L’approche intégrée et régionalisée de l’Union européenne pour le Sahel

Mis en ligne le 07 Mai 2019

Ce texte est le résumé exécutif d’un rapport sur l'action menée par l'Union Européenne pour soutenir les pays du Sahel alors que la région connaît une situation particulièrement préoccupante aux plans de la sécurité, du développement et de la gouvernance. Pour l’auteure, la situation au Sahel offre à l'UE l'occasion de tenir un rôle plus important en tant qu'acteur international et de développer une approche régionalisée et plus globale que les missions menées par la France ou par les Nations Unies. Toutefois les efforts de l'UE se heurtent à une situation complexe, difficile, marquée par une grande variété d’acteurs et une répartition des rôles et des responsabilités souvent floue. L'analyse proposée est le prélude à la proposition d’orientations et d'axes d'efforts susceptibles d'améliorer l'efficacité générale de l'action conduite par l'UE au Sahel.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de l’étude initiale sont : « The European Union integrated and regionalised approach towards the Sahel » par Elisa Lopez Lucia.

Cette étude est téléchargeable dans son intégralité gratuitement sur le site de la Chaire Raoul-Dandurand.

D’autres publications peuvent être visionnés sur le site de la Chaire Raoul-Dandurand.


L’Union européenne (UE) et ses États membres ont mobilisé des ressources humaines et financières importantes pour soutenir les gouvernements sahéliens, dans un contexte caractérisé par de nombreuses préoccupations : la situation sécuritaire au Sahel avec la prolifération des groupes armés, le développement de la criminalité transnationale organisée, l’insécurité ainsi que la pauvreté qui alimentent les migrations vers le continent européen. Le Sahel est souvent présenté comme un «laboratoire d’expérimentation» de l’action extérieure de l’UE. D’une part, l’UE est désormais l’un des principaux donateurs tant pour l’aide au développement que pour la coopération en matière de sécurité, ce qui aboutit à une situation inhabituelle pour une organisation mieux connue pour sa puissance commerciale et son aide officielle au développement. D’autre part, l’importance accordée au Sahel par l’UE et ses États membres doit se comprendre dans un contexte de changement institutionnel et de nouvelles ambitions en matière de politique étrangère, sous l’impulsion de la réforme du traité de Lisbonne et de la récente stratégie globale de l’UE. Ainsi, la situation au Sahel a été perçue comme une occasion de donner à l’UE un rôle plus important en tant qu’acteur de sécurité.

Forte de son expérience en matière d’aide au développement et de ses nouveaux instruments de sécurité, l’UE a eu pour ambition d’adopter une approche intégrée et régionalisée pour faire face aux problèmes de développement, de gouvernance et de sécurité que connaît le Sahel. Par rapport à d’autres acteurs tels que la France, qui emploie principalement des actions coercitives, et la mission des Nations unies (MINUSMA) qui se concentre exclusivement sur le Mali, l’action globale et régionale de l’UE constitue un atout. Toutefois, dans la pratique, la mise en oeuvre de cette approche intégrée s’est heurtée à de nombreuses difficultés, telles que la prolifération d’instruments et d’acteurs, la définition imprécise des rôles et des responsabilités, l’absence d’orientations stratégiques efficaces. Tout ceci a occasionné de nombreux problèmes de coordination, des conflits et de la concurrence entre acteurs européens. Dans certains cas, les décisions concernant l’utilisation d’un instrument et la mise en oeuvre d’un projet semblent moins dictées par leurs valeurs ajoutées et les conditions sur le terrain que par la politique interne de l’UE.

Les enjeux politiques sont importants, car l’UE et ses États membres ont beaucoup investi pour soutenir le renforcement des capacités et les réformes de la gouvernance dans les secteurs de la sécurité au Niger et au Mali, notamment par le biais de la mission de formation militaire de l’UE (EUTM) au Mali, et de deux missions civiles de renforcement des capacités (EUCAP) au Mali et au Niger. Le renforcement des capacités et les réformes structurelles dans le secteur de la sécurité sont essentiels pour permettre aux États non seulement de renforcer ou de rétablir leur autorité sur leur territoire, mais aussi de mettre en place des forces de sécurité et de défense plus responsables sur lesquelles les populations peuvent compter pour leur sécurité. Toutefois, les ambitions de l’UE de soutenir les processus de réforme du secteur de la sécurité ont été affectées par la fragmentation de sa propre action, car les activités de réforme du secteur de la sécurité sont dispersées entre plusieurs instruments sans être dirigées par un cadre clair ou un acteur désigné. Ces activités ne sont pas fondées sur une bonne compréhension de l’économie politique du secteur de la sécurité. En outre, les pressions politiques exercées par les États membres de l’UE pour qu’ils se concentrent sur la lutte contre le terrorisme et la gestion des frontières ont eu une incidence négative sur les efforts de réformes structurelles. Cela a miné la durabilité des activités de renforcement des capacités de l’UE, tandis que la corruption endémique et/ou les exactions perpétuées par les forces de sécurité et de défense ont tendance à alimenter la dynamique de l’insécurité et le manque de confiance au sein des populations.

Cette situation a également affecté la capacité de l’UE à articuler les initiatives en matière de sécurité et de développement. Dans ce contexte de concurrence et de tensions entre les instruments et les acteurs, il a été difficile de réfléchir à la manière d’intégrer différents instruments et projets dans leur contexte pour aborder les questions de sécurité, de gouvernance structurelle et socio-économiques. Il s’agit là d’un des défis les plus difficiles à relever pour les acteurs internationaux, qui craignent de plus en plus que l’appui international ne soit trop axé sur des stratégies coercitives dictées par un agenda de lutte contre le terrorisme. Il est donc important de s’engager sur tous les fronts et d’aider les gouvernements en fournissant un ensemble de services de gouvernance, de justice, de sécurité et de services sociaux pour (re)gagner la confiance de leurs populations respectives. Une prestation par séquence de ces services ne peut réussir, car les groupes djihadistes se nourrissent des conflits locaux et des problèmes de gouvernance pour perturber le fragile tissu social des États sahéliens. Par conséquent, il pourrait être risqué de donner la priorité à la lutte contre le terrorisme dans les zones frontalières en soutenant la Force commune du G5 Sahel, tout en retardant la nécessité de s’attaquer aux problèmes structurels de gouvernance et socio-économiques.

Alors que la Force commune du G5 doit encore démontrer son utilité, les conséquences potentiellement néfastes telles que la marginalisation de l’architecture africaine de paix et de sécurité devraient également être prises en compte. La composante ouest-africaine de cette architecture, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), est une organisation importante et utile qui a mis en place divers mécanismes institutionnels pour instaurer la confiance, assurer la médiation et gérer les conflits, et sur lesquels les États sahéliens pouvaient compter. Plus généralement, la hiérarchisation du G5 Sahel par les acteurs internationaux risque de perturber le processus d’intégration et la légitimité politique de la CEDEAO.

Dans cette situation complexe et difficile, l’UE devrait tenir compte des éléments suivants :

• Dans chaque contexte, il est important d’examiner soigneusement quel est l’acteur le plus approprié pour intervenir et pour atteindre des objectifs spécifiques. Au lieu de laisser prévaloir les intérêts institutionnels et la concurrence, il convient d’analyser la valeur ajoutée de chaque acteur et instrument.

• Les projets de développement et de sécurité devraient être basés sur des analyses de conflits et des études de perception pour comprendre les facteurs d’insécurité, tester les hypothèses, orienter les projets et les adapter aux besoins sur le terrain. Les activités de réforme du secteur de la sécurité devraient s’appuyer sur des analyses de l’économie politique du secteur de la sécurité. • Les réformes en matière de gouvernance et de responsabilité devraient être prioritaires dans les activités de réforme du secteur de la sécurité.

• L’UE doit trouver de meilleurs moyens d’aider les gouvernements sahéliens à assurer la sécurité, la gouvernance, la justice et les services sociaux à leur population. Se concentrer d’abord sur la sécurité sans s’attaquer aux problèmes structurels ne réussira pas, car l’insécurité résulte de l’interaction entre les stratégies des groupes djihadistes – qui se nourrissent des clivages locaux – et la gouvernance et les problèmes socio-économiques. Dans chaque contexte, une plus grande coopération devrait être établie entre les différents projets de sécurité et de développement, dont l’articulation nécessite une réflexion plus approfondie.

• Les efforts visant à soutenir le G5 Sahel devraient être rattachés à la CEDEAO et à l’architecture africaine de paix et de sécurité, qui sont des facteurs de stabilité importants.


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