Les radicalisations au temps du Covid-19

Mis en ligne le 15 Juin 2021

Les temps de crise, car ils cristallisent les tensions sociĂ©tales et politiques, sont un moment propice Ă  la radicalisation politique des individus, comme l’illustrent la montĂ©e du conspirationnisme et du « chacun pour soi ». RĂ©digĂ©e courant 2020, au cƓur de la pandĂ©mie de COVID 19, cette analyse dresse un parallĂšle entre les rĂ©actions Ă  la crise sanitaire et la crise sĂ©curitaire, suite aux attentats djihadistes.

Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CNAM.

Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont : “Les radicalisations au temps du Covid-19”, Ă©crit par Elyamine Settoul, membre permanent de l’ESDR3C.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent ĂȘtre consultĂ©s sur The Conversation.

Si la vague d’actions djihadistes survenues au cours des derniĂšres annĂ©es et la crise mondiale provoquĂ©e par le Covid-19 relĂšvent de deux types de menaces fondamentalement diffĂ©rentes, l’une sanitaire, l’autre sĂ©curitaire, force est de constater des similaritĂ©s dans les rĂ©actions sociĂ©tales et politiques qu’elles ont cristallisĂ©es.

Sidération et repli national

L’élĂ©ment le plus directement perceptible a Ă©tĂ© l’effet de sidĂ©ration gĂ©nĂ©rĂ© par ces deux phĂ©nomĂšnes, qui prĂ©sentent comme dĂ©nominateur commun d’ĂȘtre insaisissables, invisibles et bien Ă©videmment mortifĂšres. L’anxiĂ©tĂ© engendrĂ©e par l’usage d’une mĂ©decine de guerre dans des Ă©tablissements hospitaliers saturĂ©s et la mobilisation massive des forces de sĂ©curitĂ© Ă  travers l’OpĂ©ration RĂ©silience rapproche encore un peu plus les deux phĂ©nomĂšnes dans l’imaginaire des citoyens. Le parallĂšle est Ă©galement confortĂ© par la rĂ©action prĂ©sidentielle. À l’instar de François Hollande qui avait lancĂ© sa «guerre contre le terrorisme» aprĂšs la vague d’attentats de 2015, Emmanuel Macron n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  parler de «guerre» contre le coronavirus. Usant du terme Ă  six reprises lors de son allocution du 16 mars, le chef de l’exĂ©cutif a, tout comme son prĂ©dĂ©cesseur, sonnĂ© la mobilisation patriotique et enjoint les Français Ă  faire bloc contre l’ennemi.

Comme les violences terroristes, la pandĂ©mie que nous traversons n’a pas manquĂ© de rĂ©veiller les instincts les plus primaires de l’ĂȘtre humain. Si les actions de l’État islamique avaient contribuĂ© Ă  renforcer la stigmatisation des populations de confession musulmane un peu partout sur la planĂšte, le coronavirus a jetĂ© l’opprobre sur des diasporas chinoises prĂ©sentĂ©es comme les propagatrices exclusives de cette calamitĂ©. Nombre d’agressions anti-chinoises ont Ă©tĂ© recensĂ©es en diffĂ©rentes zones du monde. Le prĂ©sident Trump n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  qualifier le Covid-19 de virus chinois. PĂ©ril islamiste et pĂ©ril chinois ont d’une certaine maniĂšre rĂ©activĂ© les vieilles peurs de l’Orient profondĂ©ment enfouies dans l’inconscient occidental, phobies rĂ©actualisĂ©es et popularisĂ©es de maniĂšre savante Ă  travers la thĂ©orie hungtingtonienne du «choc des civilisations» qui faisait des espaces civilisationnels musulmans et chinois la source des futurs conflits internationaux.

Plus inquiĂ©tant, ces rĂ©flexes grĂ©gaires ont trouvĂ© Ă  se manifester dans les relations inter-Ă©tatiques, rĂ©vĂ©lant un peu plus l’ampleur de la crise du multilatĂ©ralisme qui secoue les nations occidentales. ConfrontĂ©s Ă  une pĂ©nurie gĂ©nĂ©ralisĂ©e de matĂ©riel mĂ©dical, certains pays n’ont pas hĂ©sitĂ© Ă  se «confisquer» les prĂ©cieux Ă©quipements. Les autoritĂ©s tchĂšques auraient ainsi interceptĂ© prĂšs de 680 000 masques envoyĂ©s par la Croix-Rouge chinoise aux professionnels italiens tandis que la France a, suite Ă  un dĂ©cret, rĂ©quisitionnĂ© des cargaisons de masques Ă  destination de ses voisins italiens et espagnols. Les Français ont Ă©galement vu leur Ă©chapper une commande de matĂ©riel mĂ©dical achetĂ©e par des AmĂ©ricains sur le tarmac d’un aĂ©roport chinois. Nul doute que cette philosophie du «chacun pour soi et le Covid-19 pour tous» laissera des marques dans une Europe aux principes de solidaritĂ© dĂ©jĂ  bien moribonds.

Conspirationnisme et engagement radical

Sur ce terreau de la peur prospĂšrent les thĂ©ories conspirationnistes et les rumeurs les plus improbables. De mĂȘme que l’État islamique avait Ă©tĂ© assimilĂ© Ă  un artefact occidental (CIA, Mossad…), certaines thĂ©ories circulant sur les rĂ©seaux sociaux ont interprĂ©tĂ© l’émergence du Covid-19 comme l’émanation d’un projet de guerre biologique ou bactĂ©riologique entre AmĂ©ricains et Chinois pour la future domination de l’économie mondiale. 23% des «gilets jaunes» pensaient que l’attentat perpĂ©trĂ© sur le marchĂ© de NoĂ«l de Strasbourg le 11 dĂ©cembre 2018 Ă©tait une manipulation gouvernementale destinĂ©e Ă  affaiblir leur mouvement social tandis que trois AmĂ©ricains sur dix considĂšrent que le coronavirus a Ă©tĂ© fabriquĂ© par des scientifiques chinois afin d’affaisser leur systĂšme Ă©conomique.

Notons toutefois que les registres argumentatifs du complotisme diffĂšrent selon les territoires idĂ©ologiques. Les mouvances d’ultra-droite voient dans cette crise sanitaire une conspiration fomentĂ©e par les Ă©lites du «nouvel ordre mondial», le Zionist Occupation Governement (gouvernement d’occupation sioniste) ou les consĂ©quences indirectes d’une immigration chinoise trop massive.

Aux États-Unis, certains groupuscules suprĂ©matistes ont diffusĂ© des messages de haine dans plusieurs quartiers chinois et appelĂ© Ă  se servir du Covid-19 comme d’une arme biologique contre leurs ennemis (minoritĂ©s ethniques, FBI). Le mĂȘme procĂ©dĂ© a Ă©tĂ© relayĂ© outre-Manche oĂč le British National Socialist Movement a conseillĂ© Ă  ses militants infectĂ©s par le Covid-19 d’aller visiter les synagogues et les mosquĂ©es de leur lieu de rĂ©sidence. Comme le dĂ©montrent de nombreuses Ă©tudes, les moments de crise ont des impacts cognitifs sur les populations. Ces derniĂšres tendent Ă  devenir plus permĂ©ables aux idĂ©es populistes et nationalistes. Les mouvements proches de ces idĂ©ologies souhaitent donc capitaliser au maximum sur cette pĂ©riode d’incertitude afin d’attirer et Ă©ventuellement recruter de nouveaux membres. 

À l’opposĂ© du spectre,les groupes d’ultra-gauche ne sont pas moins dynamiques. Le 1er avril 2020, cinq vĂ©hicules des services pĂ©nitentiaires d’Amiens ont Ă©tĂ© incendiĂ©s et un dĂ©part de feu d’un bĂątiment a Ă©tĂ© constatĂ©. Les activistes ont laissĂ© un slogan anarchiste sur un mur. Au Havre, ville du premier ministre Édouard Philippe, un acte de sabotage a endommagĂ© pas moins d’ 1,5 kilomĂštre de fibre optique. En Allemagne, l’institut Heinrich Hertz de Berlin a Ă©tĂ© incendiĂ© par un groupe d’ultra gauche nommĂ© Vulkan Gruppe. L’institut aurait Ă©tĂ© visĂ© en raison de son projet de crĂ©ation d’une application destinĂ©e Ă  tracer les porteurs du Covid-19. Plusieurs pays Ă©trangers (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas…) recensent le sabotage de dizaines d’antennes 5G faussement accusĂ©s de favoriser la propagation du virus.

Si les activistes d’ultra-droite ciblent principalement des symboles de la technocratie et les minoritĂ©s ethniques, les nĂ©buleuses d’ultra-gauche se mobilisent plus spĂ©cifiquement contre ce qu’elles considĂšrent comme une montĂ©e en puissance d’un État «Big Brother» dĂ©sireux d’imposer de nouvelles contraintes nĂ©o-libĂ©rales ou de dĂ©ployer des dispositifs liberticides afin de mieux contrĂŽler la population.

Au-delĂ  des orientations idĂ©ologiques, les effets sociĂ©taux du Covid-19 semblent gĂ©nĂ©rer un terreau favorable pour des passages Ă  l’action violente. Il n’est pas inutile de rappeler ici que les paradigmes thĂ©oriques les plus citĂ©s sur les processus de radicalisation postulent que le point de dĂ©part se situe toujours dans un Ă©vĂ©nement dĂ©stabilisant ou inattendu (accident, dĂ©cĂšs, crises diverses…). Ce moment de crise va gĂ©nĂ©rer une ouverture cognitive chez l’individu qui va alors dĂ©velopper une plus grande rĂ©ceptivitĂ© Ă  de nouvelles idĂ©es et visions du monde afin de tenter de trouver des rĂ©ponses Ă  ses questionnements.

Les rĂ©ponses radicales ou «clĂ©s en main» apparaissent alors comme des options particuliĂšrement attractives dans le sens oĂč elles fournissent aux individus un cadre analytique souvent simplifiĂ© de la rĂ©alitĂ©. L’identification d’une cible rendue responsable de tous les malaises de la sociĂ©tĂ© (Juifs, musulmans, Chinois, Ă©lites capitalistes, forces de l’ordre…) fournit un espace de sens et un rĂ©confort psychologique Ă  l’individu. L’effervescence sociale suscitĂ©e par la pandĂ©mie est donc susceptible d’ĂȘtre capitalisĂ©e par certains groupuscules afin de polariser les sociĂ©tĂ©s. Polarisation qui peut orienter les sociĂ©tĂ©s vers une rĂ©flexion plus profonde sur les futurs dĂ©fis civilisationnels qui nous attendent ou alimenter des instincts de repli identitaire ou de satisfaction de pulsions de violence.

Par : Elyamine SETTOUL
Source : ESD-CNAM


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