La discrète guerre du droit de l’espace

Mis en ligne le 11 Sep 2019

Avec cet article, l’auteur met en lumière la particularité et la complexité de l’espace exo-atmosphérique, au regard notamment de sa proximité avec le monde de la défense. Il souligne également les mutations du secteur et les enjeux de puissance sous-jacents à la question du droit et de son applicabilité pour les différentes partie-prenantes aux activités spatiales.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de cet article sont : Jean-Marie de Poulpiquet « La discrète guerre du droit de l’espace », Conflits, septembre 2019.

Cet article provient de la revue « La guerre du droit » que vous pouvez vous procurer dans son intégralité en cliquant ici.

D’autres publications, peuvent être consultés sur le site Conflits.

Le rapport conflictuel entre des normes de droit est un phénomène qui est loin d’être étranger aux juristes, comme en témoigne l’existence même d’une branche qui lui est dédiée, le droit international privé. Cependant, cette manifestation n’est pas un long fleuve tranquille, et ce qui suscite un intérêt pour l’observateur est l’installation volontaire d’un phénomène de projection de l’applicabilité du droit par certains Etats, ce que l’on nomme l’extra-territorialité, en particulier les Etats-Unis.

De prime abord, le secteur spatial semble échapper à cette logique combative. S’il est de plus en plus intégré au monde des affaires, la composante souveraine qui lui est intrinsèque tend à le protéger. La proximité entre le secteur spatial et le monde de la défense rend par exemple les Etats prudents dans leurs relations aux opérateurs spatiaux. Les textes de droit international sont stables. Adoptés dans les années 1960-1970, ils continuent de fournir de solides points cardinaux en ce qui concerne l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, comme le principe de libre utilisation, celui de la non-appropriation des ressources ou encore celui de l’obligation de supervision des activités menées dans ce milieu on ne peut plus hostile.

Ce constat ne peut néanmoins pas masquer l’émergence de plusieurs phénomènes qui relativisent cette protection. On a d’ailleurs déjà pu constater ce « combat pour le droit » dans la négociation et l’adoption de l’action relatif à la Station spatiale internationale (SSI) de 1998, en particulier en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle. Contrairement au SpaceLab, ancêtre de la SSI, le droit applicable n’est ici pas le droit américain, mais le droit de l’Etat ayant immatriculé le module de la station dans lequel les activités scientifiques sont menées (Japon, France, Russie, Etats-Unis). L’application du droit de la propriété intellectuelle américain dans le cadre du SpaceLab avait en effet été une expérience douloureuses pour l’Agence spatiale européenne. Cependant la question de la Station est loin d’être la seule à témoigner du rapport de conflictualité, discret en la matière.

La question des textes internationaux

Le blocage de l’évolution éventuelle des textes internationaux régissant les activités spatiales est l’un des deux principaux points que l’on peut évoquer quand à cette discrète guerre du droit. Ces normes permettent de régir l’utilisation actuelle de l’espace, mais ne répondent pas aux défis émergents qui découlent de l’évolution des techniques spatiales. On pense en particulier aux projets d’utilisation des ressources minières spatiales (celles des astéroïdes), mais l’on peut aussi mentionner le lancement de super-constellations de satellites, ou encore le problème des débris spatiaux. Ce dernier est un bon exemple d’évolution du droit de l’espace, car il a fait l’objet non pas d’un texte contraignant, mais de lignes directrices issues d’un comité technique. Si celles-ci ont été bien reçues par les puissances spatiales, qui les ont au demeurant négociée via leurs représentants, il n’es reste pas moins vrai qu’une réelle réticence à l’engagement formel en la matière se reconnait. Les observateurs les mieux informés du droit international public admettront néanmoins ici les éléments de l’émergence potentielle d’une coutume internationale. Deux autres exemples corroborent cette analyse, tous les deux consistant dans le blocage de l’adoption d’un texte visant à régir les activités spatiales : on pense ici à l’échec de la proposition européenne d’un « Code de conduire pour les activités spatiales » et au non-aboutissement de l’initiative russo-chinoise d’un projet de traité « PPWT » (Prevention of Placement of Weapons in Outer Space, the Threat or Use of Force against Outer Space Objects) en 2008. Le sujet, encore très actuel, du placement d’armes dans l’espace explique notamment, mais partiellement, pourquoi une telle réticence à une renégociation des textes peut être constatée. La souplesse des normes en vigueur est, d’une part, particulièrement avantageuse à qui dispose des technologies d’accès à l’espace ; d’autre part, une renégociation implique un réel partage d’informations sur un sujet de nature délicate.

Conserver ses atouts

Le second aspect de cette guerre du droit de l’espace rejoint des problématiques plus classiques : celles de la concurrence (parfois déloyale entre systèmes juridiques. Il s’agit ici de la délivrance des licences permettant de mener des activités dans l’espace, obligatoires aux termes de l’article 6 du Traité de 1967. La complétude des systèmes juridiques, ou encore les exigences financières et techniques plus ou moins prononcées qui peuvent être réclamées par les Etats délivrant les licence peuvent conduire un opérateur spatial qui en a la capacité à opter pour son établissement dans tel ou tel Etat. L’industrie spatiale étant encore masquée par une proximité avec l’appareil institutionnel étatique, ce risque est pour l’instant limitée. Cependant, l’évolution que l’on  peut observer est celle d’une montée de l’initiative privée dans le domaine spatial. On peut la constater à travers la montée d’opérateurs très visibles tel que SpaceX ou Vigin Galactic, mais aussi à travers des mutations plus discrètes, telles que la cession en 2015 par le CNES de ses parts dans la sociétés européenne de lancement Arianespace à la société Airbus Safran Launchers, devenue Ariane-Group. De maîtres d’oeuvre, les opérateurs tendent de plus en plus à devenir maître de l’ouvrage et définir leurs propres projets et objectifs en matière spatiale, au-delà des projets nationaux et scientifiques. Les deux risques qui se posent en la matières sont les suivants : la possible concurrence de pouvoirs entre Etats devant régir un même phénomène au même moment et l’apparition, comme en matière maritime, de pavillons de complaisance. le premier pose un problème de sécurité, notamment si les deux Etats ne sont pas d’accord sur la conduire à tenir. Le second, qui consiste pour un Etat à proposer la délivrance des licences et une immatriculation de l’objet sans qu’un réel suivi technique ne puisse être réalisé, pose le problème plus grave d’un défaut de suivi technique. Par exemple, l’attractivité de l’île de Man, paradis discal, pour les opérateurs spatiaux, peut laisser quelque peu pensif.

Le fond du problème est bien sur lié à la complexité du secteur spatial lui-même : haute technicité, intérêts économiques forts, potentiel de développement, vitesse d’innovation, intérêts de défense, accès souverain à l’espace, etc. Le droit est en quelque sorte tiraillé entre ces puissants vecteurs. ne pas perdre son attractivité juridique tout en conservant une véritable sécurité des activités spatiales qui doivent le mettre en oeuvre.


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