Pourquoi il faut renforcer les sanctions contre Pyongyang

Mis en ligne le 13 FĂ©v 2018

Cet article propose une analyse critique de l’efficacitĂ© des sanctions internationales contre les programmes balistique et nuclĂ©aire nord-corĂ©ens. L’auteur souligne le double enjeu d’une telle politique de sanctions renforcĂ©es pour la communautĂ© internationale : le cas Nord-corĂ©en et au-delĂ , l’avenir des rĂ©gimes mondiaux de non-prolifĂ©ration.


       Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.


Les références originales de ce texte sont : Benjamin Hautecouverture  » Pourquoi il faut renforcer les sanctions contre Pyongyang?, Fondation pour la Recherche Stratégique, note °20/17, 6 décembre 2017.

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Pourquoi il faut renforcer les sanctions contre Pyongyang?

 

 

Le dernier essai balistique de la RĂ©publique  populaire dĂ©mocratique de CorĂ©e (RPDC, CorĂ©e du Nord) rĂ©alisĂ© mardi 28 novembre 2017 depuis Sain Ni, dans le Pyongan du Sud au centre-ouest du pays, a relancĂ© le dĂ©bat sur l’efficacitĂ© des sanctions multilatĂ©rales contre les programmes balistique et nuclĂ©aire de Pyongyang. C’est lĂ©gitime : la veille encore, la diplomatie russe saluait la retenue du rĂ©gime depuis l’essai du 15 septembre dernier, alors que les États-Unis commençaient Ă  se  satisfaire de la portĂ©e de leurs menaces. A  nouveau perçu comme un camouflet, l’essai du  28 novembre pose la question des sanctions : Ă  quoi peut-il dĂ©sormais servir de les renforcer ? Le faut-il?

Pour mĂ©moire, cette politique a Ă©tĂ© initiĂ©e par la rĂ©solution 1718 du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies (CSNU) le 14 octobre 2006.  L’instrument, alors adoptĂ© Ă  l’unanimitĂ© en rĂ©ponse au premier essai nuclĂ©aire du rĂ©gime,  impose un embargo sur les armes, un gel des avoirs et une interdiction de voyager aux personnes impliquĂ©es dans le programme  nuclĂ©aire. Par la suite, le rĂ©gime multilatĂ©ral de sanctions s’est rĂ©guliĂšrement Ă©toffĂ© en rĂ©action aux activitĂ©s nuclĂ©aire et balistique de Pyongyang : la rĂ©solution 1874 (6 dĂ©cembre 2009) Ă©tend l’embargo sur les armes et demande aux États d’empĂȘcher la fourniture  de services financiers susceptibles de contribuer aux activitĂ©s prolifĂ©rantes de Pyongyang, alors qu’un panel d’experts est mis en place pour assister le ComitĂ© de suivi des  sanctions ; la rĂ©solution 2087 (22 janvier 2013) prĂ©cise le rĂ©gime ; la rĂ©solution 2094 (3 juillet 2013) innove par l’adjonction de sanctions financiĂšres ciblĂ©es, y compris le blocage des transferts en espĂšces, et ouvre une  liste d’articles de luxe dont l’importation est prohibĂ©e. Suivent les rĂ©solutions 2270 (2 mars  2016) en rĂ©ponse Ă  l’essai nuclĂ©aire du 6 janvier 2016, 2321 (30 novembre 2016), 2356 (2 juin 2017), 2371 (5 aoĂ»t 2017), et la derniĂšre en date, la rĂ©solution 2375 adoptĂ©e le 11 septembre 2017. Ce dernier texte poursuit de maniĂšre particuliĂšrement sĂ©vĂšre le renforcement du rĂ©gime : les exportations de textile en provenance du pays sont interdites, tout comme ses importations de gaz, alors que  ses importations de produits pĂ©troliers raffinĂ©s sont limitĂ©es. La rĂ©solution 2375  interdit aussi l’accueil de nouveaux travailleurs nord-corĂ©ens expatriĂ©s, les coentreprises, et renforce les dispositions  relatives aux inspections des navires en haute mer, un levier utilisĂ© de maniĂšre collective depuis le lancement de l’Initiative de sĂ©curitĂ© contre la prolifĂ©ration (acronyme anglais PSI)  par les États-Unis en 2003.

Or, onze annĂ©es de sanctions multilatĂ©rales  contre la RPDC ont vu les programmes nuclĂ©aire et balistique du pays progresser avec une constance et une rĂ©gularitĂ© telles que personne ne peut raisonnablement affirmer aujourd’hui que la politique multilatĂ©rale de sanctions a produit un effet significatif sur la nuclĂ©arisation du rĂ©gime, sinon pour l’accĂ©lĂ©rer.

La question de l’efficacitĂ© opĂ©ratoire des sanctions multilatĂ©rales contre les États dits « prolifĂ©rants » est controversĂ©e. Une autre  question pendante est : les sanctions sontelles contre-productives, en cela que leur renforcement provoquerait une accĂ©lĂ©ration des programmes dans les pays visĂ©s ? A ce titre, le cas sud-africain au cours des annĂ©es 1980 et le cas iranien au cours des annĂ©es 2000 continuent d’ĂȘtre dĂ©battus, le premier illustrant plutĂŽt l’idĂ©e de contre-productivitĂ©, le second illustrant plutĂŽt l’idĂ©e d’efficacitĂ©, avec beaucoup de nuances Ă  apporter Ă  chaque fois. En somme, l’analyse ne peut pas conclure  de maniĂšre satisfaisante et systĂ©matique dans le sens de l’efficacitĂ© ou de l’inefficacitĂ© en termes strictement opĂ©ratoires.

Dans le cas nord-corĂ©en, plusieurs raisons  expliquent l’inefficacitĂ© de l‘instrument Ă  ce jour : la marginalisation du pays dans les flux mondiaux de biens et services, l’habitude d’une relative autarcie Ă©conomique, la retenue du partenaire commercial chinois de 2006 Ă  2016, la rĂ©organisation de la stratĂ©gie de dĂ©veloppement nord-corĂ©enne Ă  partir de  2013 dans le cadre de la relance du« Byungjin », politique historique de dĂ©veloppement parallĂšle de l’économie et des capacitĂ©s de dĂ©fense initiĂ©e en 1962 par Kim Il-sung et adaptĂ©e par son petit-fils aux armes nuclĂ©aires, les processus d’évasion mis en place par le rĂ©gime et tolĂ©rĂ©s par un certain nombre de pays qu’alimente une corruption instituĂ©e.

En tout Ă©tat de cause, les progrĂšs visibles et supposĂ©s des programmes nuclĂ©aire et balistique nord-corĂ©ens ces derniĂšres annĂ©es doivent conduire dĂ©sormais vers des considĂ©rations de nature stratĂ©gique le dĂ©bat  sur le contentieux ouvert avec la CorĂ©e du Nord depuis le milieu des annĂ©es 1990 (c’est en juin 1994 que Pyongyang cessa de coopĂ©rer avec les inspecteurs de l’Agence internationale  de l’énergie atomique – AIEA, initiant la premiĂšre « crise » nuclĂ©aire nord-corĂ©enne).
L’on peut en effet postuler que l’essai nuclĂ©aire le plus puissant rĂ©alisĂ© par le rĂ©gime nord-corĂ©en Ă  ce jour le 3 septembre 2017 (environ 250 kilotonnes Ă©quivalent TNT) indique une capacitĂ© Ă  produire sans doute plusieurs tĂȘtes nuclĂ©aires de plus de 100 kilotonnes au vu de leurs rĂ©serves supposĂ©es de matiĂšre fissile (plutonium retraitĂ© et uranium hautement enrichi) produites et accumulĂ©es depuis plus de quinze ans.
Si l’on couple cette capacitĂ© Ă  la maĂźtrise de la technologie des missiles balistiques de courte et moyenne portĂ©es, et que l’on suppose avec nombre d’analystes amĂ©ricains une capacitĂ© Ă  assembler tĂȘtes et vecteurs, la CorĂ©e du Sud ainsi qu’une grande partie du Japon peuvent ĂȘtre dits vulnĂ©rables Ă  une attaque nuclĂ©aire  nord-corĂ©enne sensiblement plus puissante que celles qui dĂ©truisirent Hiroshima et  Nagasaki en leur temps.

Si l’on considĂšre sĂ©rieusement une telle hypothĂšse, la question de la crise nuclĂ©aire et balistique avec la RPDC n’est plus tant celle des freins que la communautĂ© internationale peut apporter Ă  la conduite des programmes prolifĂ©rants de Pyongyang que celle de  l’adaptation des outils de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense des États qui se considĂšrent en danger Ă  l’arsenal en cours de constitution par une puissance rĂ©gionale hostile. A nouveau : y-a-til encore une place pour des sanctions multilatĂ©rales renforcĂ©es ? La rĂ©ponse est oui.
MalgrĂ© les bonnes raisons qu’il y a de questionner l’efficacitĂ© des sanctions, le renforcement de cette politique multilatĂ©rale est pourtant une nĂ©cessitĂ© qui ne devrait autoriser aucune hĂ©sitation politique.  Pourquoi cela ?

L’outil des sanctions est rĂ©actif et adaptatif par nature : on le destine Ă  rĂ©pondre Ă  un surcroĂźt d’agressivitĂ© par un surcroĂźt de coercition. Ainsi, il n’est ni anormal ni dĂ©cevant que le rĂ©gime multilatĂ©ral de sanctions contre  Pyongyang fut modeste en 2006 avant de prendre de l’ampleur Ă  mesure que  progressaient les programmes d’armes de destruction massive du rĂ©gime. En rĂ©alitĂ©,  c’est Ă  partir des renforcements de 2016 (rĂ©solutions CSNU 2270, 2321, 2356, 2371, et 2375) que l’échafaudage onusien a acquis une vraie pertinence Ă©conomique. Ses premiers effets rĂ©els se feront sentir sans doute Ă  partir de 2018.

Par ailleurs, les sanctions constituent le seul terrain d’entente de la communautĂ© internationale dans cette affaire depuis la fin du cycle des Pourparlers Ă  Six en 2009. Cet  acquis est prĂ©cieux : il peut ĂȘtre affirmé  aujourd’hui que la quasi-totalitĂ© des Etats du  monde s’opposent Ă  ce que la CorĂ©e du Nord ne devienne un État nuclĂ©aire. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, l’outil des sanctions est utile comme instrument de mesure : les dĂ©cisions successives de renforcement sont des marqueurs de l’approche commune. Elles indiquent l’évolution des positions nationales,  leur constance ou leur inconstance. A ce titre, elles permettent aux acteurs principaux de la crise d’évaluer leur place dans un rapport de forces en mouvement.

Ensuite, tous les leviers n’ont pas encore Ă©tĂ© actionnĂ©s et la lutte contre l’évasion peut ĂȘtre amplifiĂ©e, notamment de la part de la Chine et de nombre de pays africains. L’Union europĂ©enne a un rĂŽle Ă©vident Ă  jouer sur ce  front. Or, les programmes nuclĂ©aire et balistique nord-corĂ©ens sont loin d’ĂȘtre assez aboutis pour que le pays puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une puissance nuclĂ©aire au plein sens du terme, c’est-Ă -dire dotĂ© d’une capacitĂ© de seconde frappe.  Une marge de manƓuvre  demeure donc pour ralentir le rythme de progression tout en trouvant une issue qui permette d’inverser ou au moins de geler la dynamique en cours.

Il faut ajouter que dans la perspective aujourd’hui hypothĂ©tique d’une reprise de nĂ©gociations multilatĂ©rales, quels qu’en soient la temporalitĂ©, l’ordre du jour, le format, des sanctions renforcĂ©es constitueront l’un des outils Ă  disposition des nĂ©gociateurs pour leur permettre d’aborder l’exercice munis d’arguments tangibles dans le cadre du rapport de force qui en sera le substrat. Enfin, une fonction essentielle des sanctions contre les programmes d’armes de destruction massive de Pyongyang est le maintien de  l’autoritĂ© des rĂ©gimes mondiaux de non-prolifĂ©ration  Ă  l’avenir.
Dans cette perspective, le renforcement continu des sanctions fournit une indication du coĂ»t diplomatique, politique, Ă©conomique, social que reprĂ©sente  la transgression de la norme de non prolifĂ©ration mondiale. Ce coĂ»t doit ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement perçu comme prohibitif pour ĂȘtre dissuasif. A bien des Ă©gards, le cas nord-corĂ©en est singulier et nullement exemplaire. Il importe qu’il le demeure.

Pour toutes ces raisons, le renforcement des sanctions contre les programmes nuclĂ©aire et balistique de Pyongyang est nĂ©cessaire. Il doit ĂȘtre encouragĂ© comme rĂšgle non Ă©crite de l’action politique multilatĂ©rale. Preuve la plus observĂ©e de la dĂ©termination de la communautĂ© internationale Ă  contraindre la  dictature nord-corĂ©enne Ă  la retenue, cette rĂšgle ne saurait ĂȘtre remise en cause, y compris par un sentiment de dĂ©faitisme que  peuvent lĂ©gitimement expliquer les succĂšs rĂ©cents de la RPDC.


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