La Mondialisation des migrations internationales

Mis en ligne le 16 FĂ©v 2017

Dans un monde oĂč les migrations se sont globalisĂ©es et rĂ©gionalisĂ©es en mĂȘme temps, les systĂšmes institutionnels supposĂ©s accompagner les flux migratoires sont en dĂ©calage avec ceux-ci. Celles-ci suscitent de nombreux effets pervers comme la multiplication des sans-papiers, la persistance des apatrides, l’existence de systĂšmes migratoires en retard sur les espaces de mobilitĂ© dĂ©finis par les migrants. Les ajustements donnent lieu Ă  des rĂ©gimes migratoires, rĂ©sultat du bricolage des normes avec les rĂ©alitĂ©s. Cet article aborde la question de la dĂ©finition d’un droit de migrer, similaire aux droits de l’homme, pour le XXIĂšme siĂšcle.

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Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Catherine Wihtol de Wenden, « La Mondialisation des migrations internationales ».

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La Mondialisation des migrations internationales

 

La Mondialisation des migrations internationales : espaces, systÚmes, régimes migratoires dans un contexte global et régional

En ce dĂ©but du vingt et uniĂšme siĂšcle, les migrations internationales ont pris un essor sans prĂ©cĂ©dent. Mais, Ă  la diffĂ©rence du passĂ©, ce ne sont plus les EuropĂ©ens qui ont Ă©migrĂ© de par le monde, l’Europe Ă©tant au contraire devenue l’une des premiĂšres destinations migratoires, en proie Ă  un dĂ©clin dĂ©mographique, mais la planĂšte entiĂšre qui est en mouvement, notamment les sud. De nouvelles destinations se sont fait jour, comme les pays du Golfe, le continent africain, certains pays asiatiques, tandis que des pays de dĂ©part sont devenus des pays d’accueil et de transit, comme l’Europe du sud, puis le Mexique, la Turquie et les pays du Maghreb. Ces migrations se sont mondialisĂ©es depuis trente ans, et ont triplĂ© depuis le milieu des annĂ©es 1970 : 77 millions en 1975, 120 millions en 1999, 150 millions au dĂ©but des annĂ©es 2000, 244 millions aujourd’hui. Ce processus va se poursuivre car les facteurs de la mobilitĂ© ne sont pas prĂšs d’avoir disparu : Ă©carts entre les niveaux de dĂ©veloppement humain (qui combinent l’espĂ©rance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie) le long des grandes lignes de fracture du monde, crises politiques et environnementales, productrices de rĂ©fugiĂ©s et de dĂ©placĂ©s, baisse du coĂ»t des transports, gĂ©nĂ©ralisation de la dĂ©livrance des passeports y compris dans les pays d’oĂč il Ă©tait hier difficile de sortir, absence d’espoir dans les pays pauvres et mal gouvernĂ©s, rĂŽle des media, prise de conscience que l’on peut changer le cours de sa vie par la migration internationale.

Mondialisation et régionalisation des flux

Cette lente mutation s’est effectuĂ©e en vingt ans, tandis que les migrations se sont globalisĂ©es, les mĂȘmes causes (urbanisation et mĂ©tropolisation du monde, pression dĂ©mographique, chĂŽmage, information, transnationalisation des rĂ©seaux migratoires) produisant partout les mĂȘmes effets (entrĂ©e en mobilitĂ© de populations hier sĂ©dentaires, bien que les plus pauvres ne soient pas encore partis). Certains lieux sont particuliĂšrement investis par les nouveaux flux, comme les Ăźles de la mĂ©diterranĂ©e, les Ăźles caraĂŻbes, certains frontiĂšres aussi (en Thrace, entre la GrĂšce et la Turquie, entre le Mexique et les Etats-Unis) car elles distinguent le monde de la libre circulation de celui des frontiĂšres fermĂ©es au plus grand nombre. De nouveaux pays, comme les pays Ă©mergents, les « BRICS » (BrĂ©sil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) attirent. Dans le mĂȘme temps, d’immenses migrations internes ont cours : il y autant de migrants chinois Ă  l’intĂ©rieur de la Chine que de migrants internationaux Ă  l’échelle mondiale, autour de 240 millions.

Presque toutes les rĂ©gions du monde sont concernĂ©es par les migrations, internes et internationales. Si les catĂ©gories de migrants et de pays sont devenues plus floues en se mondialisant, la mondialisation des migrations s’accompagne aussi et paradoxalement d’une rĂ©gionalisation des flux migratoires. A l’échelle mondiale, les migrations s’organisent gĂ©ographiquement en systĂšmes migratoires complexes autour d’une mĂȘme rĂ©gion oĂč des complĂ©mentaritĂ©s se construisent entre zones de dĂ©part et d’accueil. Celles-ci correspondent Ă  des proximitĂ©s gĂ©ographiques, Ă  des liens historiques, linguistiques et culturels, Ă  des rĂ©seaux transnationaux construits par les migrants, Ă  la rencontre de facteurs d’appel (« pull ») et de dĂ©part (« push ») de main d’Ɠuvre qui forment un espace formel ou informel de circulation, accompagnĂ© ou non de facilitĂ©s institutionnelles de passage. MalgrĂ© l’existence de diverses formes de regroupements informels (« couples migratoires » oĂč l’essentiel des migrants vient d’un mĂȘme pays pour aller dans un seul autre pays, comme entre l’AlgĂ©rie et la France, migrations diasporiques oĂč un mĂȘme groupe construit des liens avec plusieurs pays d’accueil, comme les Italiens, les Marocains ou les Turcs, ou encore saupoudrage de migrations mondialisĂ©es dans de nombreux pays comme les Indiens -30 millions- et les Chinois -50 millions- dans le monde), la rĂ©gionalisation l’emporte dans la logique des flux. Ainsi dans une rĂ©gion du monde donnĂ©e, il y a plus de migrants venant d’une mĂȘme rĂ©gion que d’autres rĂ©gions du monde[1].

Il en va ainsi du continent amĂ©ricain : l’essentiel des flux migratoires vers les Etats-Unis (40 millions de personnes nĂ©es Ă  l’étranger) provient d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes et, dans les pays d’AmĂ©rique du sud, les pays d’accueil (Argentine, BrĂ©sil, Chili, Venezuela) reçoivent surtout des migrants originaires des pays voisins, andins et centre amĂ©ricains notamment (Colombie, Bolivie, PĂ©rou, Equateur, Salvador, Honduras). Dans le « Brasiguay », les BrĂ©siliens viennent mettre en valeur les terres du Paraguay dont les paysans vont travailler au BrĂ©sil. Ce n’était pas le cas dans le passĂ©, lointain et proche, il y a quelques dĂ©cennies, oĂč les EuropĂ©ens ont constituĂ© l’essentiel du contingent pour les Etats-Unis, le Canada, l’Argentine et le BrĂ©sil. MĂȘme scĂ©nario pour l’Europe qui, avec quelques 30 millions d’étrangers, fonctionne en synergie migratoire avec la rive sud de la mĂ©diterranĂ©e et l’Afrique sub-saharienne jusqu’à l’équateur, l’Afrique du sud absorbant l’essentiel des flux de l’Afrique australe. Hier les EuropĂ©ens Ă©taient prĂ©sents dans ces rĂ©gions Ă  des fins d’exploration, de colonisation, de missions et de commerce (les 3 « M » en Afrique, militaires, missionnaires et marchands). Le monde russe constitue un autre systĂšme migratoire. Des mouvements centrifuges et centripĂštes devenus intenses depuis la chute du mur de Berlin en 1989 reconfigurent l’ancienne URSS : la Russie vieillissante attire par ses ressources naturelles et ses besoins de main d’Ɠuvre les populations des rĂ©publiques musulmanes devenues indĂ©pendantes qui ont gardĂ© des liens culturels forts avec elle (OuzbĂ©kistan, Kazakhstan, Tadjikistan, AzerbaĂŻdjan) ainsi que ses voisins chinois le long de sa frontiĂšre orientale. Le soviĂ©tisme, la langue russe et la suppression des visas entre la CEI et la FĂ©dĂ©ration de Russie constituent un rĂ©seau migratoire privilĂ©giĂ©[2]. L’Asie du sud –est, qui dĂ©tient les plus grandes rĂ©serves migratoires du monde avec l’Inde et la Chine, forme un autre systĂšme migratoire : des pays riches et/ou vieillissants comme le Japon, la CorĂ©e du sud, mais aussi TaĂŻ Wan, Singapour attirent une migration chinoise. Les Philippines, oĂč un habitant sur dix vit Ă  l’étranger, constituent une abondante main d’Ɠuvre dans la rĂ©gion mais aussi au-delĂ , dans le Golfe, en Europe et aux Etats-Unis. Malaisie et ThaĂŻlande sont, au grĂ© de la conjoncture, tantĂŽt des pays d’accueil, tantĂŽt des pays de dĂ©part dans la rĂ©gion. L’Australie et la Nouvelle ZĂ©lande, hier largement peuplĂ©es d’EuropĂ©ens sont alimentĂ©es par une migration venant d’Asie du sud-est. La migration indienne et pakistanaise irrigue Ă©galement la rĂ©gion, tout en Ă©tant aussi mondialisĂ©e que la migration chinoise. Les pays du Golfe, riches et peu peuplĂ©s, attirent de leur cĂŽtĂ© une migration sud-sud provenant de la rive sud de la mĂ©diterranĂ©e (Egypte, Maghreb, corne de l’Afrique), du Pakistan et des Philippines.

Des systĂšmes institutionnels sont parfois venus accompagner ces rĂ©alitĂ©s rĂ©gionales, parfois en casent la logique migratoire : ainsi, l’Union europĂ©enne est un espace de libertĂ© et de sĂ©curitĂ© pour les EuropĂ©ens de l’Union, mais elle a construit sa frontiĂšre extĂ©rieure en mer mĂ©diterranĂ©e, d’oĂč provient l’essentiel des migrants vers l’Europe (Maghreb, Turquie, Proche orient). Aussi, les « grilleurs de frontiĂšres » (« harragas », qui tentent le traversĂ©e clandestine) viennent-ils se fracasser sur les frontiĂšres nord de la mĂ©diterranĂ©e sans qu’un systĂšme institutionnel rĂ©gional  accompagne ce mouvement, avec morts Ă  la clĂ©[3]. L’Union nordique est un autre espace de circulation et de travail entre les pays scandinaves, dont certains non membres de l’UE (NorvĂšge, Islande). La CEDEAO (CommunautĂ© des Etats d’Afrique de l’ouest composĂ©e de 15 Etats sub-sahariens, est aussi un espace de libre circulation pour les migrations, mais il ne fonctionne pas car les conflits internes ont conduit Ă  la fermeture de frontiĂšres internes Ă  cet espace. En AmĂ©rique latine, l’UNASUR, Ă©manation du MERCOSUR, permet la libre circulation entre les pays du cĂŽne sud latino-amĂ©ricain, tandis que l’ALENA, entre le Canada, le Mexique et les Etats-Unis, ne permet pas la libre circulation des travailleurs entre Mexique et Etats-Unis. Seules les marchandises circulent. En Afrique du sud, un systĂšme institutionnel, le SADC prĂ©voit aussi la libre circulation entre les pays voisins de l’Afrique du sud, pour la fourniture de main d’Ɠuvre, mais les reconductions vers les pays de dĂ©part sont lĂ©gion Ă  partir de l’Afrique du sud. L’ASEAN, en Asie du Sud-est, inclut 10 pays entre lesquels la libre circulation a Ă©tĂ© Ă©tablie. Entre l’Australie et la Nouvelles ZĂ©lande, le TTTA (Trans Tasman Travel Agreement) permet la libre circulation et la libertĂ© du travail. 25 systĂšmes de libre circulation existent dans le monde, mais seuls l’Union europĂ©enne pour les EuropĂ©ens de l’Union et le marchĂ© nordique fonctionnent effectivement.

De nouvelles situations migratoires

Cette rĂ©gionalisation des flux migratoires se combine avec de nouvelles migrations transversales intercontinentales. Les plus rĂ©centes sont les migrations chinoises en Afrique : le Maghreb, l’Afrique sub-saharienne, riches en matiĂšres premiĂšres (pĂ©trole, minĂ©raux, pĂȘche, bois) et demandeurs d’infrastructures (tĂ©lĂ©phone, internet, bĂątiment et travaux publics) reçoivent une migration chinoise d’affaires et de main d’Ɠuvre temporaire qui se fournit en ressources de la mer et du sous-sol. Les migrations nord-sud forment de leur cĂŽtĂ© de nouvelles situations migratoires : le « Britishland » en France en est un exemple, avec les Britanniques venus s’installer dans sa partie ouest (Normandie, Bretagne, Aquitaine). Ces migrations de retraitĂ©s plus ou moins aisĂ©s sont aussi prĂ©sentes en Espagne (Allemands, Anglais), au sud du Portugal (Anglais), en GrĂšce, au Maroc, en Tunisie et au SĂ©nĂ©gal (Français). On trouve le mĂȘme phĂ©nomĂšne aux CaraĂŻbes pour les AmĂ©ricains et les Canadiens. La Bulgarie, depuis son entrĂ©e dans l’Union europĂ©enne en 2004, cherche aussi Ă  jouer cette carte. Ces migrations sont le prolongement du tourisme international, oĂč les avantages comparatifs du coĂ»t de la vie, de la qualitĂ© des services et du climat plaident en faveur des pays ensoleillĂ©s. D’autres migrations intercontinentales, de mineurs non accompagnĂ©s ou de jeunes Ă  la recherche d’emploi ou d’asile viennent complĂ©ter ce paysage de plus en plus fragmenté : Afghans dĂ©sireux de passer en Angleterre, prostituĂ©es d’Europe de l’est et des Balkans, avec une importante prise de risques. Des EuropĂ©ens diplĂŽmĂ©s quittent aussi l’Europe, comme les Espagnols, diplĂŽmĂ©s vers l’AmĂ©rique du sud et l’Europe du Nord, les Portugais vers le BrĂ©sil et l’Angola, les Italiens vers l’Europe du nord-ouest. L’Australie attire Ă©galement des Irlandais et des Grecs qui recomposent ainsi leurs diasporas, comme aux Etats-Unis.

Une mention particuliĂšre doit ĂȘtre faite Ă  deux grandes catĂ©gories de migrants appelĂ©es Ă  s’étendre ou Ă  se diversifier : les rĂ©fugiĂ©s et les sans-papiers. Les rĂ©fugiĂ©s sont dĂ©finis par la Convention de GenĂšve de 1951, Ă©crite dans un contexte de guerre froide et tendant particuliĂšrement Ă  protĂ©ger les dissidents soviĂ©tiques et de l’ensemble du bloc communiste. D’abord limitĂ©e Ă  l’Europe en 1951, cette catĂ©gorie s’est progressivement Ă©tendue au reste du monde depuis 1967 et son volume a pris une grande ampleur au cours des annĂ©es 1980-2000 du fait de grandes crises qui ont agitĂ© le monde : guerres civiles latino-amĂ©ricaines, conflits du Proche Orient, de l’ex Yougoslavie, d’AlgĂ©rie, de l’Afrique des grands lacs, en CĂŽte d’ivoire, dans les rĂ©gions kurdes, en Iran, en Irak, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Darfour, au Myanmar, en ErythrĂ©e et en Somalie, et aujourd’hui en Syrie et au Mali
La plupart de ces conflits se sont soldĂ©s par des personnes dĂ©placĂ©es (65 millions) dans les rĂ©gions voisines, protĂ©gĂ©es par des ONG (organisations non gouvernementales) : ces sont les dĂ©placĂ©s internes (« internally displaced persons »). D’autres ont produit des demandeurs d’asile, Ă  la recherche du statut de rĂ©fugiĂ© (au nombre de 16 millions de statutaires aujourd’hui). Les pays d’accueil qui hier leur accordaient assez gĂ©nĂ©reusement le statut se sont montrĂ©s dans le mĂȘme temps beaucoup plus rĂ©ticents du fait de la restriction des politiques migratoires en gĂ©nĂ©ral et de profils qui avaient beaucoup changĂ© par rapport Ă  la Convention de GenĂšve : des demandeurs collectifs et non plus individuels, menacĂ©s non par leurs Etats mais par la sociĂ©tĂ© civile (dans le cas du terrorisme islamiste, par exemple), fuyant leurs pays pour des raisons plus sociales que politiques (sexe –femmes-, orientation sexuelle, classe sociale, ethnie, religion). Ainsi la reconnaissance du droit d’asile a parfois suivi une double tendance humanitaire et sĂ©curitaire, ce qui a produit des taux de reconnaissance de plus en plus restreints (20 Ă  30% obtiennent aujourd’hui le statut de rĂ©fugiĂ© parmi les demandeurs d’asile en France, par exemple, contre 80% Ă  la fin des annĂ©es 1970).

Les dĂ©placĂ©s environnementaux (42 millions dont 17 millions de migrants internationaux) n’ont commencĂ© que rĂ©cemment Ă  devenir une question politique liĂ©e au rĂ©chauffement climatique et sa prise en compte par le droit d’asile est pour l’instant quasi inexistante. Les causes des dĂ©placĂ©s environnementaux sont multiples : outre la dĂ©sertification liĂ©e au climat, les catastrophes naturelles (cyclones, tornades, tremblements de terre, Ă©ruptions volcaniques), la dĂ©forestation, la fonte des glaciers, l’immersion de zones inondables (Ăźles Tuvalu et Maldives, Ăźles Helligen en Allemagne, Bangladesh), les invasions d’insectes, les coulĂ©es de boue peuvent provoquer des mouvements de population. La plupart des foyers de crises environnementales se trouvent au sud, dans les pays pauvres oĂč les Etats sont rarement en mesure d’y faire face. Les experts du climat (le GIEC, groupe d’information et d’étude du climat) prĂ©voient qu’à l’horizon 2050, ils pourraient atteindre 150 millions de dĂ©placĂ©s, voire 200 millions Ă  la fin du vingt et uniĂšme siĂšcle.

D’autres dĂ©placĂ©s sont formĂ©s par les apatrides, qui ont perdu leur nationalitĂ© ou n’en ont jamais eue par suite de succession d’Etats, de recompositions des frontiĂšres ou de reconstruction d’Etats excluant certaines minoritĂ©s. On les trouve notamment au Bangladesh et au Myanmar. Leur statut est dĂ©fini par la Convention de New York de 1954, mais les Etats cherchent, par le biais de l’accĂšs Ă  la nationalitĂ©, Ă  en rĂ©duire le nombre.

Les sans-papiers forment une catĂ©gorie mondiale, quoique dispersĂ©e. Ce sont ceux qui, soit sont entrĂ©s illĂ©galement dans un pays sans ĂȘtre munis des documents nĂ©cessaires (passeports et visas), soit ceux qui, entrĂ©s lĂ©galement, ont prolongĂ© leur sĂ©jour au-delĂ  des dĂ©lais fixĂ©s ou ont accĂ©dĂ© au marchĂ© du travail sans y ĂȘtre autorisĂ©s (Ă©tudiants ou membres de familles notamment), soit de dĂ©boutĂ©s du droit d’asile. Leur nombre, bien que par dĂ©finition incertain, est Ă©valuĂ© Ă  11 ou 12 millions aux Etats-Unis, 5 millions en Europe. La Russie, les pays du sud (Maghreb, Turquie, Mexique) en comptent aussi car ces pays de dĂ©part sont rapidement devenus des pays d’accueil sans avoir de politique d’immigration. Tel Ă©tait le cas, voici trente ans, de l’Europe du sud, qui a procĂ©dĂ© Ă  des rĂ©gularisations massives de sans-papiers (Italie, Espagne, Portugal, GrĂšce) durant les annĂ©es 1985-2000. Parfois, ils forment le contingent des « ni
ni », ni rĂ©gularisables au regard des critĂšres de rĂ©gularisation (travail stable, liens familiaux), ni expulsables car venant de pays en guerre. Ils travaillent au noir dans des secteurs souvent dĂ©laissĂ©s par les autochtones (les 3 « D », difficult, dirty, dangerous) : restauration, bĂątiment, travaux publics, confection, nettoyage, services domestiques, gardes de personnes ĂągĂ©es. PrivĂ©s de droits, ils en ont nĂ©anmoins certains comme l’accĂšs Ă  l’éducation des enfants, les soins mĂ©dicaux d’urgence. Leur mobilisation dans les pays d’accueil a souvent conduit Ă  une prise de conscience des dĂ©calages des politiques migratoires entre l’affirmation de principes de fermetĂ© et la nĂ©cessitĂ© de souplesse, car ils sont la soupape d’ajustement de celles-ci aux rĂ©alitĂ©s du marchĂ© du travail. Ils contribuent aussi Ă  faire Ă©merger le droit Ă  la mobilitĂ© comme droit de l’homme au vingt et uniĂšme siĂšcle et une rĂ©flexion d’ensemble sur la gouvernance mondiale des migrations: une gestion multilatĂ©rale associant pays de dĂ©part, d’accueil, associations de migrants, OIG et ONG, syndicats, Eglises, patronat afin que la migration soit bĂ©nĂ©fique pour les pays d’accueil, de dĂ©part et pour les migrants eux-mĂȘmes et devienne un bien public mondial. Car si le monde s’arrĂȘtait de bouger, les Ă©carts entre riches et pauvres, jeunes et seniors seraient encore plus accentuĂ©s dans le monde. Un tel processus est soutenu par les Nations Unies, sous la forme de forums mondiaux annuels sur la migration et le dĂ©veloppement depuis 2006[4]. Le Forum mondial migration et dĂ©veloppement, a tenu six rĂ©unions annuelles depuis 2007 et un bilan global aura lieu Ă  l’automne 2013, Ă  New York.

La migration d’élites a suscitĂ© depuis le dĂ©but du vingt et uniĂšme siĂšcle une attention particuliĂšre de la part des Etats d’accueil et des Etats d’origine. Ces derniers commencent Ă  s’intĂ©resser Ă  leurs Ă©migrĂ©s, notamment les plus qualifiĂ©s. Les pays d’accueil, conscients des risques de concurrence pour le recrutement des cerveaux du monde entier dans les secteurs de pointe, ouvrent leurs frontiĂšres Ă  ces migrations de haut niveau : permis Ă  points au Canada, en Australie, en Allemagne depuis 2005, en France avec l’immigration « choisie » depuis 2006, accords bilatĂ©raux avec les pays voisins ou du sud. Les pays qui attirent le plus les Ă©lites et les Ă©tudiants sont les Etats-Unis, le Canada, l’Europe de l’Ouest. Ceux qui voient partir leurs cerveaux sont l’Europe de l’est et la Russie au lendemain de la chute du communisme en 1991 mais surtout les pays du sud (Afrique sub-saharienne, Maghreb, Proche et Moyen Orient, Inde et Chine). S’agit-il d’un brain drain, d’un exode des cerveaux ou d’un brain gain, d’une diaspora des connaissances bĂ©nĂ©fique au dĂ©veloppement par l’exil ? Tout dĂ©pend des situations : le dĂ©part d’un Indien ou d’un Chinois de haut niveau de pays milliardaires en population n’a pas les mĂȘmes incidences que celui d’un mĂ©decin d’un pays africain peu peuplĂ©. Les analyses montrent qu’aujourd’hui, contrairement Ă  une idĂ©e longtemps rĂ©pandue selon laquelle les migrations Ă©taient une perte pour le pays d’origine, les migrations sont bĂ©nĂ©fiques pour le dĂ©veloppement, tant par les transferts de fonds que par les retombĂ©es potentielles sur le marchĂ© du travail dans certains pays (informaticiens indiens donneurs d’ouvrage en Inde, investisseurs chinois en Chine, par exemple) : plus il y a de migrations, plus il y a de dĂ©veloppement humain. A l’inverse, le dĂ©veloppement induit souvent des migrations, comme cela a Ă©tĂ© le cas lors des exodes ruraux du dix-neuviĂšme siĂšcle en Europe, un phĂ©nomĂšne que l’on peut observer aujourd’hui dans nombre de pays du sud, notamment en Afrique. La monĂ©tarisation de l’économie, les progrĂšs de l’information et de la scolarisation, l’abandon du fatalisme, l’espoir de rĂ©aliser son projet de vie, l’individualisation des parcours migratoires, l’offre de passage conduisent de la migration interne Ă  la migration internationale. Un Ă©cart se creuse parfois entre les populations qui vont mieux et pour lesquelles la migration est une source de mieux ĂȘtre et leurs pays qui n’offrent aucune issue Ă  court terme. La restauration de la confiance entre les migrants et les pays du sud apparaĂźt alors comme une condition nĂ©cessaire au retour de ceux-ci et aux investissements productifs dĂ©passant le cadre familial.

Enfin, les trans-migrants achĂšvent ce panorama des nouvelles situations migratoires. Apparus au cours des annĂ©es 1990-2000 lors de la chute du mur de Berlin, ils ont formĂ© l’essentiel des migrations est-ouest en Europe. Anticipant leur entrĂ©e dans l’Union europĂ©enne, ils ont commencĂ© Ă  effectuer diverses formes de circulations migratoires : une installation dans la mobilitĂ© comme mode de vie. Colporteurs « à la valise » d’est en ouest d’abord, travailleurs saisonniers ou domestiques comme dans l’Europe de l’est vers l’Europe du sud ensuite, faux touristes Ă  la recherche de travail, commerçants occasionnels sur les marchĂ©s, ils ont commencĂ© Ă  constituer une catĂ©gorie nouvelle au tournant du XXIĂšme siĂšcle avant que leur accĂšs progressif au marchĂ© lĂ©gal du travail europĂ©en les rende moins visibles. Leur vie s’effectue « ici » et « lĂ -bas », dans un entre deux alimentĂ© par la force des liens migratoires transnationaux. On les trouve aujourd’hui parmi les sub-sahariens au Maroc.

Ces migrations de circulation existent aussi dans d’autres rĂ©gions Ă  proximitĂ© d’autres lignes de fracture du monde, mais les conditions juridiques sont moins favorables quand les migrants sont soumis Ă  des visas. Ceux qui ont un statut privilĂ©giĂ© (double nationalitĂ©, visas Ă  entrĂ©es multiples, commerçants et hommes d’affaires, intellectuels) constituent des rĂ©seaux migratoires d’allers et retours entre les deux rives de la mĂ©diterranĂ©e, riches d’activitĂ©s entrepreneuriales et commerçantes. Plus les frontiĂšres sont ouvertes, plus les migrants circulent et moins ils s’installent dĂ©finitivement car leur espace de vie s’élargit. A l’inverse, plus les frontiĂšres sont fermĂ©es, plus les sans-papiers tendent Ă  se sĂ©dentariser, faute de pouvoir repartir chez eux et de ne plus pouvoir revenir. La circulation migratoire est l’une des tendances de fond des nouvelles mobilitĂ©s d’aujourd’hui.

Enfin, les flux se dirigeant vers le sud (sud-sud et nord-sud), soit 110 millions, sont en train d’égaler en nombre les flux se dirigeant vers le nord (sud-nord et nord-nord), soit 130 millions. Cette nouvelle donne, qui ne s’était jamais produite auparavant avec des pĂŽles d’attraction comme les pays du Golfe et les BRICS, est riche de nouvelles inconnues, tant quant au rĂ©gime de franchissement des frontiĂšres que quant aux droits des migrants : du nord au nord, on circule librement avec  sensiblement les mĂȘmes droits au dĂ©part et Ă  l’arrivĂ©e, du sud au sud, les frontiĂšres sont assez ouvertes mais les droits reconnus aux migrants sont rares. Du nord au sud, les frontiĂšres sont grandes ouvertes mais l‘accĂšs Ă  la citoyennetĂ© est peu accessible. Du sud au nord, l’entrĂ©e est pĂ©rilleuse pour le plus grand nombre mais les droits des migrants en situation rĂ©guliĂšre se rapprochent de ceux des nationaux. Au sud, la question de l’universalitĂ© des certains droits comme la reconnaissance du droit d’asile, le droit des mineurs non accompagnĂ©s, les droits sociaux pour les travailleurs et leurs familles, le droit de circuler est posĂ©e. Au nord, la signature de la convention des Nations Unies de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles signĂ©e par 46 Etats, tous du sud, renvoie elle aussi, Ă  la question de la gĂ©nĂ©ralisation du droit de migrer comme droit de l’homme du XXIĂšme siĂšcle[5].

Bibliographie

  • Douglass Massey et al., « Theories of International Migration : a review and appraisal », Population and Development Review, 19 (3), 1993, pp. 431-466
  • Anne de Tinguy, La grande migration. La Russie et les Russes depuis l’ouverture du rideau de fer. Paris, Plon, 2004
  • Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine. Paris, PUF, 2009
  • Catherine Wihtol de Wenden, La question migratoire au XXIĂšme siĂšcle. Migrants, rĂ©fugiĂ©s et relations internationales, Paris, Presses de Sciences-Po, 2Ăšme Ă©dition 2013
  • Catherine Wihtol de Wenden, Les nouvelles migrations. Lieux, hommes, politiques. Ellipses, paris, 2013
  • Catherine Wihtol de Wenden, Atlas mondial des migrations, Paris, Autrement, 4Ăšme Ă©dition, 2016
  • Catherine Wihtol de Wenden, Pour accompagner les migrations en mĂ©diterranĂ©e. Paris, l’Harmattan, Coll. La bibliothĂšque de l’IREMMO, 2013

 

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