Le rôle des minerais stratégiques dans la transition énergétique

Mis en ligne le 13 Juin 2017

Les minerais stratégiques sont au cœur de la transition énergétique ; ils s’avèrent absolument nécessaire à la construction des nouveaux moyens de production (éoliennes, centrales solaires…). Cette situation pourrait conduire à un paradoxe. La quête de l’indépendance énergétique, qui est une des finalités de cette transition, risque ainsi de faire naître une nouvelle dépendance vis-à-vis des fournisseurs de minerais stratégique. L’article dresse un panorama des enjeux croisés entre minerais stratégiques et transition énergétique, tout en examinant les positionnements de la France et de l’UE dans ce contexte.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Raphaël Danino-Perraud, « Le rôle des minerais stratégiques dans la transition énergétique », Session IHEDN « Master 2 – Défense et Géopolitique », octobre 2016

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l‘ANAJ-IHEDN.

 

Le rôle des minerais stratégiques dans la transition énergétique

L’intérêt du grand public pour la question des minerais stratégiques a véritablement commencé en 2011, en pleine crise des Îles Senkaku entre la Chine et le Japon, revendiquant tous les deux l’archipel. Face à ce qu’elle considérait comme une menace pour sa souveraineté, la Chine, en mesure de rétorsion, interdisait l’exportation des terres rares à destination du Japon privant ainsi l’industrie nipponne de matériaux essentiels à son fonctionnement. Quelques mois plus tard, la Chine instaurait des quotas d’exportation des terres rares, vis-à-vis des pays occidentaux, officiellement pour se protéger de l’épuisement des ressources. Nous avons pris conscience très brutalement du monopole chinois sur les terres rares (près de 98 % des terres rares étaient produites par la Chine) et par la même, de notre vulnérabilité vis-à-vis ces minerais. Bien que cette crise se soit partiellement résolue en mai 2015 et la suppression des quotas par la Chine après une condamnation de l’OMC[1], elle a provoqué une réflexion importante des pays occidentaux quant à leur vulnérabilité vis-à-vis des matières premières minérales. Cet article vise à sensibiliser le lecteur sur les enjeux des minerais stratégiques, dont les problématiques liées aux terres rares ne sont que la partie émergée de l’iceberg. L’exemple de leur application aux technologies de la transition énergétique est significatif puisque ce processus industriel entamé par les plupart des pays industrialisés entraîne une augmentation significative de leur production faisant ressortir les tensions liées à leurs approvisionnements.

Minerais critiques, minerais stratégiques, la vulnérabilité à l’aune de la souveraineté nationale

 En 2011, l’Union européenne publiait une liste de seize minerais et les vulnérabilités qu’ils représentaient sur les plans industriel, économique et minier. Mise à jour en 2014, cette liste contient maintenant vingt minerais qui sont les suivants : antimoine, béryllium, borate, chrome, cobalt, coke, fluorite, gallium, germanium, indium, magnésite, magnésium, graphite, niobium, phosphate, platinoides (platinum, palladium, rhodium), silicium, terres rares légères (Lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, samarium, europium, gadolinium), terres rares lourdes (Terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium, avec yttrium et scandium) et tungstène[2]. Cette liste servira de base à notre réflexion mais n’est pas exhaustive. En effet, certains minerais dont la criticité industrielle est avérée peuvent y être ajoutés. Le spécialiste des minerais, Didier Julienne, élargissait cette liste à plusieurs autres minerais dont le cuivre, le nickel, le fer, le bauxite, le zinc, le tantale, le lithium et le tellurium[3]. La notion de criticité elle même évolue, mais on peut en retenir deux aspects décrits par Alexandre Paillard, Directeur du domaine « armement et économie de défense » à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), pour qui « le caractère stratégique d’un métal est (…) lié à son importance dans la chaîne de production, à son niveau de rareté et à sa position géographique. Au regard de ces différents critères, sa dimension stratégique est variable dans le temps, selon les applications techniques qui en sont faites, les évolutions de l’offre et les tensions géopolitiques que peuvent connaître ponctuellement des pays producteurs. Si un métal est absolument indispensable à des filières industrielles spécifiques, concentré géographiquement dans une région à haut potentiel géopolitique et faisant l’objet de phénomènes de rareté, le métal est alors considéré comme critique et pas seulement stratégique[4] ».

Les tableaux suivants donnent un aperçu des pays producteurs de minerais stratégiques ainsi que des applications industrielles de ces minerais.

Minerais Pays producteurs (%)
Antimoine Chine (89), Australie, Turquie, Tadjikistan…
Beryllium USA (91), Chine (8)
Cobalt RDC (61), Russie (6), Canada (4)
Gallium Chine (70), Allemagne (10), Kazakhstan (6)
Germanium Chine (65), Finlande (14), Russie (4)
Graphite Chine (75), Inde (8), Brésil (4)
Indium Chine (60) Japon (8), Corée du sud (8), Belgique (4)
Lithium Australie (33), Chili (33), Chine (3), Argentine (2)
Magnésium Chine (86), Israël (6), Russie (4)
Niobium Brésil (92), Canada (7)
Platinoides Afrique du sud (61), Russie (27), Zimbabwe (4)
Silicium Chine (56), Brésil (11), France (6)
Tantale Rwanda (44), RDC (19), Brésil (8), Chine (5)
Terres rares Chine (95), Australie (3)
Tungstène Chine (85)

Pays producteurs de minerais stratégiques : Compilation de données, Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) et United States Geological Survey (USGS) (Chiffres de 2014)

 

Minerais Secteurs (%)
Antimoine Verres, céramiques (6), catalyseur (6), Alliages (14), Batterie (32), Retardateur de flammes (43)
Béryllium Transport (25), électronique (45), équipement mécanique (25)
Cobalt Batterie (35), superalliage (18), carbure (13), catalyseur (11), aimant (6), chimie (7)
Gallium Électronique et solaire (90)
Germanium Fibre optique (30), optique infrarouge (25), catalyse (25), électronique et photovoltaïque (15)
Graphite Réfractaires (52), batteries (8), fonderie (14), freins (5)
Indium Écran plat (56), interface thermique (6), photovoltaïque (8), alliage (4), batterie (5)
Lithium Verres et céramiques (35), batteries (31), alliages
Magnésium Chimie, métallurgie (50), alliages (41)
Niobium Alliages (83), superalliages (8)
Platinoides Automobiles (60), chimie (8, électronique (20)
Silicium Alliages (45), photovoltaïque (12), chimie (35)
Tantale Électronique (40), superalliage (20), chimie (10), carbure (9)
Terres rares Aimants (20), métallurgie (10), batteries (8), chimie (20), verre et céramique (12)
Tungstène Carbures (60), alliages (17), superalliages (6)

Production par secteurs : Compilation de données, Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) et United States Geological Survey (USGS) (Chiffres de 2014)

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces deux tableaux. En termes de production, la France ne produit pas de minerais stratégiques. La Chine quant à elle est en situation de domination voire de monopole pour neuf d’entre eux (antimoine, gallium, germanium, graphite, indium, magnésium, silicium, terres rares et tungstène). Plusieurs autres pays, dont les États-Unis, le Brésil, l’Afrique du Sud ou la République démocratique du Congo (RDC) détiennent également une position monopolistique sur certains minerais (bérylium, niobium, platinoides et cobalt).

Ces minerais sont utilisés principalement dans les industries de la métallurgie, de la chimie et de l’électronique. Les alliages et composants fabriqués approvisionnement les industries de l’aéronautique, de la défense, de l’automobile… En 2015, ces secteurs représentaient près de trois millions d’emplois en France et un chiffre d’affaires de 275 milliards d’euros[5]. Ces chiffres donnent une bonne idée de l’importance stratégique de ces industries, tant pour des questions de sécurité nationale que pour des questions de souveraineté industrielle et économique.

Comparées aux autres grands minerais industriels comme le cuivre, le fer, l’aluminium, la quantité de minerais stratégiques produite est très faible, parfois même insignifiante (voir tableau ci- dessous). Contrairement aux minerais industriels dont la production se compte en millions de tonnes (cuivre : 21 millions de tonnes en 2013[6], fer : 1918 millions de tonnes en 2014[7], beauxite : 60 millions de tonnes en 2014[8], la plupart des minerais stratégiques ne sont pas cotés au London Metal Exchange (LME). Les contrats se faisant de grés à grés, les volumes physiques et financiers sont difficiles à évaluer. Pourtant, ils sont essentiels aux technologies à haute valeur ajoutée et particulièrement dans les technologies liées à la transition énergétique.

Minerais Quantité produite (T)
Antimoine 150 000
Beryllium 259
Cobalt 82000
Gallium 680
Germanium 165
Graphite 1190
Indium 770
Lithium 360 000
Magnésium 910 000
Niobium 63 000
Platinoides 605
Silicium 2400 000
Tantale 1300
Terres rares 110 000
Tungstène 72000 

Production de minerais stratégiques : Compilation de données, Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) et United States Geological Survey (USGS) (Chiffres de 2014) 

Minerais stratégiques et transition énergétique

La notion de transition énergétique induit des changements dans notre mix énergétique, dans les transports et l’habitat, ainsi que dans la gestion des déchets. Afin d’opérer cette transformation, de nombreux investissements doivent être faits dans des technologies qui sont parfois loin d’être aussi matures que les énergies fossiles. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, la transition énergétique n’est pas (au moins dans un premier temps) écologique.

Concernant la transition énergétique, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), dans sa vision énergétique 2030-2050, envisage plusieurs scénarios énergétiques et notamment une consommation uniquement composée d’énergies renouvelables à l’horizon 2050[9]. Aussi intéressante et encourageante soit elle, cette étude n’envisage aucunement la consommation de matières premières nécessaires à cette transition. Panneaux solaires et éoliennes sont en effet particulièrement gourmands en minerais. A titre d’exemple, une éolienne de 3,5 mégawatts consomme environ 600 kilogrammes de terres rares. Au delà même des minerais stratégiques, les minerais traditionnels tels que le cuivre, le fer et l’aluminium seront durement sollicités. Des études récentes, notamment celles impliquant des chercheurs du CNRS et des universitaires français, publiées par l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) indiquent que pour une même énergie produite, les éoliennes et centrales solaires nécessitent jusqu’à 15 fois plus de béton, 90 fois plus d’aluminium et 50 fois plus de cuivre et de fer que les centrales de production utilisant des combustibles traditionnels. Les futures éoliennes terrestres de 6 mégawatts hautes de 170 mètres consommeront environ 1500 tonnes d’acier, soit 70% fois plus que les technologies en place actuellement. Les prochaines éoliennes off- shore de 3,6 à 10 mégawatts déplaceront 6000 tonnes et nécessiteront pour chaque éolienne entre 1200 et 1800 tonnes d’acier, 350 tonnes à 500 tonnes/mégawatts, soit 130% à 380% fois plus que les consommations actuelles. 800 éoliennes de 6 mégawatts, soit 1,2 million de tonnes d’acier sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une centrale nucléaire de 1300 mégawatts contenant entre 3 et 8 fois moins d’acier et ayant une durée de vie 4 fois supérieure. Chaque éolienne consommera également 20 tonnes de cuivre et plusieurs kilomètres de câbles sous-marins en cuivre pour être reliées les unes aux autres et au continent. Cela ne concerne pas les infrastructures puisque des lignes Ultra Haute Tension en aluminium et acier devront être construites pour relier le réseau. Actuellement, 45 000 kilomètres de nouvelles lignes haute tension sont envisagés en Europe[10].

L’empreinte écologique de la transition énergétique est aggravée par le fait que la production de minerais stratégiques, du fait de leur moindre importance dans la croûte terrestre, demande une énergie plus importante en termes d’extraction de minerais puis de procédé chimique et industriels de concentration des métaux. Le retour sur investissement énergétique (EROI) n’est donc pas si évident[11].

Au delà des problématiques liées au mix énergétique, la question des systèmes à économie d’énergie se pose. Dans le secteur des transports, une voiture hybride utilise entre 10 et 15 kg de terres rares ainsi que plusieurs autres minerais, dont des platinoides. La consommation de voiture hybride allant croissant, la demande en minerais ne fera qu’augmenter. De la même manière, le secteur aérien utilise des alliages à base de titane et de lithium pour la structure des avions, mais également du niobium et du coltan dans les réacteurs. Ces nouveaux avions, plus léger doivent théoriquement permettre des économies de carburant. Enfin, l’électronique utilisée dans les smartgrid pour les villes intelligentes est tout aussi consommatrice de minerais stratégiques.

La question du recyclage se pose donc avec acuité. Comme le montre le tableau suivant, le taux de récupération des minerais au niveau mondial est assez disparate et cela sans même évoquer les taux de récupération région par région impossibles à évaluer. De plus, elles sont liées aux technologies disponibles mais également aux quantités de minerais utilisés. Si celles ci sont trop infimes, elles ne sont pas récupérables, comme c’est le cas dans les écrans plats qui contiennent quelques grammes d’indium. Il existe plusieurs exemples d’entreprises s’étant lancée dans le recyclage avec succès. On pense notamment à Recyclum, entreprise basée à Grenoble, dans les batteries au lithium ou à Rhodia qui recycle les terres rares à La Rochelle.

Minerais Taux de recyclage (%)
Antimoine 20
Beryllium 25
Cobalt 26
Gallium 15
Germanium 30
Graphite NC
Indium 40
Lithium NC
Magnésium 10
Niobium 15
Platinoides 50
Silicium 12
Tantale 20
Terres rares 1
Tungstène 25

Taux de recyclage des minerais stratégiques : Compilation de données, Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) et United States Geological Survey (USGS) (Chiffres de 2014)

Le recyclage se heurte à certaines limites à court et à long terme. Sur le long terme, tous les minerais ne sont pas récupérables. Sur les court et moyens termes, plusieurs raisons à cela existent. Tout d’abord, le prix des minerais étant assez volatile, cela rend parfois hasardeux l’investissement dans des technologies très capitalistiques. L’investissement peut également se heurter aux  évolutions technologiques pouvant rendre l’utilisation de certains minerais obsolète. Après avoir investi dans une structure et une technologie, Rhodia a annoncé la fermeture de sa chaîne de recyclage de terre-rares à l’été 2016 pour des raisons de prix et de ruptures technologiques. La crise de 2007 a provoqué un investissement dans la production de terre-rares. Ces investissements sont en train d’arriver à maturité, en même temps que les technologies de recyclage, dans une conjoncture économique de baisse de la consommation. Il y a donc une surcapacité de production de terres rares. Sur le plan technologique, les technologies d’ampoules aux terres-rares sont progressivement remplacées par les LEDs.

Si nous nous trouvons actuellement dans une période de croissance faible et de surcapacités de production, en période de forte croissance de la demande, le recyclage est structurellement insuffisant. Cette filière est malheureusement peu mature en Europe et les déchets européens sont largement exportés, notamment vers la Chine ou l’Inde. Cette réalité pose une autre question désagréable pour les pays occidentaux. En effet, alors que l’Europe peine à créer une véritable industrie de recyclage, la Chine ou l’Inde ne se préoccupent pas de la rentabilité immédiate d’une filière, mais plutôt de la constitution de stock stratégique, ce qui traduit une vision et une planification à long terme[12].

Les facteurs géologiques et économiques ne sont pas les seuls facteurs de tensions sur les minerais stratégiques. L’aspect géopolitique peut aussi être étudié pour comprendre les crises liées aux minerais.

Une politique de puissance liée au contrôle des matières premières et à leur maîtrise technologique

Deux facteurs d’instabilité peuvent être étudiés dans le cadre géopolitique. Le premier concerne la politique de puissance menée par certains États pour s’assurer le contrôle des ressources nécessaires à leur sécurité. Le deuxième facteur est une conséquence du premier qui provoque une lutte entre grandes puissances pour le contrôle des ressources, au détriment des régions dans lesquelles elles se situent. Nous nous trouvons dans la situation où une quinzaine de pays contrôlent la production des minerais stratégiques. La Chine est manifestement en situation de monopole sur plusieurs d’entre eux (antimoine, gallium, germanium, graphite, indium, magnésium, silicium, terres rares, tungstène). La crise des quotas sur les terres rares n’est que l’aboutissement d’une stratégie chinoise qui a débuté au début des années 1990 avec la chute de l’URSS. Alors que les démocraties occidentales voulaient récolter les dividendes de la paix, la France soldait ses stocks de minerais et fermait ses mines. La Chine, quant à elle, développait un ambitieux programme industriel ouvrant des mines de terres rares sur son territoire et rachetant ses concurrents. Tout d’abord, le développement de mines de terres rares à bas coûts était permis par de moindres coûts salariaux et la possibilité de ne pas respecter les normes environnementales. Cet effort a asphyxié l’entreprise américaine Molycorp, principale producteur de terres rares : elle a dû fermer sa dernière mine aux États-Unis en 2002. Aujourd’hui encore, le contrôle de la Chine sur les prix des terres rares empêche l’entrée sur le marché d’autres acteurs comme le prouvent les difficultés de Molycorp à y reprendre pied[13]. La Chine s’est également attelée à racheter des technologies liées aux terres rares.

Ainsi, l’entreprise américaine de fabrication d’aimants à base de terres rares Magnequench a été rachetée en 1992, sous réserve de préserver l’emploi pendant cinq ans. Cinq ans plus tard, l’usine était fermée et les compétences technologiques transférées en Chine[14]. Cette politique de rachat effrénée de compétences minières atteint son paroxysme en 2009 lorsque l’entreprise Chinalco a souhaité racheter l’Australien Rio Tinto. Le FIRB (Foreign Investment Review Board) australien a mis son veto à cette OPA, de même qu’au rachat de 49,9% du mineur de terres rares Lynas par China Nonferrous Metal Mining (CNMC) et au rachat d’Oz Minerals par l’entreprise chinoise Minmetals[15]. Aujourd’hui encore, la Chine est toujours à la recherche d’investissement minier comme le montre le récent rachat de la mine de cuivre de Tenke Fungurume en RDC, par l’entreprise China Molybdenum[16]. En cela, le pays du levant ne fait que suivre l’exemple canadien. A partir de 1996, le Canada s’est en effet doté d’une législation particulièrement favorable aux entreprises minières. Dès la fin de l’année 1997, les entreprises minières cotées en bourse au Canada détenaient 8000 propriétés minières dans le monde. En 2009, 75 % des sociétés d’exploration et d’extraction minières ont leur siège an Canada et 60 % de celles qui sont cotées en bourse le sont à Toronto[17].

La lutte pour le contrôle des minerais se traduit également sur le terrain. Dans son ouvrage Enjeux africains, Apoli Bertand Kameni montre le lien entre conflits en Afrique et exploitation minière dans la région des grands lacs.

Il révèle ainsi une corrélation étonnante entre les crises qui ont secoué la région depuis 1996 et les booms miniers qui ont suivis certaines évolutions technologiques. En 1996, la consommation de germanium (sous produit du cuivre et du zinc, principaux minerais exploités en RDC) explose à cause de son utilisation dans les technologies de l’internet et de l’optique. Cette époque correspond au début de la guerre civile en RDC. En 2000, la crise s’accentue et l’anarchie s’installe, en parallèle, le tantale et le tungstène (très présent dans la région) deviennent essentiels à l’industrie aéronautique et de l’électronique. En 2004, s’ajoute à ces minerais l’étain dont les cours sont dopés par l’interdiction du plomb par les autorités sanitaires des pays européens[18]. La région est également le théâtre des affrontements entre les puissances qui concourent à son instabilité. Dès 1999, pour se défaire de l’influence des multinationales occidentales sur son pays, Laurent Désiré Kabila, président de la RDC annonce vouloir signer le « contrat du siècle » avec la Chine qui assurera à cette dernière l’exploitation de plusieurs mines de cuivre, de cobalt et de coltan. Il est assassiné quelques semaines plus tard ce qui met fin provisoirement aux velléités chinoises.

Actuellement, la Zambie et la RDC représentent près de 40 % du cobalt extrait dans le monde et la moitié des réserves. Ce minerai étant particulièrement utilisé dans la production d’aimants à destination des industries de l’énergie et de la défense, le contrôle des ressources et le maintien de prix bas sont essentiels aux pays industriels. Ainsi, une certaine instabilité de la région est entretenue par toute une gamme d’acteur. L’absence d’État pour faire respecter les cadres législatifs liés à l’exploitation des minerais garantit le maintien de prix abordables malgré les difficultés à prévoir les prix et les stocks. Les minerais sont extraits dans un cadre souvent illégal par différents groupes rebelles ce qui entretient l’instabilité.

Sur le plan géopolitique, la dynamique de découverte de nouveaux gisements en Afrique australe et le déplacement des centres miniers dans l’est de l’Afrique, traduisent le basculement de l’économie mondiale vers l’Asie. Les principaux ports ne sont plus Dakar, ni Lagos, mais Dar-el Salam et Mombasa en Tanzanie et au Kenya. Ce basculement se traduit également par une stratégie chinoise particulièrement active en Afrique. Au delà des différents investissements miniers qui ont déjà été évoqués ci-dessus, la stratégie chinoise dévoile une participation active au financement d’infrastructures routières et portuaires[19].

Dans ce contexte international tendu, la France agit selon ses moyens

La France est vulnérable quasiment à 100 % sur le segment des minerais stratégiques. Toutefois, pour minorer ce propos, il faut souligner que, contrairement à un pays comme l’Allemagne dont l’industrie et l’exportation représente une grande part de la richesse nationale, la moindre importance de notre industrie nous expose un peu moins aux aléas. Cela étant dit, il y a de nombreuses industries dans l’électronique, dans la défense et dans l’aéronautique qui ont besoin de ces minerais.

La France n’est pas dépourvue de mines. Elle exploite encore de l’aluminium dans le Languedoc, de l’or et de l’argent en Bretagne et dans le massif central, du cobalt et du nickel en Guyane et Nouvelle-Calédonie. Il existe également quelques réserves en minerais stratégiques dans les Pyrénées, en Bretagne et dans le centre de la France. Historiquement, la France est un pays minier. Tout au long du XXème siècle, nous avons produit du charbon, du cuivre, de la bauxite, du fer… Nous avons également des champions nationaux, dans le domaine des minerais (Areva et Eramet) ainsi que dans le domaine des énergies renouvelables (Alstom, EDF…). Néanmoins, les mines ont fermé à partir des années 1970, la dernière dans les minerais stratégiques, une mine d’indium ayant fermé en 2006. Nous avons vendu nos fleurons (Péchiney) et nos champions sont en difficulté comme le montrent les turbulences financières dans lesquelles sont enfoncés Areva et EDF. Enfin, la France possède le deuxième domaine maritime mondial et souhaite profiter de ses ressources en eau profonde.

La France a donc fait appel aux expertises de ses entreprises publiques, le BRGM et l’IFREMER afin de lancer une étude sur le potentiel minier français. Plusieurs potentiels ont été découverts et des autorisation d’exploitation données, notamment à Variscan pour des mines d’or et d’argent et à Garrot Chaillac pour l’exploitation d’une mine de fluorine répondant aux besoins nationaux. Sur le plan maritime, plusieurs nodules contenant notamment des terres rares ont été confirmés au large de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, mais pour l’instant, l’exploitation de ces gisements n’est pas considérée comme rentable en raison de la complexité technique d’un tel projet[20]. Sur le plan institutionnel, à partir de 2011, une stratégie pour les minerais stratégiques a été lancée. Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES) a été fondé et consiste en cinq groupes de travail qui réunissent les acteurs de la filière afin de déterminer leur besoin (l’identification et la connaissance des besoins de l’industrie française, les ressources disponibles et les initiatives dans le domaine de la prospection; récupération et recyclage, aspects internationaux, recherche et développement, économies de matières et substitution).

Lorsqu’il était ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg a créé la Compagnie nationale des mines de France, dotée d’un budget de 200 à 400 millions d’euros sur cinq ans. Cette volonté de relancer le potentiel minier français s’est traduite également par les déclarations successives visant à « dépoussiérer » le code minier datant de 1956.

Malheureusement, cette volonté affichée ne s’est pas traduite en acte. En effet, le projet de réforme du code minier a été reporté à une date indéterminée tandis que le projet d’Arnaud Montebourg est mort-né après son départ du gouvernement. Malgré une prise de conscience des menaces pesant sur ses approvisionnements, la France est relativement démunie face à ces problèmes. En effet, les investissements capitalistiques à réaliser pour l’exploitation minière sont importants et la France manque de moyens. De plus, l’acceptation sociétale de l’exploitation minière est un nouveau problème avec lequel peu d’entreprises souhaitent prendre des risques.

Une politique européenne complémentaire mais insuffisante

La coopération européenne a été largement encouragée par la stratégie pour les minerais stratégiques de l’UE à partir de 2011.

Cette stratégie inaugure une véritable diplomatie des minerais stratégiques au sein de l’UE et se traduit par la signature d’accords de libre-échange avec la Corée du sud et Singapour qui incluent les minerais. L’accord commercial en cours de négociation avec le Mercosur vise également à faciliter l’approvisionnement de l’Union européenne en minerais, puisqu’il qu’il devrait comporter un chapitre « minerais et matières premières » : les pays membres de cette organisation (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela) sont en effet d’importants producteurs de minerais. Fidèle à sa politique de soft power, l’Union européenne insiste également sur l’instauration de cadres réglementaires éthiques et sur le respect des normes environnementales pour l’extraction de minerais. L’accord sur les « minerais de sang », minerais extraits dans des conditions illégales et non contrôlées et qui servent à financer des conflits (RDC et régions des Grands Lacs notamment), a récemment été approuvé par les pays membres et participe à cette politique. Pour appuyer cette politique normative, l’UE a également adopté plusieurs initiatives afin d’encourager les politiques de recyclage et de récupération des déchets.

Enfin, l’UE fait en sorte de créer des synergies au niveau industriel mais également dans le domaine de la recherche. Elle encourage la mise en commun des connaissances minières entre les États membres ainsi que la réunion des organismes de recherche sur des projets communs. Le réseau ERA-MIN (Network on the Industrial Handling of Raw Materials for European Industries) vise à développer un domaine de recherche et d’innovation sur la question des ressources minérales non- énergétiques à l’échelle de l’Europe. Il est coordonné par le CNRS, le BRGM, l’ADEME et l’ANR en sont partenaires. Dans le domaine industriel, l’initiative ETP-SMR (European Technology Platform on Sustainable Mineral Resources), à laquelle participe des acteurs français tels que Technip, ERAMET, le BRGM et l’INERIS, vise à mettre en commun les besoins des industriels et les connaissances des instituts de recherche au niveau européen.

Même si on peut constater l’augmentation des subventions à la recherche dans le domaine minier, on ne peut que déplorer leur somme peu élevée en comparaison des milliards dépensés par la Chine ou les États-Unis pour le développement de nouvelles technologies. Les initiatives européennes, bien qu’intéressantes ne sont pas comparables aux politiques chinoises et américaines pour ne citer qu’elles : elles traduisent malheureusement un manque de manœuvre des institutions européennes confrontées aux difficultés financières et à la préservations des intérêts nationaux des pays membres.

Conclusion

Les tensions sur les minerais stratégiques sont en étroite corrélation avec les soubresauts économiques mondiaux. Le taux de croissance, les ruptures technologiques et les investissements dans les équipements à haute valeur technologique influent de manière radicale sur l’environnement de ces minerais.

Face à la volonté de nombreux pays industriels de mener une politique de transition énergétique très gourmande en minerais stratégiques, les tensions pesant sur eux seront inévitables, tant en termes de quantités qu’en termes de prix. Face à ces problématiques, plusieurs solutions sont envisageables, mais aucune n’est pleinement efficace dans l’état actuel des choses. La première serait d’encourager les initiatives de transparence des prix et des conditions d’extraction des minerais. Cela rendrait ainsi possible d’anticiper et de réguler les variations de consommation et de prix. C’est cela que visent les initiatives américaine du Dodd-Frank Act et européenne sur les « minerais de sang », pour ne citer qu’elles. Néanmoins, elles créent elles-mêmes leurs propres problèmes et ne peuvent être efficaces que si elles sont suivies par la majorité des pays consommateurs et producteurs de minerais, ce qui n’est pas le cas. Le recyclage peut également être envisagé comme une solution partielle pour alimenter la hausse de la consommation de minerais. Toutefois, en l’état des technologies disponibles, le recyclage n’est rentable et fonctionnel qu’en cas de prix suffisamment hauts. La moindre baisse tant soit peu durable peut mettre en péril la filière. Ainsi, l’augmentation de la production primaire de minerais est inévitable, même si elle se heurte à un écueil de plus en plus dangereux. La société n’accepte que très difficilement l’existence de mines très polluantes. Dans les pays occidentaux, la moindre ouverture de mine provoque une levée de boucliers de la part d’une population inquiète – à tort ou à raison – des conséquences écologiques. Ces inquiétudes sont légitimes et pour cela, des technologies existent afin de réduire l’impact écologique de l’extraction de minerais. Toutefois, elles sont coûteuses et renchérissent leurs prix.

Malgré l’existence de plusieurs solutions, les tensions sur les minerais existeront dans un futur proche et nécessiteront donc anticipations et réflexions. Anticipation des prix, des tendances et des ruptures technologiques, mais également réflexions sur les politiques à mener pour économiser des minerais et les technologies pour s’en passer. Ainsi, le projet de fusion nucléaire ITER doit être considéré comme une solution de rupture pour une nouvelle indépendance énergétique. Cette technologie est loin d’être mature, mais offre des perspectives intéressantes. En termes politiques, une réflexion doit être engagée sur l’économie circulaire. Placer les mines, les centres de production et les installations de recyclage respectueuses de l’environnement au plus près des populations permettraient, non seulement, de réduire la facture énergétique, mais également de proposer de réelles solutions en termes d’emplois. Certes nous nous éloignons du sujet principal, mais cette réflexion sur l’économie circulaire doit être menée de paire avec la réflexion sur l’exploitation des ressources et sur la transition énergétique. Elles sont étroitement corrélées.

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