Les relations entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) après 2020

Mis en ligne le 19 Mar 2018

Cet article analyse le bilan de l’Accord de partenariat de Cotonou réunissant les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique avec ceux de l’UE. Ce bilan en demi-teinte est le prélude à l’élaboration de recommandations pour préparer la négociation d’un futur accord en 2020. Les auteurs insistent sur l’importance croissante qui devrait être accordée aux organisations régionales pour mieux progresser vers les objectifs de sécurité, de développement et de gouvernance. Ils conseillent en revanche de laisser au second plan le soutien à la consolidation du groupe ACP en tant qu’institution, au vu des limites de son influence face aux grands défis globaux.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont :Tancrède Voituriez, Julie Vaillé, Hélène Vanvolsem, Jean Bossuyt, Les relations entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) après 2020, Issue Brief, n°03/18, IDDRI.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’IDDRI : www.iddri.org


 

 

Les relations entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) après 2020

 

L’Accord de partenariat de Cotonou réunissant les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) et les 28 pays de l’Union européenne (UE) arrive à échéance en 2020. Quelles suites convient-il de lui donner ? Dans sa recommandation au Conseil européen, la Commission européenne (CE) prend acte de son bilan et dessine les grandes lignes d’un nouvel accord. Elle propose de donner plus de poids aux coopérations régionales, tout en conservant dans un socle commun les principes et les priorités partagées par les ACP et l’UE.

Notre analyse de l’Accord, de son bilan et des positions exprimées par différentes parties nous conduit à isoler deux points de compromis stratégiques pour la construction d’un nouveau partenariat, ainsi que deux points de vigilance méritant d’être pris en compte dans la négociation qui s’ouvrira en septembre 2018 au plus tard.

 

Le bilan politique du partenariat UE-ACP en deçà des objectifs

S’il fallait juger des qualités de l’Accord sur le seul texte, on trouverait peu de voix pour en critiquer l’ambition. Il place l’Union européenne et les pays ACP dans une relation contractuelle entre partenaires égaux (Article 2), visant à « promouvoir et accélérer le développement économique, culturel et social des États ACP, contribuer à la paix et à la sécurité et promouvoir un environnement politique stable et démocratique » (Article 1). Le partenariat couvre un champ extrêmement large qui, avec quelque 15 ans d’avance, a anticipé l’Agenda 2030 pour le développement durable, adopté en 2015.

Et pourtant, si l’intention était bonne, les résultats ne sont pas totalement convaincants : aucune des parties n’est en faveur d’un prolongement de l’Accord sous sa forme actuelle.

Dans ses recommandations pour une décision du Conseil autorisant l’ouverture des négociations, la Commission européenne résume son bilan de l’Accord[1]. Des progrès ont été enregistrés dans le dialogue politique au niveau régional et national. L’Accord a accru la coopération sur les questions de sécurité et amorcé une coopération sur les migrations qui allaient se poursuivre au sein du processus de La Valette. Des progrès majeurs sont en outre notés en matière de développement social et humain, ainsi que dans la stabilisation macroéconomique des ACP. Mais la Commission pointe également des lacunes : les objectifs doivent être revus au regard des enjeux et opportunités de la période, et l’architecture institutionnelle révisée afin d’être plus cohérente et plus efficace.

L’étude d’ECDPM (European Centre for Development Policy Management), « the future of ACP-EU relations »[2], nuance ce constat, mettant en avant les limites du partenariat dans sa dimension politique et révélant un engagement politique conjoint limité et un manque de résultats sur les grands sujets liés aux défis globaux. C’est notamment le cas pour la négociation de l’Agenda 2030 pour le développement durable et des objectifs relatifs aux changements climatiques (COP21 et ses suites). Ce sont d’autres coalitions – le groupe Afrique[3], les petits États insulaires, le G77 et les PMA – qui en ont été les acteurs déterminants. Le groupe ACP le reconnaît lui-même : « les chefs d’État et de gouvernement ACP ont reconnu que, tel qu’il est structuré et fonctionne actuellement, le Groupe ACP n’est pas cet acteur efficace sur la scène internationale», alors même que la coopération et l’influence à l’échelle internationale font partie des justifications essentielles de l’engagement des États ACP au titre de l’Accord[4].

La position des pays ACP[5] est critique à l’égard de la manière dont a été conduit le dialogue politique :

« Plusieurs évaluations ont mis en évidence les lacunes du dialogue politique dans le cadre de l’Accord de Cotonou. […] L’observation révèle que les résultats demeurent unilatéraux (…) »[6].

« Le soutien des valeurs communes de respect des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie représentent des avantages précieux du partenariat ACP-UE ; cependant, son accent sur les conflits et la suspension de l’assistance financière aux États ACP peuvent l’obscurcir et détourner son plein potentiel » ajoutent-ils plus loin. Et de conclure sur ce point : « Le Groupe ACP devra veiller […] à tirer et à appliquer les leçons de l’expérience acquise dans le cadre de son dialogue politique et de la coopération au développement afin de soutenir un remaniement complet de l’accord »[7].

Le Groupe ACP voit les préférences commerciales qui leur furent concédées par le GATT puis l’OMC comme un succès dont le mérite rejaillit sur l’Accord . Dans la convention d’origine (Convention de Lomé, signée en 1975), les échanges commerciaux entre l’UE et les ACP prenaient la forme d’accords asymétriques octroyant aux pays ACP un accès privilégié au marché communautaire, sans réciprocité. Les règles de l’OMC ont obligé à revoir ces dispositions. Le choix de l’UE s’est alors porté sur des accords de libre-échange régionaux : les accords de partenariat économique (APE). Les APE n’ont jamais véritablement soulevé l’enthousiasme des pays ACP. Les pays les moins avancés (PMA) y ont vu un intérêt limité en raison de l’accès asymétrique, libre de droits de douane et de quotas, dont ils jouissent en vertu de leur statut « PMA » dans le cadre de l’initiative « tout sauf les armes » de l’UE[8]. Après des négociations laborieuses, le rythme des signatures des APE s’est intensifié à compter de 2014, sans que tous les ACP aient encore accepté de signer les APE. Davantage réclamés par l’UE que par les ACP, les APE ont révélé le caractère dissymétrique du partenariat dans les faits et fragilisé l’unité du Groupe ACP qui tenait ensemble par la poursuite d’un objectif commun – maintenir un accès privilégié au marché européen – aujourd’hui caduc.

 

Les recommandations de la Commission au Conseil

Dans leur communication du 22 novembre 2016, la Commission européenne et le Service européen d’action extérieure proposent un « partenariat politique » renouvelé avec les pays ACP, basé sur une formule hybride combinant un accord chapeau et trois partenariats régionaux distincts[9] avec chacun des composantes A, C et P du groupe[10]). Sur la base de ce document, la Commission a fait paraître le 12 décembre 2017 des « recommandations pour une décision du Conseil autorisant l’ouverture des négociations »[11].

La proposition de la Commission au Conseil est celle d’un Accord en deux parties : le « socle » d’un côté, concernant tous les ACP et précisant les objectifs généraux et principes, les priorités stratégiques partagées, le cadre institutionnel, les moyens de coopération ; des « compacts » régionaux de l’autre, ajoutés sous la forme de protocoles à l’Accord incluant les priorités et objectifs spécifiques aux A, C, et P. Les recommandations précisent que le « centre de gravité de l’Accord se situera au niveau des régions ». Le rôle renforcé des organisations régionales et sous-régionales « devra être reconnu et pris en compte dans le Partenariat ». Celui-ci devra être ouvert à l’adhésion ou à l’implication de pays tiers, afin de renforcer, notamment, la coopération avec le continent africain dans son ensemble (« Africa as one »), tout en permettant les associations bilatérales avec les pays d’Afrique du nord.

La proposition de la Commission est un compromis. Pour certains États membres, la France notamment, le socle joue un rôle fondamental : il définit les valeurs communes, garantit l’existence politique d’un groupe où tous les pays ACP devront être représentés sans distinctions régionales. Le nouveau Partenariat doit, comme le précédent, être juridiquement contraignant. Le risque de chaos institutionnel associé à une approche exclusivement régionale motive la position française, en plus de l’ambition accordée à la promotion des valeurs et à la constitution d’alliance pour affronter les enjeux globaux.

Pour d’autres États membres, l’Allemagne en premier lieu à travers les positions du ministère du Développement et de la Coopération (BMZ), l’avenir de la relation UE-ACP se fera au niveau régional, et prioritairement à travers un partenariat avec l’Afrique continentale. La préférence régionale a été exprimée en diverses occasions, et notamment à travers le « Plan Marshall pour l’Afrique »[12]. Le socle n’est qu’accessoire, tout comme l’est, in fine, l’existence d’un Groupe ACP.

La position du Groupe ACP dessine un pôle d’intérêts et d’ambitions sensiblement différent des deux précédents. Il ne s’agit pas de moderniser et simplifier un Accord, ni de le refonder sur une nouvelle géographie : il s’agit de croître en ambition et en influence.

« Le contexte mondial actuel offre une possibilité unique et, en fait, un impératif clair au Groupe ACP de réaliser la transition depuis son rôle d’organe de regroupement d’intérêts – principalement en ce qui concerne les relations avec l’Union européenne – vers celui d’une organisation active et influente sur la scène internationale » écrit le Groupe[13]. Ce dernier propose en outre une extension des responsabilités et des fonctions du Secrétariat ACP au-delà des relations avec l’UE ; l’Assemblée parlementaire ACP et le Comité des ambassadeurs devront jouer un rôle plus important.

L’issue recherchée est celle d’une sortie par le haut, qui attribue rétrospectivement certaines performances jugées insatisfaisantes du Groupe par le passé à un manque de moyens. Pour sortir de la « lourde dépendance du Groupe ACP à l’égard de l’UE », le Groupe « doit continuer de rechercher des ressources prévisibles et durables afin d’assurer son existence et son futur rôle d’acteur efficace sur la scène internationale »[14], via notamment la création du fonds de dotation, les contributions régulières des États membres du Groupe, le secteur privé.

 

Les points de vigilance durant la négociation

Le compromis de la Commission, préservant une existence au groupe ACP tout en accordant aux nouveaux « compacts » régionaux une place importante dans l’Accord, est utile pour faire progresser la négociation. L’équilibre qu’il propose entre « compacts » d’un côté et socle ACP de l’autre ne doit cependant pas nourrir l’idée que toutes les priorités pourront être poursuivies en même temps et avec le même degré d’importance. Nous en soulignons ici deux, qui constituent des points de vigilance pour la négociation.

Si l’on admet que la géographie politique de la coopération est désormais régionale et sous régionale, comme nous y incite la Commission, la priorité doit être donnée à l’autonomisation institutionnelle et financière des partenaires régionaux. Dans l’esprit de partenariat de Cotonou, et si l’on prend l’exemple du protocole régional UE-Afrique attaché au prochain Accord, l’UE doit urgemment définir le partenaire régional avec lequel elle compte décider des priorités et dispositions spécifiques du partenariat régional, « centre de gravité» du nouvel Accord. Ce ou ces partenaires ne peuvent être le Groupe ACP. En vertu du principe de subsidiarité, celui-ci est de moindre compétence que les partenaires régionaux et sous régionaux – l’Union Africaine et les commissions économiques régionales – pour déterminer les priorités et les modalités d’action. On a ici un premier choix de priorité dans la position de la Commission, dont il est indispensable de tirer les conséquences. Le choix de placer le centre de gravité au niveau des régions oblige à revoir la gouvernance de l’Accord. Il implique de corriger ce qui devrait passer pour une litote dans les recommandations de la Commission : le rôle renforcé des organisations régionales et sous-régionales ne devra pas être simplement « reconnu et pris en compte ». Ce rôle renforcé existe de fait pour ce qui touche aux enjeux de paix, de sécurité ou de migration. Il fait des organisations régionales des parties prenantes à l’Accord, légitimes et requises dès à présent pour sa négociation, sous réserve bien sûr qu’elles en expriment clairement le souhait.

Le second choix de priorité concerne l’importance relative du soutien à apporter par l’UE au groupe ACP en tant qu’institution, par rapport aux autres structures assurant le bon fonctionnement de l’Accord. Il importe ici que l’Accord clarifie un ordre de priorité. Les pays ACP ont l’ambition de faire du Groupe ACP un partenaire prioritaire de l’UE, capable de faire face aux défis globaux (migrations, sécurité, climat, droits de l’homme), et de devenir un allié politique au niveau mondial, doté d’institutions efficaces et de moyens financiers sanctuarisés hors du budget de l’UE, le FED. Cette ambition reste un pari, pour ne pas dire une gageure, si l’on examine les éléments empiriques disponibles. Contre les conclusions des évaluations de son influence diplomatique mentionnées plus haut, le Groupe ACP adopte une position similaire à celle décrite en finance sous le terme « gambling to survive » ou « gambling for resurrection »[15]. En cas de chute des cours boursiers et de détérioration de sa position financière, un investisseur a intérêt à prendre des positions risquées sur les marchés – positions qui, si elles échouent, ne changeront rien à la chute de sa réputation et de ses profits, mais qui si elles réussissent lui permettront de se « refaire ». Ce qui se joue dans le prochain Accord est la disparition à plus ou moins long terme des ACP en tant que Groupe, celui-ci l’a bien compris. Face à ce choix de priorité, notre proposition est la suivante. Dès lors qu’il est démontré que son existence en tant que Groupe n’a pas eu une valeur ajoutée significative dans le règlement des problèmes contemporains, que le bilan du partenariat UE-ACP dans les forums internationaux reste limité et que d’autres cadres concurrents existent désormais, alors l’activité diplomatique du Groupe et sa dotation institutionnelle ne doivent pas être la priorité des négociations pour l’UE.

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