

Comparant les offres des « Majors » occidentales à celles de leurs homologues chinoises pour l’exploitation du gisement d’Aynak, Erika Downs a constaté qu’elles apportent moins de garanties notamment en termes de financement des infrastructures. Par manque de financement ou de soutien économique, les entreprises occidentales n’ont pu concurrencer les entreprises chinoises dont les offres concordaient avec la stratégie de l’État chinois.

Ce sont peut-être ces raisons qui ont poussé Donald Trump à réviser son jugement sur l’Afghanistan et à y réaffirmer la présence américaine.  Alors qu’il twittait en 2013, « We should leave Afghanistan immediately », il mettait de l’eau dans son vin en 2015 dans une interview pour NBC, « Afghanistan has tremendous minerals, which a lot of people don’t know ». Lors d’une réunion avec la presse fin janvier 2017, il critiquait l’attitude de la Chine (« We’re here fighting, and China is taking out all the minerals ») et insistait sur la récompense revenant de droits aux États-Unis après leur intervention militaire (« To the victors go the spoils »)[11]. Cette déclaration d’intention a été confirmée par un communiqué de la Maison blanche le 22 septembre 2017 en marge de la rencontre entre le Président américain et son homologue afghan, Ashraf Ghani, dans lequel elle indiquait : « They discussed economic development issues, including how American companies can help quickly develop Afghanistan’s rich rare earth mineral resources. They agreed that such initiatives would help American companies develop materials critical to national security while growing Afghanistan’s economy and creating new jobs in both countries[12]».

Ce revirement va à l’encontre de l’avis de l’administration Obama qui estimait que l’exploitation des ressources afghanes ne pourrait se faire que sur le temps long. Elle avait d’ailleurs chargé le Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR) d’étudier la faisabilité d’investissements américains dans le secteur minier afghan. Ainsi, la Task Force for Business and Stability Operations (TFBSO) et la U.S. Agency for International Development (USAID) ont investi 488 millions de dollars de 2009 à 2015, mais se montraient très pessimistes quant aux effets de ces investissements.

 

La Chine, un acteur central de l’échiquier afghan

La proximité des gisements afghans fait de la Chine la principale intéressée par leur exploitation. Mais tout d’abord, la Chine est préoccupée par sa sécurité. En effet, elle est attentive à toute déstabilisation de l’Asie centrale et porte une attention particulière au terrorisme islamique. La région frontalière de l’Afghanistan, le Xinjiang, est peuplée par la minorité musulmane ouïgoure. Elle a très rapidement reconnu le gouvernement afghan après l’invasion américaine et a insisté pour intégrer le pays à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) comme observateur. Elle est un donateur régulier mais peu important en comparaison des sommes occidentales. Sur les 39 milliards de dollars promis par la communauté internationale entre 2002 et 2011 (et dont seulement la moitié ont été honorés), la Chine ne s’est engagée qu’à hauteur de 145,1 millions de dollars dont seuls 41 millions ont été payés[13]. Toutefois, grâce au traité de bon voisinage et de coopération signé en 2008, elle s’est engagée dans la formation de la police et des douanes afghanes, la question de l’assistance militaire restant floue. Au-delà de son soutien, la Chine est un élément clé du dialogue entre le gouvernement afghan et les talibans grâce à ses liens avec les services secrets pakistanais[14].

Le pays fait partie de la stratégie globale de la Chine qui entretient également des liens particuliers avec le Pakistan tant en termes de coopération contre le terrorisme que de coopération économique. À ce titre, les investissements de l’empire du milieu dans le port de Gwadar et dans la route de Karakorum font partie intégrante du programme d’ouverture « Grand Ouest » qui consiste à développer l’économie de l’ouest de la Chine mais aussi de la « Silk road economy belt » qui permettra de prolonger la route de la soie eurasiatique[15]. Ces investissements de 46 milliards de dollars s’accompagnent d’un traité de libre-échange signé en 2007[16]. Pour réduire cette dépendance vis à vis du Pakistan et pour diversifier ses sources d’approvisionnement, la Chine est néanmoins tentée par les ressources minérales afghanes et le passage par l’Iran et le Turkménistan.

En 2007, deux entreprises d’État chinoises, Metallurgical Corporation of China (MCC) et Jiangxi Copper Corporation (JCCL) ont investi 4,4 milliards de dollars dans le gisement de cuivre d’Aynak[17]. MCC aurait proposé des investissements à hauteur de 10 milliards de dollars pour mettre en valeur le gisement[18]. En plus de cela, China National Petroleum Corporation (CNPC) a sécurisé trois blocs pétroliers du champ de pétrole d’Amu Darya[19]. À la suite de cet investissement, un accord de faisabilité a été signé avec le gouvernement afghan en 2012 pour la construction du segment afghan d’un pipeline allant d’Iran en Chine et passant par l’Afghanistan et le Turkménistan[20]. Un peu rapidement peut-être les dirigeants de JCCL déclaraient en 2009 : « It is very safe to conduct the project in Afghanistan because the Americans are guarding us[21] ».

Outre la présence américaine, la Chine doit également faire face à la concurrence de l’Inde qui souhaite étendre son influence au-delà du Pakistan et profiter des matières premières afghanes pour son développement économique.

 

L’Inde, un acteur à ne pas sous-estimer

Les relations entre l’Inde et l’Afghanistan, importantes à l’époque de l’occupation soviétique, avaient connu un ralentissement sévère depuis les années 1990 sous la domination talibane et l’ingérence du Pakistan dans les affaires afghanes. L’Inde a fourni un soutien discret à la coalition sous forme d’aide au renseignement et a rapidement reconnu le nouveau gouvernement afghan.

Ainsi, dès 2008, l’Inde était l’un des plus importants contributeurs humanitaires, fournissant 750 millions de dollars au gouvernement afghan[22]. En 2009 elle terminait la construction d’une route dans la province de Nimroz entre Delaram et Zaranj, reliant le pays au port iranien de Chabahar qui avait l’avantage de réduire sa dépendance vis-à-vis des routes pakistanaises pour ses relations commerciales avec l’Afghanistan[23].

En 2011, l’Inde et l’Afghanistan ont signé un partenariat stratégique qui incluait la formation de la police afghane ainsi qu’un pacte préliminaire de développement des ressources minérales comprenant notamment la formation de géologues afghans ainsi que la mise en œuvre d’une cartographie détaillée des ressources gazières afghanes[24].

Ce partenariat s’est traduit par la signature d’un contrat de développement pour l’un des plus importants gisements de fer d’Afghanistan. Sept entreprises indiennes menées par l’entreprise d’État Steel Authority of India ont obtenu le développement des gisements de fer de Hajigak (deux milliards de tonnes de minerais de fer) dans le centre du pays contre la promesse de 10,4 milliards de dollars d’investissement. Alors que l’exploitation devait commencer en 2015, l’ouverture de la mine a été reportée à une date indéterminée.

La présence indienne en Afghanistan a deux objectifs. L’un, économique, consiste à profiter des ressources présentes sur le sol afghan, ce qui constitue une diversification des approvisionnements à moindre coûts. L’autre, plus politique, consiste à contester l’influence sino-pakistanaise en Afghanistan en investissant massivement dans le pays et en développant ses liens avec l’Iran. Cette tactique a été confortée par « La stratégie pour l’Afghanistan et l’Asie du sud » lancée par Donald Trump en août 2017.

 

Limites, défis et perspectives de l’exploitation minière en Afghanistan

 Si les entreprises chinoises se montraient optimistes quant à l’exploitation des ressources minières et pétrolières en Afghanistan, elles n’exploitent pour l’instant toujours aucun gisement et l’activité sur ses sites semble au point mort. Le problème est le même en ce qui concerne les concessions indiennes. Les difficultés liées à la sécurité, la faiblesse de l’Etat afghan et l’insuffisance d’infrastructures, dans le transport comme dans l’énergie, sont autant de raisons d’ajourner les investissements.

 

L’absence de sécurité nuit à l’implantation des compagnies étrangères

Il était prévu dans l’offre chinoise que les activités d’extraction commencent dès 2013 et créent plusieurs milliers d’emplois. Or, quatre ans plus tard, elles n’ont toujours pas commencé.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première concerne l’insécurité dans le pays. Sortant de décennies de guerre, les zones dangereuses et notamment les zones minées sont encore nombreuses. De plus, les talibans conservent le contrôle de plusieurs zones ou des concessions ont été attribuées et insistent sur le fait que « les Chinois devaient négocier avec les talibans[25]». Après plusieurs attaques contre leurs ingénieurs et leurs employés ainsi que contre les trains transportant du matériel, MCC et JCCL ont choisi de se mettre en retrait en prenant prétexte de la découverte d’un temple bouddhiste à préserver… Seuls 1800 (sur plusieurs milliers originellement) Afghans ont été embauchés sur le site, principalement pour sa protection et le déminage des environs[26]. En raison de ces délais, seuls 133 millions de dollars ont été payés sur les 808 millions promis au gouvernement afghan lors la signature du contrat de concession d’Aynak.

Si des négociations avec les talibans étaient inenvisageables en 2015, les trois partis semblent avoir fait des concessions puisque les Chinois ont accepté de considérer les talibans comme des interlocuteurs à part entière du processus d’exploitation minière. De leur côté, les talibans ont récemment apporté leur soutien aux projets chinois en souhaitant que « all its mujahedin to help in the security of all national projects that are in the higher interest of Islam and the country »[27].

Les critiques contre les entreprises chinoises se situaient également sur le plan économique. En effet, Pékin était accusé de ne pas avoir pris en compte les problèmes sociaux et environnementaux dans son offre, ce qui renchérissait automatiquement le coût des opérations.

 

L’exploitation des ressources minières, un aspect essentiel du développement économique de l’Afghanistan

En 2014, lors d’un discours devant le congrès américain, le président afghan souhaitait que grâce à ses ressources, le pays puisse être autonome d’ici 2024. Pour cela, les investissements chinois et indiens étaient de bons augures.

Le développement de la route de la soie et des infrastructures devraient d’abord relier l’Afghanistan au reste du continent ce qui accélérerait son développement économique.

Ensuite, la Banque mondiale estimait en 2012 que l’exploitation des gisements d’Aynak et de Hajigak rapporterait au moins 500 millions d’euros par an à l’État puis permettrait la création de  7000 emplois directs et 90 000 emplois indirects dans la construction et l’entretien des infrastructures[28]. Quant aux bénéfices de l’exploitation du champ de pétrole d’Amu Darya, ils étaient estimés à sept milliards de dollars sur la base d’un baril à 100 dollars[29].

Cela s’ajouterait aux 2100 tonnes de chromite, aux 24 000 tonnes de fer et aux 233 000 tonnes de charbon que produisait l’Afghanistan en 2014, même si à l’échelle internationale, la production d’une si petite quantité ne représente pas grand-chose. Par ailleurs l’USGS estime que 730 kilogrammes d’or sont vendus localement et illégalement en Afghanistan.

Il y a fort à parier que la croissance continue de la Chine aura un impact non négligeable sur le développement économique du pays, notamment en raison de la proximité des ressources et de son intérêt pour la sécurité en Asie centrale. Toutefois, de nombreux challenges devront être relevés.

 

Les faiblesses de l’État afghan, une limite à l’exploitation de ses ressources

En plus de la corruption, du manque d’infrastructures et du manque de personnel qualifié, le gouvernement afghan doit faire face au problème dit de « la malédiction des ressources » qui peut caractériser un pays n’ayant pas les infrastructures étatiques suffisantes pour une bonne gestion de ses ressources naturelles.

En août 2014, le parlement afghan votait une nouvelle loi minière dans le but de mieux gérer ses ressources naturelles. Toutefois, malgré le cadre adéquat de cette loi, de réelles difficultés d’application existent.

Ainsi, dès 2013, Le Figaro se faisait écho de cas de corruption et notamment du cas de la concession de Hajigak accordée à un consortium indien. Alors que le contrat devait apporter au moins 500 millions de dollars au gouvernement afghan, les parlementaires afghans auraient freiné les négociations afin de toucher une partie de cette somme, ce qui aurait eu le don de refroidir les investisseurs indiens[30].

La faiblesse de la société civile afghane est un désavantage pour le respect du code minier et la lutte contre la corruption faisait remarquer le United States Institut for Peace dans son rapport final de 2015[31]. L’ONG américaine constatait également des irrégularités dans l’attribution des concessions et une absence de transparence vis-à-vis des contrats. Rien n’apparaissait non plus quant à d’hypothétiques mesures de protection de l’environnement, de sécurité au travail ou de dialogues avec les communautés. Ce manque de transparence et de cadres aurait un effet négatif sur les revenus que le gouvernement afghan pourrait tirer de la manne minière en encourageant notamment l’extraction artisanale de minerais. Cette situation a été confirmée par le SIGAR dans un rapport datant de 2016, indiquant qu’environ 1400 mines étaient illégales contre 300 légales[32]. L’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) complète cette assertion en indiquant que les produits les plus concernés par l’extraction illégale sont la bauxite et l’or[33].

Le manque d’infrastructures et de personnels qualifiés est aussi un frein au développement économique de l’Afghanistan. En effet, des infrastructures routières de qualité sont nécessaires pour l’exploitation à grande échelle de gisements importants. S’ajoute à cela la problématique de l’énergie censée faire fonctionner la mine et qui est également absente. Ainsi, les Chinois s’étaient engagés à construire une centrale électrique à charbon, ce projet n’a pas encore vu le jour, tant en raison du coût de la centrale que de celui du transport du charbon… Les Indiens quant à eux souhaitent que le gouvernement afghan participe à la construction du chemin de fer devant desservir le gisement de Hajigak. Tout problème en entraînant un autre, la construction de telles infrastructures mettrait en relief l’absence du personnel afghan nécessaire à l’utilisation et l’entretien des centrales électriques ou des chemins de fer…

La difficulté de l’État afghan et son manque d’infrastructures entrainent non seulement un investissement moindre mais également une baisse de revenu significative. Ces deux aspects entravent son développement économique qui pourrait permettre d’envisager la stabilisation du pays.

À l’échelle internationale, les quantités de matières premières découvertes en Afghanistan sont importantes mais ne représentent pas un enjeu immédiat (même si de nombreux gisements restent sûrement à découvrir). Les 60 millions de tonnes de minerais de cuivre[34],  2,5 milliards de tonnes de minerais de fer et 4,5 millions de tonnes de bauxite sont en effet à comparer aux ressources mondiales estimées par l’USGS à 2,1 milliards de tonnes de cuivre[35], 800 milliards de tonnes de minerais de fer[36] et 75 milliards de tonnes de bauxite[37]. Il faut également souligner que ces ressources ne sont que des estimations qui demandent encore à être confirmées. Il ne faut pas imaginer que 1000 milliards de dollars tomberont tout simplement dans les mains du gouvernement afghan. Le versement de la rente minière se fera sur le temps long et devra prendre en compte les coûts d’exploitation, le payement des actionnaires ou encore les prix parfois instables des matières premières.

Les ressources peuvent donner à l’Afghanistan un levier de développement économique non négligeable. Anticipant sur des jours meilleurs les entreprises étrangères prennent déjà des participations dans les gisements assortis de contrats de formation des forces de sécurité afghane ou de fourniture de matériels de sécurité. Ces investissements permettront d’ancrer l’Afghanistan à la partie asiatique de la route de la soie qui elle-même rejoint l’Europe.

À ce jeu, les entreprises chinoises et indiennes semblent avoir une longueur d’avance sur les entreprises occidentales, profitant de leur voisinage immédiat et de financements moins difficiles à obtenir. Si les initiatives chinoises montrent une stratégie globale avec une vision sur le long terme (facilité d’accès au financement, entreprise d’État ou soutenues par l’État), l’expérience afghane traduit également une certaine méconnaissance des enjeux du pays comme le montre l’incapacité des entreprises chinoises à honorer leurs promesses. Cela entraîne un mouvement de défiance du gouvernement afghan, pris très aux sérieux par la Chine.

L’implantation de Daech en Afghanistan ces dernières années fait craindre le risque de son expansion en Asie centrale, provoquant un effet « domino ». Ainsi, l’Afghanistan a valeur de pivot. Une stabilisation du pays permettrait de contenir le groupe islamique, mais passe nécessairement par un dialogue entre les acteurs nationaux comme internationaux et par son développement économique. À ce titre, les ressources de son sous-sol représentent une excellente opportunité en même temps qu’un défi presque insurmontable.

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