Japon et Allemagne : le retour des vaincus ?

Mis en ligne le 25 Mar 2019

Avec cet article, l’auteur s’intĂ©resse au tournant vers une souverainetĂ© militaire normalisĂ©e opĂ©rĂ© par les deux vaincus de la Seconde Guerre Mondiale. Pour lui, les deux pays ont amorcĂ© des transformations dans leurs dispositifs budgĂ©taires et lĂ©gislatifs afin de renforcer leurs capacitĂ©s dĂ©fensives, cependant ils font face Ă  un environnement gĂ©ostratĂ©gique diffĂ©rent et Ă  de sĂ©rieuses limites Ă  la normalisation de leur souverainetĂ© militaire.


Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: « Japon et Allemagne : le retour des vaincus ? » de Vincent Satgé.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent ĂȘtre consultĂ©s dans l’ouvrage ConflictualitĂ©s modernes et postures de dĂ©fense. 


Depuis leurs capitulations respectives, les 8/9 mai[1] et le 2 septembre 1945, le Japon et l’Allemagne n’ont guĂšre nourri d’espoirs sur leur souverainetĂ© militaire. CoupĂ©e en deux, la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne (RFA) a Ă©tĂ© autorisĂ©e, en 1955 et aprĂšs de nombreux dĂ©bats, Ă  recrĂ©er une Bundeswehr sous contrĂŽle parlementaire (mais aussi de l’OTAN) tandis que la RĂ©publique dĂ©mocratique d’Allemagne (RDA) s’est vu accorder la mise sur pied, en 1956, d’une Nationale Volksarmee intĂ©grĂ©e aux forces du pacte de Varsovie. La rĂ©unification de l’Allemagne, effective le 3 octobre 1990, conduira Ă  celle de son armĂ©e par intĂ©gration, sous condition, de certains effectifs et matĂ©riels de l’armĂ©e de l’Est dans celle de l’Ouest. Avec l’OTAN, l’armĂ©e allemande dĂ©ploiera des contingents de forces significatifs lors des conflits liĂ©s au dĂ©litement de l’ex-Yougoslavie (Bosnie, 1996). Elle accentuera progressivement ses opĂ©rations extĂ©rieures au sein de l’Alliance mais aussi de l’UE et de l’ONU (opĂ©rations de maintien de la Paix).

Quant au Japon, il est privĂ© d’armĂ©e jusqu’en 1954. Sa Constitution de 1946 ne lui a donnĂ© que la possibilitĂ© d’entretenir une force d’autodĂ©fense, certes mieux Ă©quipĂ©e que beaucoup de pays souverains. Un traitĂ© de coopĂ©ration mutuelle et de sĂ©curitĂ© avec les États-Unis a permis de crĂ©er un lien fort entre les deux pays mais aussi une dĂ©pendance presque totale de l’armĂ©e japonaise au bon vouloir amĂ©ricain et Ă  son industrie de dĂ©fense. Il lui faudra cependant attendre 1992 pour projeter des forces hors de son territoire dans la cadre d’opĂ©rations de maintien de la paix de l’ONU (Cambodge). Par la suite, le Japon participera Ă  d’autres OMP, comme au Golan en 1996, puis enverra pour la premiĂšre fois des troupes en zone de combat en Irak en 2004 mais dans des fonctions non combattantes (action humanitaire, reconstruction).

Depuis quelques annĂ©es, une Ă©volution des stratĂ©gies de dĂ©fense des deux pays prend forme et amĂšne Ă  penser que ce cycle d’aprĂšs-Seconde Guerre mondiale pourrait rapidement s’achever et restaurer pleinement la souverainetĂ© voire la puissance militaire de ces deux leaders Ă©conomiques. Ainsi, au moment de la ConfĂ©rence de sĂ©curitĂ© de Munich[2] en 2014, les discours du PrĂ©sident de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale et des ministres des Affaires Ă©trangĂšres et de la DĂ©fense appelaient Ă  une inflexion budgĂ©taire notable en faveur de la dĂ©fense[3]. Depuis, de nombreuses autres initiatives gouvernementales se sont succĂ©dĂ© en matiĂšre de stratĂ©gie de sĂ©curitĂ©. C’est en particulier la diffusion, Ă  l’étĂ© 2016, du Livre blanc sur la politique de dĂ©fense et l’avenir de la Bundeswehr[4] ou encore la publication, en juillet 2015, d’un rapport stratĂ©gique en vue du renforcement de l’industrie de dĂ©fense allemande. Le mot de la ministre de la DĂ©fense, Ursula van der Leyen, est particuliĂšrement Ă©clairant sur les objectifs allemands : « Nous ne voulons pas nous faire plus grands que nous sommes mais pas non plus petits.[5] »

L’empire du Levant n’est pas en reste et Shinzo Abe, Ă©lu le 26 dĂ©cembre 2012 au poste de Premier ministre, dĂ©clare, le 22 fĂ©vrier 2013, que « Le Japon n’est pas et ne sera jamais une nation de second rang[6] », rĂ©vĂ©lant de facto une nouvelle lecture du cĂ©lĂšbre article 9 de la Constitution de la paix, loi fondamentale du Japon. Et effectivement, les lois sur la paix et la sĂ©curitĂ© votĂ©es en septembre 2015 permettent une nouvelle interprĂ©tation de ladite Constitution : ainsi, le Japon pourra assister militairement un alliĂ© attaquĂ©, hors des frontiĂšres, disposition jusqu’alors impossible. Par ailleurs, les activismes militaires rĂ©gionaux, chinois et nord-corĂ©en, tendent Ă  tempĂ©rer le pacifisme nippon de ces derniĂšres dĂ©cennies et Ă  rĂ©veiller un rĂ©flexe de sĂ©curitĂ©. DĂšs lors peut-on, pour Tokyo comme pour Berlin, parler d’un retour en puissance des vaincus du dernier conflit mondial ?

Allemagne et Japon ont tous deux amorcé une mutation de leur dispositif législatif et budgétaire pour renforcer leurs capacités de défense

L’arrivĂ©e au pouvoir de Shinzo Abe a indĂ©niablement rebattu les cartes gĂ©ostratĂ©giques du Japon. DĂšs dĂ©cembre 2013, il crĂ©e un Conseil de sĂ©curitĂ© nationale sous l’autoritĂ© du Premier ministre et, dans la foulĂ©e, une stratĂ©gie de sĂ©curitĂ© nationale, une premiĂšre depuis l’aprĂšs-guerre. De plus, en vue de dynamiser une industrie d’armement quasi exclusivement tournĂ©e vers le marchĂ© domestique et amĂ©ricain, une libĂ©ralisation des rĂšgles d’exportation des matĂ©riels et technologies de dĂ©fense est agrĂ©Ă©e. Alors que, depuis 1976, sĂ©vissait une interdiction d’exportation des armements, sauf rares exceptions, des ventes d’équipements militaires vers des pays partenaires sont possibles depuis le 1er avril 2014, sur autorisation ministĂ©rielle[7]. Ces dispositifs lĂ©gaux sont parallĂšlement accompagnĂ©s par l’arrĂȘt de la baisse des dĂ©penses militaires, aprĂšs une dĂ©cennie de diminution constante, et, depuis 2012, de hausses rĂ©guliĂšres : 2,8 % pour 2015, 1,5 % en 2016, 1,4 % pour 2017 pour atteindre un budget annuel de 41,8 milliards d’euros[8]. Ces dĂ©penses financent notamment la sĂ©curitĂ© maritime de l’archipel[9] face aux revendications territoriales chinoises : modernisation de 17 hĂ©licoptĂšres de patrouille maritime SH-60K ou assemblage de trois drones de surveillance de haute altitude Global Hawk en sont des exemples. L’acquisition de 42 chasseurs furtifs F-35[10] et de douze appareils de transports de troupes V-22 Osprey viennent complĂ©ter la panoplie. En outre, un quatriĂšme porte-hĂ©licoptĂšres gĂ©ant de classe Izumo (24 000 tonnes et 248 mĂštres de long), jumeau de celui lancĂ© en 2013, est mis en service en 2016. Pour ce qui est de la menace balistique nord-corĂ©enne, la coopĂ©ration est assurĂ©e avec les États-Unis autour du missile intercepteur SM-3 Block IIA. Enfin, Ă  l’instar de la Chine, le Japon tente de dĂ©velopper son influence stratĂ©gique dans la zone par une politique de renforcement des capacitĂ©s militaires de pays coopĂ©rant (capacity building). Dispositifs lĂ©gislatifs et augmentation des dĂ©penses d’équipement militaire marquent le retour du Japon sur la scĂšne militaire internationale.

L’Allemagne s’est basĂ©e, quant Ă  elle, sur un diagnostic sĂ©vĂšre des rĂ©formes de son outil militaire menĂ© jusqu’alors. L’une d’entre elles, lancĂ©e en 2010, visait Ă  rĂ©duire et professionnaliser les effectifs. Avec un objectif de diminution budgĂ©taire de 8,1 milliards d’euros sur la pĂ©riode 2011-2014 et une baisse des effectifs de 220 000 Ă  167 507 soldats[11] en cinq ans, la rĂ©forme a vu ses objectifs quasiment remplis. Les consĂ©quences ne se sont pas fait attendre[12], dĂšs 2014 : seulement 70 % de l’armement total avait Ă©tĂ© conservĂ©, la disponibilitĂ© des avions de chasse avait chutĂ© Ă  30 % et des dysfonctionnements importants Ă©taient apparus pour les hĂ©licoptĂšres[13]. Surtout, le besoin en personnel s’était fait si cruellement sentir qu’une loi, au titre Ă©vocateur de « projet de loi sur l’augmentation de l’attractivitĂ© des services au sein de la Bundeswehr », avait Ă©tĂ© adoptĂ©e en ce sens. Le Livre blanc du 13 juillet 2016 a tentĂ© de prendre le contre-pied de la rĂ©forme passĂ©e. Sur la pĂ©riode 2016 Ă  2021, il vise Ă  augmenter ses dĂ©penses de 34 Ă  40 milliards d’euros et Ă  faire passer, Ă  terme, le ratio dĂ©penses/PIB de 1,2 Ă  2 % (soit 60 milliards d’euros), ce qui en ferait de loin le premier budget dĂ©fense de l’UE et le second de l’OTAN. Le recrutement de soldats d’ici Ă  2023 devrait repartir Ă  la hausse pour se stabiliser Ă  192 000 hommes. Enfin, le programme d’armement pour les quinze prochaines annĂ©es s’élĂšve Ă  130 milliards d’euros[14], un doublement de l’enveloppe budgĂ©taire prĂ©vue jusqu’alors. L’Allemagne, longtemps considĂ©rĂ©e comme un gĂ©ant Ă©conomique mais nain (gĂ©o) politique, pourrait bien amorcer de cette façon son retour dans les affaires internationales militaires.

MalgrĂ© leurs rĂ©cents efforts, le Japon et l’Allemagne rencontrent tous deux de sĂ©rieuses limites Ă  la normalisation de leur souverainetĂ© militaire

Le Japon part de loin dans sa quĂȘte d’un usage plein et entier de son outil militaire. Ainsi, l’article 9 de la Constitution de 1946 consacre le « pacifisme constitutionnel » nippon. De fait, jusqu’en 1954, le Japon est dĂ©pourvu d’armĂ©e. Ce n’est qu’aprĂšs la guerre de CorĂ©e que les forces d’autodĂ©fense Ă©mergent, et leur rĂŽle reste cantonnĂ© Ă  une politique de protection dans un cadre strict de lĂ©gitime dĂ©fense. Depuis 1992, elles peuvent participer Ă  des opĂ©rations de maintien de la paix des Nations unies, pour des fonctions non combattantes, comme ce fut le cas de novembre 2016 Ă  mars 2017 au Soudan du Sud. Quant aux rĂ©centes lois adoptĂ©es en septembre 2015, permettant un droit d’autodĂ©fense collective en cas d’attaque directe contre un alliĂ© du Japon, elles sont trĂšs strictement encadrĂ©es. Ainsi, en plus d’une autorisation parlementaire, les nombreuses conditions comprennent l’emploi, dans le respect du droit public international, de la juste force nĂ©cessaire en dernier recours en cas d’attaque menaçant la survie du Japon.

L’Allemagne n’est pas en reste, elle qui s’honore d’une « armĂ©e parlementaire ». Comme rappelĂ© par commission parlementaire RĂŒhe[15] crĂ©Ă©e en 2014, le Bundestag doit toujours autoriser toute opĂ©ration de la Bundeswehr[16](selon les modalitĂ©s prĂ©vues Ă  cet effet aux articles 45 et 87 de la Constitution de 1946), ce qui permet d’affirmer que « sans rĂ©vision de la Constitution et loi de 2005 sur l’engagement des forces armĂ©es, les missions de la Bundeswehr resteront essentiellement humanitaires[17] ». Ce contrĂŽle Ă©troit du Parlement sur l’action militaire et l’absence d’un gouvernant qui serait un vĂ©ritable chef des armĂ©es (comme en France ou aux États-Unis) limitent drastiquement la capacitĂ© de rĂ©action rapide de l’Allemagne qui ne peut intervenir que dans un deuxiĂšme temps. À cet Ă©gard, les exemples rĂ©cents, en Afghanistan, au Sahel et au Proche et Moyen-Orient, sont marquants. Non seulement les forces allemandes n’ont pu ĂȘtre engagĂ©es dans l’entrĂ©e en premier de ces conflits mais elles restent principalement cantonnĂ©es Ă  des fonctions d’environnement ou de soutien. Ainsi, la Luftwaffe a bien dĂ©ployĂ© des avions Tornado en Turquie pour les opĂ©rations anti-djihadistes (2016-2017) mais seulement dans une fonction de renseignement. De la mĂȘme façon, son soutien Ă  la lutte contre le terrorisme au Sahel se limite Ă  des activitĂ©s logistiques ou de formation. Toutefois, depuis la Guerre froide, les forces allemandes sont susceptibles de rĂ©pondre Ă  l’article 5 de l’Alliance et, le cas Ă©chĂ©ant, se verraient impliquĂ©es beaucoup plus fortement.

Outre ces limites lĂ©gales, force est de constater que le principal obstacle un dĂ©ploiement militaire international plus poussĂ©, du Japon comme de l’Allemagne, rĂ©side dans leur opinion publique respective peu favorable Ă  des engagements armĂ©s extĂ©rieurs. NĂ©anmoins, un clivage apparaĂźt de plus en plus entre les Ă©lites dirigeantes et certaines parties de la sociĂ©tĂ© civile. C’est le cas vis-Ă -vis des positions engagĂ©es d’un Shinzo Abe souhaitant normaliser la dĂ©fense de son pays (et estimant la chose possible Ă  l’horizon 2020-2030 pour rĂ©viser l’article 9 de la Constitution[18]). Face Ă  lui, l’opposition d’une partie de la sociĂ©tĂ© civile s’est illustrĂ©e lors des lois de septembre 2015 autorisant la participation du Japon aux opĂ©rations militaires dans le cadre de l’ONU ou d’organisations rĂ©gionales[19]. Le mĂȘme constat peut ĂȘtre avancĂ© pour l’Allemagne avec les dĂ©clarations de l’ex-PrĂ©sident de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale Joachim Gauck pour qui « la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale devrait, en bon partenaire, s’impliquer plus tĂŽt, avec plus de dĂ©termination, et de maniĂšre plus substantielle[20] ». Mais, selon un sondage organisĂ© dans le cadre de la Review de 2014[21], 34 % des Allemands Ă©taient disposĂ©s Ă  un engagement militaire international accru contre 66 % en faveur d’une politique de la retenue. Plus significatif encore : selon un article du Pew Research Center de 2015[22], 58 % des Allemands ne souhaitent pas d’intervention de leur armĂ©e dans le cas oĂč un pays alliĂ© serait attaquĂ©. Les sociĂ©tĂ©s allemande et japonaise se ressemblent donc dans leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et leur manque de consensus devant la dĂ©marche d’évolution militaire de leurs dirigeants.

Mais l’Allemagne et le Japon se distinguent dans leurs perspectives de dĂ©fense du fait de diffĂ©rences gĂ©ohistoriques

Sans rĂ©duire la question Ă  la vision napolĂ©onienne selon laquelle « Les États font la politique de leur gĂ©ographie[23] », le Japon est, en la matiĂšre, dans une situation diffĂ©rente de l’Allemagne. À portĂ©e de tir d’une CorĂ©e du Nord qui s’ingĂ©nie Ă  dĂ©velopper des missiles balistiques potentiellement dotĂ©s de tĂȘtes nuclĂ©aires et qui manifeste rĂ©guliĂšrement son agressivitĂ©, l’Empire nippon se sent plus menacĂ© qu’une Allemagne en bons termes avec ses voisins immĂ©diats. Surtout, la relation entre Tokyo et PĂ©kin, sur fond de rivalitĂ©s territoriales (comme avec les Ăźles Senkaku/Diaoyu) et de course aux armements (la Chine a dĂ©pensĂ© en 2016 plus de 215 milliards de dollars pour sa dĂ©fense[24]), poussent le Japon Ă  muscler plus fortement sa politique de dĂ©fense que la dĂ©stabilisation russe menĂ©e en Ukraine ne pourrait encourager l’Allemagne Ă  faire de mĂȘme. NĂ©anmoins, le Japon comme l’Allemagne tissent et renforcent leur propre rĂ©seau d’alliance rĂ©gional. Avec l’abandon de la stratĂ©gie du pivot lancĂ© par Barack Obama, le Japon de Shinzo Abe compte nĂ©anmoins sur la traditionnelle garantie amĂ©ricaine sans s’y confiner. Les exercices tripartites avec les États-Unis et l’Australie en 2013, celui avec l’Inde en 2012, ou encore l’ASEAN, avec le sommet Japon-Asean Ă  Tokyo en dĂ©cembre 2013 pour appeler PĂ©kin Ă  arrĂȘter d’exacerber les tensions en mer de Chine[25], l’illustrent. NĂ©anmoins, l’arrivĂ©e du PrĂ©sident Trump Ă  Washington et l’agitation des États-Unis en mer de Chine, qui ont participĂ© Ă  des manƓuvres militaires conjointes avec la CorĂ©e du Sud en octobre 2017, ne sont pas du goĂ»t des Japonais qui vivent aussi de plus en plus mal la prĂ©sence amĂ©ricaine Ă  Okinawa.

En Allemagne, le contexte est d’une autre nature. Membre de l’Organisation du traitĂ© de l’Atlantique nord et de l’Union europĂ©enne, l’Allemagne ne cherche pas Ă  dĂ©velopper une stratĂ©gie de sĂ©curitĂ© qui se distinguerait de celles de ses alliĂ©s. Au contraire, elle montre rĂ©guliĂšrement son implication dans l’Alliance en prenant, par exemple, la tĂȘte en 2015 de la Force opĂ©rationnelle interarmĂ©es Ă  trĂšs haut niveau de prĂ©paration (VJTF) ou en participant, en 2017, Ă  la NATO’s Enhanced Forward Presence dans les pays baltes, dans un contexte oĂč les tensions avec la Russie Ă©taient importantes. Par ailleurs, Berlin ne s’interdit pas d’encourager la naissance d’une Europe de la dĂ©fense[26] et apporte son soutien dans l’action onusienne, europĂ©enne et française au Sahel. Alors que Jean-Claude Juncker appelait en mars 2015 Ă  la crĂ©ation d’une armĂ©e europĂ©enne et que, quatre jours plus tard, Javier Solana prĂ©sentait son rapport More Union in Union Defence, les deux partis s’échangeant le pouvoir depuis 1945 acquiesçaient. De mĂȘme, quand les conservateurs de la CDU proposaient, en aoĂ»t 2015, un tel plan en dix Ă©tapes[27], le parti social-dĂ©mocrate SPD avait dĂ©jĂ  rĂ©digĂ©, en aoĂ»t 2014, un rapport favorable Ă  l’europĂ©isation des forces armĂ©es.

En plus de la gĂ©ographie, l’histoire distingue aussi le Japon et l’Allemagne dans leur rapport Ă  la guerre. Depuis les dĂ©faites de la Seconde Guerre mondiale, les opinions publiques des deux pays restent rĂ©ticentes Ă  toute utilisation de l’outil militaire. NĂ©anmoins, des diffĂ©rences de taille persistent. L’Allemagne rĂ©affirme, sans ambiguĂŻtĂ©, sa repentance vis-Ă -vis des pays envahis, ce qui se retrouve au niveau de l’opinion publique. Ainsi, parmi la majoritĂ© d’Allemands dĂ©favorables Ă  toute intervention intĂ©rieure, 40 % d’entre eux justifiaient leur position du fait de l’histoire allemande[28]. Quant Ă  ses voisins, ils dĂ©noncent plus un manque d’interventionnisme allemand qu’un excĂšs, Ă  l’image de Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires Ă©trangĂšres en 2011, qui dĂ©clarait alors « moins craindre la puissance allemande que son inaction[29] ». La position du Japon est moins claire sur son passĂ© et moins confortable vis-Ă -vis de ses voisins. Sans parler des multiples visites du Premier ministre Shinzo Abe au sanctuaire de Yasukini[30] qui enflamment la pĂ©ninsule corĂ©enne et la Chine, de la question de la rĂ©vision des manuels scolaires sur le massacre de Nankin ou de celle des femmes de rĂ©confort corĂ©ennes qui ne diminuent pas les tensions entre Tokyo et ses rivaux stratĂ©giques. MalgrĂ© la dĂ©claration de Kono de 1993 pour les femmes de rĂ©confort et les excuses gĂ©nĂ©rales quant aux atrocitĂ©s perpĂ©trĂ©es par les Japonais durant leur occupation, aussi bien par l’empereur que par l’actuel Premier ministre, les reniements et ambiguĂŻtĂ©s[31] font penser Ă  « un passĂ© qui ne passe pas[32] ». Ces Ă©cueils nationalistes, absents dans la politique Ă©trangĂšre allemande, pourraient bien conditionner la politique du Japon face Ă  une Chine jouant sur ce prĂ©texte pour renforcer ses capacitĂ©s militaires. En cela, les deux anciens alliĂ©s de l’Axe pourraient connaĂźtre des dĂ©veloppements divergents quant Ă  leur politique de dĂ©fense, jusque-lĂ  similaire Ă  de nombreux Ă©gards.

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