Le Mozambique. Promesses de prospérité et instabilité

Mis en ligne le 21 Fév 2019

Cet article s’intéresse aux enjeux auxquels le Mozambique est confronté. La récente découverte de gisements d’hydrocarbures permet à ce pays d’envisager un développement économique rapide en devenant un champion énergétique du continent africain. Toutefois l’auteure nuance ce propos et rappelle que depuis 2013 une crise politico-militaire subsiste, marquée notamment par la déstabilisation islamiste au nord du pays.

 


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: «Le Mozambique. Promesses de prospérité et instabilité» par Jessica Some.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés dans le vingtième numéro de la revue Conflits.


 

Les réserves de gaz naturel découvertes au large des côtes septentrionales du pays à proximité de la province de Cabo Delgado constituteraient les 4èmes réserves les plus importantes du monde derrière le Qatar, la Russie et l’Iran. Avec ses 5,6 trillions de m3 de gaz, le pays est désormais perçu comme le futur « Qatar de l’Afrique ».

Un futur eldorado énergétique?

A l’échelle nationale, il s’agit d’un rééquilibrage territorial et économique dans une région longtemps marginalisée. A l’échelle régionale, ces réserves permettront au Mozambique de se positionner comme un fournisseur de toute la zone, comme en atteste le projet de gazoduc « African Renaissance Gas Pipeline »  reliant le bassin du Rovuma à l’Afrique du Sud, financé à 70% par la Chine. Le pays contribuera à l’intégration énergétique régionale, ce projet permettant par exemple de répondre à la demande du Malawi, de la Zambie, du Zimbabwe, du Botswana, du Lesotho et du Swaziland.

La position géographique du pays sur le Pacifique et la localisation de ses réserves constituent également un atout: leur acheminement vers le marché asiatique s’en trouve facilité. Le Mozambique pourrait notamment contribuer à répondre à la demande en hausse des économies émergentes telles que la Chine.

Les firmes ENI (Italie) et Anadarko (États-Unis), qui ont effectué les explorations, disposent de concessions et ont cédé une partie de leurs droits à d’autres grands groupes mondiaux [1], internationalisant ainsi la future production mozambicaine. La ville de Palma a été choisie afin de développer un parc industriel regroupant les infrastructures nécessaires à la valorisation du gaz naturel liquéfié (GNL). Un fonds souverain alimenté par les recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources permettra au Mozambique d’en tirer parti. Ce fonds sera géré par la Banque nationale d’investissement en partenariat avec le Trésor mozambicain et le gouvernement portugais à travers sa Caisse générale des dépôts. La valorisation des réserves énergétiques du pays reste ainsi fortement liée à la présence étrangère, à tous les niveaux, de l’extraction à la redistribution des gains.

Au-delà du gaz, le Mozambique possède d’autres atouts. Le pays pourrait devenir l’un des premiers producteurs de charbon d’ici à 2025. Le pays dispose également d’un important potentiel de production hydroélectrique, de pétrole offshore ainsi que de mines de titane, d’or, de pierres précieuses et de graphite.

Fragilité économique, divisons politiques

Le pays a connu une croissance économique de 7,9 % de son PIB entre 2004 et 2015. Cette forte croissance a notamment été favorisée par les richesses énergétiques du pays. Toutefois, la découverte en avril 2016 d’une dette cachée de plus de 2 milliards de dollars, liée à des emprunts réalisés dans des conditions opaques par des entreprises publiques, a grevé la croissance qui a chuté autour de 3 % entre 2016 et 2017 et a conduit le Fonds monétaire international (FMI) à suspendre son programme d’assistance. Le pays s’est retrouvé en crise budgétaire et s’est déclaré en défaut de paiement en janvier 2017 avec une dette égale à 105 % du PIB. À cette fragilité économique s’ajoutent un manque d’infrastructures, d’expertise et de main-d’œuvre qualifiée ainsi qu’un niveau important de corruption[2]. Ainsi le pays n’apparaît pas à même de valoriser ses ressources. De plus, des tensions risquent de naître de leur exploitation, à l’image des conflits fonciers accrus résultant de l’acquisition et de la privatisation par des sociétés minières de terrains utilisés par les populations locales à des fins de pâturage, notamment dans la province de Tete. Si des investissements étrangers apparaissent nécessaires – estimés à plus de 15 milliards de dollars pour la construction d’infrastructures, soit plus que le PIB du pays –, cela ne manquera pas de causer des tensions dans le pays.

Aux difficultés économiques s’ajoute une instabilité chronique liée à l’antagonisme existant entre le parti au pouvoir, le Frelimo[3], et son opposant historique, la Renamo[4]. Après l’indépendance en 1975 les deux mouvements s’étaient violemment combattus, le Frelimo étant soutenu par l’URSS et par Cuba et la Renamo par la  Rhodésie puis par l’Afrique du Sud. En 1989, le Frelimo renonçait au marxisme et, en 1992, les deux adversaires signèrent des accords de paix, le premier continuant à dominer la vie politique. À partir de 2013, la compétition entre les deux partis conduisit une « proto-guerre »[5], sorte de conflit de basse intensité permettant aux protagonistes de négocier tout en effectuant des démonstrations de puissance circonscrites à des lieux précis et ne se transformant pas en guerre totale.

La reprise des armes par la Renamo en 2013 a été officiellement expliquée par des revendications d’ordre démocratique (décentralisation du pouvoir, intégration des anciens combattants de la Renamo dans les forces régulières, « départidarisation » de l’État). À la suite des élections de 2014, la Renamo a mené une campagne visant à modifier le scrutin majoritaire uninominal afin que la gouvernance locale reflète le résultat des votes et que la Renamo contrôle les six provinces du nord du pays. Ces revendications coïncident avec les découvertes d’hydrocarbures et il pourrait s’agir d’une tentative pour la Renamo d’exercer un contrôle sur les ressources localisées dans ces provinces. Le parti aurait ainsi un pouvoir de nuisance et un moyen de négociation avec le gouvernement central.

Ce conflit atypique a été partiellement résolu par les pourparlers de paix qui ont repris fin 2016 et ont fait émerger un consensus sur la situation des anciens rebelles ainsi que sur un projet de réforme constitutionnelle dans le sens d’une plus grande décentralisation. Cet accord résulte également d’un certain pragmatisme, les dirigeants du pays ayant intérêt à renvoyer une image de stabilité à l’international afin d’attirer les investisseurs et de regagner leur confiance.

Sous la menace du terrorisme islamiste

Alors que le conflit politico-militaire semble résolu, le Mozambique fait face à une nouvelle menace. En octobre 2017 a eu lieu à Mocimboa da Praia (Cabo Del-gado) la première attaque d’un groupe nommé localement « Al Shabab », mais sans lien avec le groupe somalien opé-rant dans la Corne de l’Afrique. Constitué en 2014, son nom officiel est « Ahlu Sunna Wa-Jammâ » [6]et il use de méthodes similaires à celles de Boko Haram (raids ciblés, enlèvements de femmes). Son développement serait lié à l’installation d’un imam étranger ainsi qu’à la formation de Mozambicains désœuvrés et marginalisés au Soudan, en Arabie Saoudite et en République démocratique du Congo. Fort de 500 à 1 000 hommes, il prône un islam radical et s’est progressivement militarisé mais ses objectifs demeurent flous. Il s’agirait pour le groupe de déstabiliser la région, afin de garantir la permanence des trafics lui permettant de se financer. Cette unité a mené depuis le début de l’année 2018 une vingtaine d’attaques et se rapprocherait de groupes militants du sud de la Tanzanie et du groupe somalien Al Shabab.

Ces attaques, qui ont lieu dans le voisinage de Palma, suscitent l’inquiétude d’ENI et d’Anadarko. Le gouvernement a mené de vastes opérations dans le nord du pays et arrêté près de 500 personnes, tout en se gardant de qualifier ces agissements de terroristes en lien avec l’islam radical afin de ne pas froisser la minorité musulmane qui représente un tiers de la population. Une coopération avec les pays voisins (RDC, Tanzanie) a égale-ment été mise en place afin de répondre à cette menace transnationale.

Cette région symbolise les contradictions d’un pays à fort potentiel économique où affluent les investissements étrangers, mais historiquement marginalisé car les populations ne voient pas les retombées du développement. L’État ne tirera profit de ces exploitations qu’à partir de 2023, de nombreux projets ayant été retardés du fait du faible coût du gaz sur les marchés mondiaux. Cela risque de contribuer à une montée des frustrations, faisant craindre un risque de radicalisation plus large. À plus long terme, l’État aura pour défi de garantir une redistribution efficace afin d’éviter la propagation de tels mouvements.

References[+]

Par : Jessica SOME
Source : Conflits


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