Les dommages transcendantaux

Mis en ligne le 08 Nov 2018

Les dommages que pourraient susciter le changement climatique, les dĂ©gradations de la biosphĂšre mais Ă©galement les techniques transformant les ĂȘtres humains ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des risques, par dĂ©finition limitĂ©s dans leur portĂ©e et indemnisables. Il s’agit de dommages pouvant remettre en cause le dĂ©ploiement des sociĂ©tĂ©s humaines. C’est l’idĂ©e maĂźtresse qui structure cet article et qui invite Ă  s’interroger sur la capacitĂ© d’action comme sur les consĂ©quences de l’utilisation des techniques et technologies humaines.


Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont : Dominique Bourg, Pierre-BenoĂźt Joly et Alain Kaufmann, « Du risque Ă  la menace Penser la catastrophe», Presses Universitaires de France. Collection L’écologie en questions 2013.

Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent ĂȘtre visionnĂ©s sur le site de l’universitĂ© de technologie de Troyes

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Dommages transcendantaux

Les dommages que pourrait susciter le changement climatique, difficilement sĂ©parable des autres dĂ©gradations du systĂšme biosphĂšre, et ceux plutĂŽt immatĂ©riels qui pourraient dĂ©couler de l’essor des anthropotechniques, sont gĂ©nĂ©ralement conçus comme des risques, si nombreux soient-ils. J’essaierai de montrer que le risque ne constitue pas pour les dĂ©gradations de la biosphĂšre une catĂ©gorie adĂ©quate, qu’il est mĂȘme en l’occurrence contre-productif. La raison en est que le risque, notion moderne s’il en est, requiert un double paradigme, individualiste et monĂ©taire. Or, les dommages en question ne sauraient ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s en termes uniquement individuels et monĂ©taires.  Ils concernent en effet nos conditions naturelles d’existence, par dĂ©finition collectives, dont l’altĂ©ration pourrait aller jusqu’à remettre en cause le dĂ©ploiement mĂȘme des sociĂ©tĂ©s humaines, monnaies comprises. Dans ce cas, nous aurions Ă  faire Ă  une forme transcendantale de dommage, situĂ©e sur un plan mĂ©ta, conditionnant notre quotidien dans ces aspects matĂ©riels et relationnels.

La situation est plus complexe en ce qui concerne les anthropotechniques. Certains de leurs dĂ©veloppements pourraient affecter l’idĂ©e que nous nous faisons de notre propre humanitĂ© et concerne Ă©galement une forme de dommage transcendantal ; d’oĂč la place que nous leur accordons ici. Par ailleurs, l’un de problĂšmes majeurs qu’occasionnerait leur dĂ©veloppement est on ne peut plus classique, puisqu’il s’agit de l’intensification des inĂ©galitĂ©s sociales, laquelle non plus ne relĂšve pas Ă  proprement parler d’un risque.

Risques et modernité

Depuis quelques dĂ©cennies, rares sont dĂ©sormais les phĂ©nomĂšnes qui semblent encore pouvoir Ă©chapper au paradigme du risque. La sociĂ©tĂ© du risque d’Ulrich Beck a probablement jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans cette invasion. Or, le risque ne relĂšve pas uniquement d’une approche par le calcul de probabilitĂ©s associant alĂ©a et vulnĂ©rabilitĂ©. Il emporte avec lui un prisme individualiste et monĂ©taire. Il n’a aucun sens en dehors d’une sociĂ©tĂ© individualiste, au sens de Louis Dumont, valorisant l’individu et son parcours Ă©conomique, cherchant Ă  promouvoir juridiquement la libertĂ© et l’enrichissement personnels. Le risque est inhĂ©rent au dĂ©veloppement de la sociĂ©tĂ© moderne, impulsĂ© tant par la philosophie de contrat et les revendications dont elle est porteuse que par l’économie de marchĂ© naissante. Il est solidaire de la construction et de l’essor des sociĂ©tĂ©s libĂ©rales et industrielles. DĂ©s lors Ă©tendre quasi absolument cette catĂ©gorie, c’est probablement le meilleur moyen se s’interdire d’identifier des phĂ©nomĂšnes nouveaux, Ă©chappant Ă  la logique libĂ©rale et individualiste, et surtout la remettant ne serait-ce que partiellement en cause.

Le risque ne peut concerner que des dommages touchant un nombre restreint d’individus, au sens propre ou figurĂ© (des individus physiques, mais Ă©galement une ville ou un pays par opposition Ă  d’autres), et renvoie Ă  une logique d’indemnisation et de compensation monĂ©taire. Qu’il s’agisse de risques commerciaux, maritimes, affĂ©rents Ă  la variĂ©tĂ© des dangers naturels ou au trafic automobile, de risques sociaux (accidents professionnels, malade, retraites), etc., le risque ne peut affecter qu’un ou des individus, qu’une partie d’un groupe considĂ©rĂ©, mais jamais le groupe en tant que tel, ce faute de quoi Ă©videmment les mĂ©canismes de mutualisation et de compensation pĂ©cuniaires ne sauraient fonctionner. Ces mĂ©canismes eux-mĂȘmes seraient par ailleurs privĂ©s de sens si la monnaie n’apparaissait comme une forme d’équivalent absolu. Le risque et les mĂ©canismes qui lui sont associĂ©s ne peuvent donc concerner qu’indirectement la sociĂ©tĂ© en totalitĂ©, donc ni globalement, ni dans ses fondements. Sans assurances et systĂšmes de mutualisation du risque, le volume mĂȘme des activitĂ©s d’une sociĂ©tĂ© donnĂ©e ne pourrait en effet que se rĂ©duire du fait du renoncement des individus Ă  nombre d’activitĂ©s les exposant Ă  des dommages difficilement supportables par des individus privĂ©s de toute espĂšce de filet assuranciel. Si par exemple la proposition de retraitĂ©s croit fortement, si le nombre de chĂŽmeur excĂšde un certain seuil, si donc la part des individus concernĂ©s devient trop importante, les mĂ©canismes associĂ©s au risque deviennent hors-jeu et c’est l’ensemble du systĂšme social qui entre en crise.

En revanche, dans une sociĂ©tĂ© traditionnelle, et holiste, marquĂ©e par de fortes solidaritĂ©s familiales ou claniques, cantonnant des Ă©changes monĂ©taires, leur soustrayant d’importants secteurs, Ă  commencer par la terre, le risque et la logique assurantielle ne sauraient avoir de place. Les individus et les alĂ©as de leur existences connaissent d’autres formes de protection, plus organiques, relevant d’une solidaritĂ© structurelle du groupe. Et dans le cadre de la modernitĂ©, c’est l’État lui-mĂȘme qui ne souscrit pas Ă  une logique assurantielle, prĂ©cisĂ©ment parce qu’il incarne la totalitĂ©.

Certes le mot « risque » peut connaĂźtre des acceptions plus larges, dĂ©passant le sens Ă©voquĂ©. La rĂ©alisation de ces risques en un autre sens englobe alors l’ensemble de la sociĂ©tĂ©. Lorsqu’une sociĂ©tĂ© entre par exemple en guerre ou dans une crise Ă©conomique profonde, voire dans des dynamiques d’effondrement telles que Jared Diamond (2006) a pu les Ă©tudier, c’est l’ensemble de la sociĂ©tĂ© qui est affectĂ© par la rĂ©alisation du risque, mĂȘme si le degrĂ© de souffrance n’est pas Ă©galement rĂ©parti au sein de la population. Le point commun avec le sens premier du mot « risque » est l’idĂ©e d’une rupture violente, d’un avant et d’un aprĂšs dans la vie des individus concernĂ©s. Le risque et sa rĂ©alisation renvoient ainsi derechef Ă  un phĂ©nomĂšne exceptionnel par opposition Ă  un standard plus large. Qu’il s’agisse d’une sociĂ©tĂ© s’effondrant au milieu d’autres qui perdurent, ou de sociĂ©tĂ©s entrant en guerre pour un temps Ă  l’issue duquel elles connaĂźtront de nouveau la paix, le retour ultĂ©rieur Ă  la normalitĂ©, fĂ»t-elle diffĂ©rente de l’ùre ayant prĂ©cĂ©dĂ© la crise, caractĂ©rise ces ruptures. Or, nous le verrons, les dommages matĂ©riels affectant la biosphĂšre pourraient dĂ©finitivement modifier nos conditions d’existence, sans retour possible au statu quo ante.

BiosphÚre et non-pertinence de la catégorie du risque

Il est difficile d’envisager le changement climatique en cours en l’isolant des autres dĂ©gradations du systĂšme biosphĂšre. J’entends ici par biosphĂšre l’enveloppe de viabilitĂ© qui conditionne l’existence mĂȘme de l’humanitĂ©, et qui comporte la biosphĂšre, au sens restreint de l’ensemble des espĂšces vivantes, l’hydrosphĂšre, la pĂ©dosphĂšre, ainsi que les couches superficielles de l’atmosphĂšre et de la lithosphĂšre (McNeill,2010). Or, l’essor exponentiel des activitĂ©s et de la dĂ©mographie humaines depuis les annĂ©es cinquante a profondĂ©ment dĂ©gradĂ© la biosphĂšre. L’essentiel de ces dĂ©gradations renvoie aux neuf domaines suivants : le changement climatique, le taux d’érosion de la biodiversitĂ©, le cycle de l’azote, la dĂ©plĂ©tion de l’ozone stratosphĂ©rique, l’acidification des ocĂ©ans, l’usage de l’eau douce et celui des sols, la quantitĂ© et la qualitĂ© de la pollution chimique et enfin, l’impact des aĂ©rosols atmosphĂ©riques. Pour trois de ces domaines, nous avons d’ores et dĂ©jĂ  dĂ©passĂ© le seuil de dangerosité : le climat ayant le cycle du carbone, l’état de la biodiversitĂ© conditionne la rĂ©silience au changement climatique, lequel pĂšsera lourd Ă  son tour sur le rythme d’érosion des espĂšces, lequel dĂ©pendra encore de l’augmentation du taux d’aciditĂ© des ocĂ©ans, du niveau de pollution des sols, etc.

C’est pourquoi je prĂ©fĂšre Ă©voquer ici un faisceau de dĂ©gradations – un processus bien engagĂ© -, et non telle dĂ©gradation particuliĂšre de la biosphĂšre, le climat ou tout autre paramĂštre.

Il n’est pas ici question de survenue de quelques alĂ©as, mais de mĂ©canismes cyndinogĂšnes en cours, qu’il nous serait possible de rĂ©duire, mais que nous ne cherchons qu’à attĂ©nuer, et que nous pourrions mĂȘme, malheureusement, amplifier, compte tenu de la double inertie, sociale et naturelle, des phĂ©nomĂšnes concernĂ©s (AIE, 2011 ; PNUE, 2012 ;UNEP,2011).Pour autant que poursuivre les processus en cours de dĂ©gradation conduit immanquablement Ă  des dommages pour l’humanitĂ©, il est de toute Ă©vidence inexact de parler de risque. L’enjeu cumulĂ© ultime de ces dĂ©gradations, que l’on retienne l’une ou l’autre de ces deux entrĂ©es principales, le climat ou la biodiversitĂ©, n’est autre que l’atteinte d’un point de basculement Ă  partir duquel les capacitĂ©s d’adaptation du genre humain seraient rĂ©solument dĂ©passĂ©es ; ce qui signifierait notamment une chue de capacitĂ©s mondiales de production alimentaire et, par voie de consĂ©quence, un effondrement des effectifs dĂ©mographiques de l’espĂšce.

Dans un mode de plus 4°C, les limites Ă  l’adaptation humaine sont probablement dĂ©passĂ©es dans de nombreuses parties du monde, alors que celles propre aux systĂšmes naturels sont largement dĂ©passĂ©es dans le monde entier. En consĂ©quence, les services Ă©cosystĂ©miques dont dĂ©pendent les modes de vie humains ne pourraient ĂȘtre prĂ©servĂ©s. MĂȘme si des Ă©tudes ont suggĂ©rĂ© que l’adaptation devrait ĂȘtre possible dans quelques aires pour les systĂšmes humains, de telles Ă©tudes n’ont gĂ©nĂ©ralement pas pris en compte la perte de service Ă©cosystĂ©mique. (Warren,2011)

Si on considĂšre l’entrĂ©e biodiversitĂ© (Barnosky,2012) l’horizon n’est guĂšre plus dĂ©gagé :

Ici nous récapitulons les preuves selon lesquelles des transitions critiques à une échelle planétaire se sont déjà produites au sein de la biosphÚre, quoique rarement, et que désormais les hommes sont en train de provoquer une transition comparable, qui pourrait faire basculer rapidement et de maniÚre irréversible la Terre vers un état jamais expérimenté par le genre humain.

Autrement dit, nous aurions dĂ©sormais le choix vers des difficultĂ©s que nous pourrons encore assumer et des dommages que nous ne serons plus en mesure de supporter. Si tel devait ĂȘtre le cas, nous aurions créé des conditions hautement dĂ©favorables Ă  l’épanouissement du genre humain et ce sans possibilitĂ© de retour au statu quo ante.

Essayons de dĂ©crire l’écoumĂšne qui pourrait nous Ă©choir, pour autant qu’on puisse le faire, en se plaçant dans la pire des hypothĂšses. Commençons par un rappel d’autres paramĂštres, ceux touchant la dĂ©mographie et l’ensemble des ressources. Nous serons probablement neuf milliards aux alentours de 2050 sur une planĂšte qui commence en certaines rĂ©gions Ă  connaĂźtre des problĂšmes de disponibilitĂ© d’eau douce ; une planĂšte qui, si on considĂšre les ressources non conventionnelles, plus difficilement accessibles, connaĂźt encore d’abondantes ressources fossiles ; une planĂšte, dont les ressources minĂ©rales facilement exploitables sont grosso modo en voie d’épuisement, ce qui signifie qu’il conviendra d’aller chercher des minĂ©raux de plus en plus profondĂ©ment, avec souvent un taux de concentration moindre, et donc Ă  grands renforts d’énergie fossile (Bihouix et Guillebon,2010)
L’écoumĂšne sera vouĂ© Ă  un rĂ©trĂ©cissement continu, du fait de la montĂ©e du niveau des mers dont rien ne peut nous assurer la rĂ©gularitĂ©, et en raison du changement du rĂ©gime de pluies. L’intensification des phĂ©nomĂšnes mĂ©tĂ©orologiques extrĂȘmes rendra l’écoumĂšne plus hostile. En cas de basculement des Ă©cosystĂšmes, et d’effondrement des services Ă©cologiques, l’hostilitĂ© accrue pourrait se convertir en impossibilitĂ© radicale, plus ou moins Ă©tendue, d’habiter. Si l’on devait en arriver lĂ , outre l’effondrement dĂ©mographique, c’est l’ensemble de nos institutions – politiques, dĂ©mocratiques, juridiques, Ă©conomiques et financiĂšres – qui s’effondrerait. Et l’on ne saurait non plus parler d’un retour Ă  l’état de nature, parce que l’état en question prĂ©suppose une nature accueillante et source d’abondance qui aurait prĂ©cisĂ©ment disparu. Ce n’est toutefois pas le lieu d’analyser l’absurditĂ© mĂ©taphysique de cette fiction, Ă  l’origine de l’individualisme moderne et de nos problĂšmes actuels au moins pour partie.

Il est clair qu’une pareille situation ne saurait en rien relever du risque. L’enjeu ne se situe pas ici sur le plan des risques, fussent-ils nuclĂ©aires et affĂ©rant Ă  l’exploitation des centrales du mĂȘme nom. Il s’agirait ici de la condition aux possibilitĂ©s mĂȘmes d’épanouissement de l’espĂšce humaine, de la condition au dĂ©veloppement de ses potentialitĂ©s. Il en irait de la disparition de la condition de possibilitĂ© naturelle au dĂ©ploiement des sociĂ©tĂ©s humaines, Ă  savoir l’état actuel de la biosphĂšre. Il n’y a donc pas lĂ  un bien public pareil Ă  d’autres, mais un bien qui conditionne la possibilitĂ© de tous les autres, naturels ou sociaux, public ou privĂ©s. C’est d’ailleurs pourquoi nous parlons d’un dommage transcendantal. Le problĂšme n’est pas ici individuel et aucun individu ne peut Ă©mettre quelque prĂ©tention vis-Ă -vis d’un tel bien public. Ce bien est l’indisponible par excellence (Bourg et Papaux, 2011). Nous sommes ici sur le plan du genre humain en tant que tel, mĂȘme si des sociĂ©tĂ©s et des individus peuvent tirer dans un premier temps des bĂ©nĂ©fices des dĂ©gradations en cours. Par ailleurs, l’approche monĂ©taire et en termes de compensation n’a ici aucun sens. On peut bien envisager de compenser, d’une certaine maniĂšre, la disparition de ses parents pour un enfant, mais il ne saurait y avoir de compensation pour une dĂ©gradation pĂ©renne de ces conditions naturelles d’existence, et a fortiori pour la disparition du genre humain ; ce qui n’a pas totalement Ă©chappĂ© Ă  Beck.

Non seulement la notion de risque est inadĂ©quate, mais encore est elle dangereuse. Elle rabat en premier lieu ce qui conditionne, le transcendantal, sur le plan du conditionnĂ©, des phĂ©nomĂšnes expĂ©rimentĂ©s par le genre humain. En second lieu, l’invasion de la catĂ©gorie du risque maniĂ©e par les techniques de communication jette le doute sur tout, et au premier chef sur les grands enjeux biosphĂ©riques, de sorte que toute vĂ©ritĂ© s’estompe sauf la cĂ©sure vraiment solide, individualiste et monĂ©taire, entre ceux qui possĂšdent et ceux qui ne possĂšdent pas. Et c’est Ă©videmment ce qui se passe dans le climat notamment. (Conway & Oreskes,2010 ; Foucart,2010 ; Huet,2010 ; Godard,2010 ; Decroly, Gemenne et ZaccaĂŻ,2012). Et l’on s’est Ă©videmment empressĂ© d’objecter par exemple Ă  l’étude citĂ©e (Barnosky,2012) sur le basculement des Ă©cosystĂšmes que le scĂ©nario dĂ©crit n’était pas certain, ce qui est juste, dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs, pour le pire comme pour le meilleur. Mais lĂ  n’est prĂ©cisĂ©ment pas le problĂšme : c’est la trajectoire mĂȘme de notre civilisation qui est Ă©minemment problĂ©matique et qui, au-delĂ  de toutes les supputations possibles, nous conduit immanquablement Ă  des dommages globaux.  Le risque fait croire que l’humanitĂ© pourrait s’extraire de l’impasse dans laquelle elle s’enfonce par de petits calculs Ă©conomiques et/ou par quelque deus ex machina technologique.

L’invasion du risque est plus largement un des aspects de la nĂ©olibĂ©ralisation en cours des esprits, dont le trait le plus marquant est l’affaiblissement extraordinaire des États (Klein, 2010). Des États qui sont en voie de marginalisation, l’espace rĂ©servĂ© Ă  la chose publique semblant chaque jour plus Ă©troit. Des États qui ne peuvent plus battre monnaie et deviennent les otages des banques, des agences de notation et donc d’investisseurs privĂ©s. Des États qui n’exercent aucun contrĂŽle sur les entreprises multinationales, qui ont laissĂ© certaines d’entre elles jouir d’un monopole quasi mondial et qui se sont laissĂ© entraĂźner dans un dumping fiscal ruinant les finances publiques. De mĂȘme que nous avons rabattu les États sur le plan des individus et autre agents Ă©conomiques, nous rabattons les enjeux biosphĂ©riques sur le plan des risques.

Quid dans ces conditions du principe de prĂ©caution, dont on prĂ©tend gĂ©nĂ©ralement qu’il concerne notamment les risques environnementaux globaux ? En rĂ©alitĂ©, il est fort Ă  craindre qu’il n’y ait pas grand-chose Ă  attendre en matiĂšre biosphĂ©rique du principe de prĂ©caution. Le principe ne vaut que sur un territoire donnĂ© et a grand peine Ă  s’imposer Ă  l’échelle internationale. Et surtout, le principe ne vaut que lĂ  oĂč le droit peut s’imposer, Ă  savoir, face Ă  un problĂšme circonscrit, un risque prĂ©cisĂ©ment, affĂ©rent Ă  une technique particuliĂšre, ce qui n’est pas le cas avec le carbone et plus gĂ©nĂ©ralement l’ensemble des flux sous-jacents Ă  nos activitĂ©s Ă©conomiques. On ne saurait attendre d’un seul principe de droit positif un changement emportant tout une civilisation, fĂ»t-ce pour en empĂȘcher la dĂ©rive.

Anthropotechniques et dommages transcendantaux

Nous entendons par anthropotechniques des techniques visant Ă  transformer des ĂȘtres humains en intervenant sur leur corps et leur psychisme, voire en leur modifiant sensiblement, mais sans finalitĂ© mĂ©dicale (Goffette,2006, p69). Les problĂšmes sont ici d’une nature tout diffĂ©rente de ceux que l’on vient d’aborder. On peut considĂ©rer un dommage environnemental comme un mal, et comme un bien le fait de l’éviter. En revanche, celui qui recourt Ă  une intervention anthropotechnique cherche un mieux ou Ă  Ă©viter ce qui lui apparaĂźt comme un moindre bien ; il cherche Ă  optimiser ce qui lui apparaĂźt sous-optimal. Et quel que soit au final le choix de l’individu en question, et les interprĂ©tations qui l’inspirent, il n’a pas d’incidence directe sur autrui, mais gĂ©nĂ©ralement une incidence indirecte.

ConsidĂ©rons deux cas de figure trĂšs diffĂ©rents et en premier lieu le cas d’individus dĂ©sirant modifier leur apparence physique, non de façon vestimentaire ou apparentĂ©e, mais en recourant Ă  une ou des anthropotechniques pour par exemple allonger ses jambes ou accroĂźtre sa carrure. Envisageons le cas cocasse d’un dĂ©sir d’oreilles d’élĂ©phant (Freitas, 2007). Comment apprĂ©hender la rĂ©alisation de ce genre de dĂ©sir, de cette volontĂ© d’amĂ©lioration de son apparence physique, non pour la personne en question, mais d’un point de vue social ? Contentons-nous de remarquer qu’il est alors trĂšs difficile de trouver des critĂšres spĂ©cifiques d’apprĂ©ciation, des critĂšres autres que ceux permettant de juger l’apparence effrayante tomberaient sous le chef d’accusation de trouble Ă  l’ordre publique.

Ne pourrait-on pas cependant dĂ©noncer dans ce genre d’opĂ©ration une atteinte Ă  la dignitĂ© humaine ? Ce ne me semble pas pouvoir ĂȘtre le cas car cette notion permet plutĂŽt de protĂ©ger des personnes contre l’agissement nĂ©faste d’autres. On pourrait alors Ă©voquer le cas d’une auto-atteinte Ă  la dignitĂ©, par la personne elle-mĂȘme, sur elle-mĂȘme. Mais attention, cette notion permet aussi de protĂ©ger la dignitĂ© et l’humanitĂ© d’un individu, quelle que soit la situation ou l’apparence qui peuvent lui Ă©choir. On peut Ă  cet Ă©gard Ă©voquer le film ElĂ©phant Man mettant prĂ©cisĂ©ment en scĂšne le regard deshumanisant portĂ© par autrui sur un individu souffrant d’une malformation congĂ©nitale ostentatoire.

ConsidĂ©rons un usage des anthropotechniques qui porterait autrement Ă  consĂ©quences. Qu’adviendrait-il si le scĂ©nario imagĂ© par le gĂ©nĂ©ticien amĂ©ricain Lee Silver (1997) venait Ă  se rĂ©aliser ? On connait la croyance trĂšs rĂ©pandue aux USA selon laquelle nos gĂšnes dĂ©terminent directement nos comportements. D’oĂč la tentation de nombreux parents de doter leur enfant d’un capital gĂ©nĂ©tique amĂ©liorĂ©, via les anthropotechniques, avec une attente de rĂ©sultat tant sur le plan physique que comportemental. On peut supposer que ces parents, qui auront investi, Ă  tous les sens du terme, dans le capital gĂ©nĂ©tique de leur enfant, n’auront qu’une crainte : qu’il s’unisse avec quelqu’un qui n’aurait pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un pareil enrichissement, lequel serait alors complĂštement perdu. Lee Silver propose de rĂ©soudre le problĂšme en suggĂ©rant qu’on intervienne sur les molĂ©cules de liaison entre spermatozoĂŻdes et ovules, de tel sorte que tous les enfants qui auraient bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un enrichissement gĂ©nĂ©tique ne seraient plus interfĂ©conds avec ceux qui n’en auraient pas bĂ©nĂ©ficiĂ©. Le Wasp originaire de la cĂŽte Est et plutĂŽt fortunĂ© ne risquerait plus de connaĂźtre une union fĂ©conde avec une personne au gĂ©nome standard.  La satisfaction de cette demande, rendue possible par la technologie disponible et le marchĂ© aboutirait Ă  une altĂ©ration profonde de notre situation profonde et symbolique. Depuis la disparition de l’homo sapiens neandertalensis, il existe en effet un genre humain avec une seule espĂšce humaine. Avec l’hypothĂšse envisagĂ©e, nous aboutirions, au bout de quelques gĂ©nĂ©rations, Ă  l’existence de deux espĂšces au sein du genre humain. Deux espĂšces dont on peut imaginer qu’elles n’entretiendraient pas nĂ©cessairement des relations harmonieuses. Cet Ă©tat de choses n’affecterait rien moins que l’idĂ©e que nous nous faisons de notre humanitĂ©. Elle nous paraĂźt en effet insĂ©parable de son caractĂšre indivisible et universel. Or, nous nous retrouverions avec deux espĂšces conçues en outre de façon hiĂ©rarchique. Nous sortirions du cercle constituĂ© par l’affirmation de l’unitĂ© du genre humain, sur laquelle reposent les droits humains comme le principe de l’égalitĂ© des citoyens devant la loi. Un hĂ©ritage que l’on peut considĂ©rer comme une forme symbolique et idĂ©elle du bien public. Pour autant ledit bien serait profondĂ©ment altĂ©rĂ©, il y aurait lĂ  un dommage symbolique, touchant un concept clĂ© de notre Ă©difice social. On retrouve ici cette hubris moderne aux yeux de laquelle l’altĂ©ration d’un bien public pour le bĂ©nĂ©fice d’un petit nombre ne semble mĂȘme pas problĂ©matique.

Quoi qu’il en soit, lĂ  encore, il n’est guĂšre loisible de parler de risque. Comme dans le cas de la biosphĂšre, on part d’une situation, l’autorisation d’opĂ©rations anthropotechniques qui conduisent Ă  une altĂ©ration de notre idĂ©e mĂȘme d’humanitĂ©, et Ă  une situation lourde de violences possibles entre les deux espĂšces en question. Il n’est pas question d’alĂ©a, mais d’un dĂ©veloppement d’un Ă©tat de fait dont les consĂ©quences finissent par concerner la sociĂ©tĂ© dans sa globalitĂ©. Toute autre est la situation des oreilles d’élĂ©phant : on reste dans une situation individuelle, et le risque existe bel et bien pour l’individu de ne plus supporter la modification de son apparence ardemment souhaitĂ©e antĂ©rieurement.

Nous avons parlĂ© d’un dommage symbolique, mais est-on fondĂ© Ă  parler ici aussi d’un dommage transcendantal ? Non, pour deux raisons. La premiĂšre est qu’un retour en arriĂšre est possible, il suffirait de rendre les individus du groupe ayant donnĂ© lieu Ă  spĂ©ciation Ă  nouveau interfĂ©conds par les mĂȘmes anthropotechniques. En outre, le bien public en question, d’origine europĂ©enne, n’est pas universellement reconnu comme un bien public.

Poursuivons la rĂ©flexion sur l’intĂ©rĂȘt et les consĂ©quences d’une amĂ©lioration des ĂȘtres humains via les anthropotechniques, en interrogeant quelques-unes des affirmations charriĂ©es par le discours transhumaniste. À des fins problĂ©matiques, je partirai de la diffĂ©rence entre condition et nature humaines, ce qui devrait nous permettre d’aborder Ă  nouveau la question du transcendantal et d’évaluer certaines des prĂ©tentions du transhumanisme et une amĂ©lioration de la condition humaine.

La prĂ©tention cardinale de ce courant de pensĂ©e est celle Ă  une forme non d’immortalitĂ©, mais d’amoralitĂ©, avec un allongement de nos durĂ©es de vie plus ou moins important. Un allongement significatif de l’espĂ©rance de vie moyenne (mais attention les transhumanistes raisonnent en termes d’intervention technique, et donc sur des individus) nous ferait sortir de la nature humaine en ce sens que tous les ĂȘtres humains, mĂȘme dans les conditions optimales, ne sauraient dĂ©passer une certaine durĂ©e de vie, situĂ©e entre un siĂšcle et un siĂšcle et demi. Plus gĂ©nĂ©ralement le vieillissement et la mort constituent un trait commun Ă  toutes espĂšces, un trait systĂ©mique, dĂ©pendant donc d’une grande multiplicitĂ© de facteurs, qu’on ne saurait surmonter en bricolant quelques gĂšnes. Sans quoi, l’évolution aurait dĂ©jĂ  produit quelques mutants immortels (Swynghedauw et Toussaint, 2010). Imaginons toutefois que nous soyons parvenus Ă  allonger notre durĂ©e d’existence de façon significative, aurions-nous pour autant transformĂ© et mĂȘme amĂ©liorĂ© la condition humaine ? Non et pour de multiples raisons. En premier lieu, le trait le plus prĂ©gnant de la condition humaine est notre finitude, laquelle commence par le fait d’ĂȘtre né ; nous pourrions ne pas ĂȘtre nĂ©s, ou ĂȘtre nĂ©s autrement. Ce par rapport Ă  quoi nos techniques n’ont aucune prise. Un autre trait de la finitude qui nous Ă©choit est de devoir choisir, et donc de devoir renoncer Ă  ceux des choix que nous n’avons pas retenus. Compte tenu du coĂ»t des anthropotechniques, nous ne saurions Ă  sept milliards tous en bĂ©nĂ©ficier. Choisir de prolonger la vie de quelques-uns, trĂšs certainement les plus riches, c’est encore accroĂźtre leur degrĂ© de prĂ©lĂšvement sur les ressources et les capacitĂ©s de charge du systĂšme biosphĂšre. Un autre trait de notre finitude est la saveur des premiĂšres fois et la lassitude que finit par susciter Ă  l’impossibilitĂ© oĂč il se trouve de mourir. Nous pourrions lutter contre l’ennui et annulant techniquement notre mĂ©moire, ce qui serait alors une façon de mourir, de mourir en tant que moi insĂ©parable d’un vĂ©cu et d’une mĂ©moire. Force est de constater primo que nous ne saurions sortir de la condition humaine comme nous pourrions Ă©ventuellement nous affranchir de tel aspect particulier de notre cahier des charges physiologique ; secundo, il n’y aurait pas d’amĂ©lioration gĂ©nĂ©rale de la condition humaine, mais au mieux et de façon discutable, une amĂ©lioration partielle de la condition de certains individus, au dĂ©triment de celle d’autres individus.

Certes la diffĂ©rence que nous faisons entre condition et nature humaines est contestable. La diffĂ©rence des sexes est par exemple Ă  la fois une donnĂ©e biologique structurante et un trait tout aussi essentiel Ă  la condition humaine. Il semble bien toutefois que nous approchions avec la condition humaine d’un plan transcendantal auquel, Ă  la diffĂ©rence de celle de la biosphĂšre, il ne nous est pas mĂȘme possible de porter atteinte.

MĂȘme si les anthropotechniques connaissent un nouvel essor, le problĂšme gĂ©nĂ©ral qu’elles posent n’a rien de nouveau, Ă  savoir l’accroissement des inĂ©galitĂ©s. Les anthropotechniques ne devraient pas en effet dĂ©roger Ă  la rĂšgle que semble prĂ©valoir depuis qu’une partie de l’humanitĂ© est parvenue Ă  exploiter technologiquement et significativement les Ă©nergies fossiles : une quĂȘte de la puissance qui ne cesse d’accroĂźtre l’écart entre les plus nantis et les plus dĂ©munis. Comparativement Ă  une hache, par exemple, une tronçonneuse augmente la productivitĂ© du travail d’un facteur allant de 100 Ă  1000. Ce qui nous permet de comprendre qu’avant les annĂ©es 1820, les Ă©carts de richesse matĂ©rielle entre les nations n’aient probablement pas dĂ©passĂ©, ou alors de peu, un rapport de 1 Ă  2 (Bairoch, 1997). Le PIB par habitant atteint au Qatar 85 600$, 79 600$ au Luxembourg et 46 300$ aux USA pour 200$ au Zimbabwe et 400$ au Liberia. Le Qatar est ainsi en moyenne 428 fois plus riche que le Zimbabwe, alors qu’à la fin du XVIIIe siĂšcle, avant l’envolĂ©e de la rĂ©volution industrielle, il aurait Ă©tĂ© impossible de trouver une nation deux fois plus riche qu’une autre. Le prĂ©sent et plus encore l’avenir proche, semblent aux antipodes de l’espĂ©rance des modernes, de Bacon Ă  Hegel aussi bien que Marx : la maĂźtresse technique de la nature leur paraissait receler la promesse d’une reconnaissance universelle des hommes dans leur Ă©gale dignitĂ©. La dialectique hĂ©gĂ©lienne du maĂźtre et de l’esclave, celui-ci finissant par l’emporter grĂące Ă  son travail, cristallisa un temps cette espĂ©rance. Or, cette dynamique est visiblement inopĂ©rante Ă  l’échelle de la planĂšte. Au lieu de la reconnaissance de l’égale dignitĂ© de tous rĂȘvĂ©e par Hegel, l’inĂ©galitĂ© du monde nous conduit Ă  une minoritĂ© de plus en plus performante et riche, dominant une masse peu productive durablement pauvre. On ne voit ni comment ni pourquoi les anthropotechniques Ă©chapperaient Ă  cette dynamique. Et lĂ  encore, il ne s’agit pas Ă  proprement parler d’un risque, mais de l’effet quasi assurĂ© d’une tendance gĂ©nĂ©rale et impĂ©rieuse, qui seule une rĂ©gulation publique extrĂȘmement forte pourrait contrecarrer.

*

Au fondement tant des dĂ©gradations de la biosphĂšre que de la volontĂ© de bouleverser la condition humaine, se trouve la croyance occidentale et moderne en la puissance sans limites de nos technologies. Dans le premier cas, elle nous conduit Ă  parier les conditions naturelles d’existence et mĂȘme la survie du genre humain, et dans le second derechef, pour autant que le transhumanisme contribue Ă  nous dĂ©tourner du souci de notre survie collective.

D’autres, notamment Jean-Baptiste Fressoz et Dominique Pestre, ont cherchĂ© Ă  montrer que la sociĂ©tĂ© du risque ne pouvait caractĂ©riser une seconde modernitĂ© rĂ©flexive, pour autant que la modernitĂ© libĂ©rale et industrielle avait, dĂšs ses origines, cherchĂ© Ă  acculturer les populations Ă  une prise de risques croissante dont elle Ă©tait parfaitement consciente. La vague nĂ©olibĂ©rale, Ă  laquelle ressortit Ă  mes yeux l’inflation de la notion du risque, tend dĂ©sormais Ă  nous faire croire que notre mise en danger absolue n’est qu’un risque, Ă  l’image de ceux que tout bon capitaine d’industrie doit prendre.

NB : Pour les rĂ©fĂ©rences de l’article se rĂ©fĂ©rer Ă  l’ouvrage p124-126


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