Les priorités du quinquennat pour mettre en oeuvre la transition énergétique

Mis en ligne le 23 Jan 2018

La France entend faire de la lutte contre le changement climatique un instrument clef de son influence internationale. Les ambitions nationales en termes de transition énergétique revêtent donc une dimension double, domestique et diplomatique. Cet article expose six priorités sous forme de recommandations pour accélérer la transition énergétique que les auteurs déclinent et comparent avec celles de nos voisins. Ces recommandations concernent tant les secteurs d’activité, les énergies, la gouvernance nationale et locale, le financement que la nécessaire coordination européenne, gage d’influence internationale.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Nicolas Berghams et Andreas Rüdinger , « Les priorités du quinquennat pour mettre en œuvre la transition énergétique »,  Institut du développement durable et des relations internationales,  octobre 2017

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’IDDRI


 

Les priorités du quinquennat pour mettre en œuvre la transition énergétique

 

 

Le Plan climat dévoilé le 6 juillet 2017 a fixé un cadre ambitieux à l’action de la France pour lutter contre le changement climatique. Au-delà des annonces phares – objectif de neutralité carbone d’ici 2050, fin des ventes de voitures diesel et essence –, il ouvre de nombreux chantiers cruciaux dans le domaine de l’énergie, qui s’inscrivent dans la continuité des objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015[1] et de ses outils de gouvernance, la Stratégie nationale bas-carbone et la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Les enjeux de ces différents chantiers sont de taille, car la mise en œuvre de la transition énergétique reste en grande partie à concrétiser autour de plusieurs défis : renforcer les politiques sectorielles, concrétiser l’objectif d’une transition « juste » et « partagée », mobiliser les financements nécessaires et inscrire la transition énergétique française dans le contexte européen. Ce Policy Brief expose six priorités pour accélérer la transition énergétique française, tirées des enseignements de travaux réalisés récemment ou actuellement en cours à l’Iddri.

 

Engager la massification des rénovations énergétiques

Le secteur du bâtiment représente à lui seul 42 % de l’énergie finale consommée en France. Il est donc au cœur des priorités pour réduire de moitié de la consommation finale d’énergie d’ici 2050. Soutenir la rénovation des bâtiments existants engendre des bénéfices significatifs pour la collectivité et crée des ressources nouvelles pour les budgets publics[2]Ce constat a d’ailleurs été récemment vérifié par une l’étude du collectif « Rénovons », focalisée sur la rénovation des passoires énergétiques. 3. Rüdinger, A. (2013). « La rénovation thermique des bâtiments en France et en Allemagne : ))quels enseignements pour le débat sur la transition énergétique ? » Iddri, Working Papers N°07/2013.)). Pour y parvenir, des objectifs ambitieux de rénovation du parc de logements existants ont été fixés : 500 000 rénovations par an au minimum et la rénovation énergétique de toutes les « passoires énergétiques » en dix ans.
Or, près de 10 millions de logements consomment plus de 330 kWh/m² (étiquettes F et G), ce qui représenterait à eux seuls…1 million de logements par an, bien loin de la dynamique actuelle modeste des rénovations. Selon l’enquête OPEN de l’Ademe, sur un total de 3,5 millions d’opérations, seuls 288 000 rénovations « performantes » ont été achevées en 2014. L’observatoire BBC indique pour sa part qu’au total, 110 000 logements (à 98 % dans l’habitat social) ont atteint le label « BBC rénovation » depuis 2009, soit environ 15 000 logements par an, un rythme stable depuis 2011, mais très loin des objectifs affichés.
Ce ne sont donc pas les objectifs qui font défaut, mais bien la mise en cohérence et le renforcement des leviers politiques (soutien, réglementation, formation), qui permettraient de réellement accélérer la dynamique de rénovation des bâtiments en France. Au-delà des enveloppes financières promises dans le cadre de nouveaux « plans de financement », la question est donc aussi de refondre les dispositifs existants pour améliorer leur efficacité. Comme l’observait une comparaison des dispositifs allemand et français pour la rénovation énergétique des bâtiments produite par l’Iddri[3], celle-ci passe d’abord par la nécessaire harmonisation et simplification des outils existants avec trois priorités :

  • créer un référentiel technique unique pour la réglementation thermique (RT) des bâtiments neufs et existants, duquel découleraient également les exigences d’éligibilité pour les aides financières à la rénovation. L’évolution vers la RT 2020 et la refonte de la réglementation pour les bâtiments existants pourraient fournir prochainement une fenêtre d’opportunité ;
  • uniformiser les aides financières : la complexité des multiples outils de soutien (crédit d’impôt, éco-prêt à taux zéro, aides de l’Agence nationale de l’habitat [ANAH], aides régionales, etc.), répondant à des critères différents, est régulièrement citée comme l’une des faiblesses du dispositif français. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi TECV, Art. 14) prévoit d’ailleurs la nécessité d’étudier le remplacement des soutiens existants par une « aide globale subordonnée à un projet complet de rénovation »[4]
  • encourager les rénovations très performantes, en modulant le niveau d’aide en fonction de la performance énergétique atteinte après travaux, afin de rehausser le niveau d’exigence sur le marché.

La transformation du crédit d’impôt transition énergétique (CITE) en prime immédiatement perceptible étant repoussée à 2019, le fléchage prioritaire des financements vers les passoires énergétiques et la réalisation d’un audit énergétique gratuit pour les ménages précaires sont autant de mesures qui vont dans le bon sens, cependant pour l’instant insuffisantes face aux objectifs visés. Afin d’aller plus loin, il semble essentiel de définir une stratégie globale pour le bâtiment, prenant en compte l’ensemble des enjeux réglementaires, financiers et de structuration de l’offre, qui pourrait se fonder sur deux approches complémentaires. D’une part, l’expérimentation au niveau des Régions, déjà très engagées sur le sujet ; en combinant l’harmonisation des dispositifs réglementaires et incitatifs, inspirée du modèle allemand, et les modèles innovants de tiers-financement initiés par les Régions françaises, la France pourrait favoriser la généralisation des rénovations très ambitieuses. D’autre part, face à la profondeur des changements requis, il semble indispensable d’élaborer une feuille de route détaillant non seulement les objectifs
quantitatifs, mais également l’évolution progressive de la réglementation et des outils de soutien à un horizon de 5 à 10 ans, afin d’inscrire celle-ci dans la durée et de donner à l’ensembles des acteurs concernés la visibilité nécessaire pour anticiper ces transformations.

 

Anticiper et planifier les transformations du système électrique

Les cinq prochaines années seront décisives pour l’évolution du système électrique français. Alors que la consommation d’électricité s’est globalement stabilisée en France et en Europe, la mise en cohérence des transformations envisagées du mix de production constitue aujourd’hui le principal défi : articuler la montée en puissance des énergies renouvelables électriques avec une stratégie claire concernant l’évolution du parc nucléaire historique, dont plus de la moitié des réacteurs devront passer leur 4e visite décennale d’ici 2025, et la fermeture des centrales à charbon. C’est notamment sur cet enjeu que la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) devra apporter des clarifications et des arbitrages. Anticiper ces décisions permettra de mieux préparer la reconversion d’activités et l’accompagnement des territoires et des employés concernés par les fermetures de centrales à charbon et nucléaires. Les contrats de transition écologique annoncés par le Plan climat et dont les contours seront connus lors de la prochaine Conférence des territoires pourraient constituer le cadre adéquat à cet accompagnement, afin d’assurer le caractère « juste » de la transition et, s’ils s’avèrent fructueux, servir de modèle à d’autres reconversions industrielles.
À consommation stable et avec une hausse de la production renouvelable telle que planifiée, aucune prolongation de réacteur n’est en théorie nécessaire avant 2025 pour respecter l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % dans la production d’électricité en France[5]. Pourtant, la prolongation de l’exploitation de certains réacteurs peut s’avérer une option rentable si elle est dimensionnée en fonction de la montée en puissance du parc renouvelable. Il est urgent que les acteurs de la filière électrique[6] définissent dès à présent les orientations permettant d’anticiper et de coordonner les décisions de prolongation et d’arrêt des différents réacteurs. L’absence d’arbitrages pourrait s’avérer très risquée et générer d’importantes surcapacités sur le marché électrique, des investissements échoués (stranded assets) coûteux, ou de nouveaux coup d’arrêts réglementaires préjudiciables au développement des filières industrielles. L’augmentation du solde exportateur national pourrait permettre de créer quelques marges de manœuvre et combiner la hausse des renouvelables avec le maintien d’une production nucléaire élevée. Néanmoins, une stratégie massivement basée sur les exportations est risquée dans le contexte actuel de baisse des prix sur le marché de gros et de surcapacités de production en Europe, et dépendante de la réalisation d’un nombre conséquent d’interconnexions électriques.
Pour le développement des énergies renouvelables (ENR), les premières années du quinquennat constitueront un test important sur la capacité des récentes évolutions réglementaires (dispositifs de soutien, procédures d’autorisation simplifiées, etc.) et des filières industrielles à accroître la dynamique de déploiement pour être en ligne avec les trajectoires visées par la PPE de 2016 : 1,9 GW d’ENR électriques photovoltaïques et éoliennes ont été installées en 2016, contre de 2,9 à 3,6 GW/an nécessaires pour atteindre les objectifs bas et haut fixés pour 2023. Une première priorité devrait être l’allongement du calendrier des appels d’offres pour les projets ENR, au-delà de l’année 2018, de façon à accroître la visibilité pour les filières industrielles et lisser dans le temps les nouvelles installations. Ensuite, des mesures de simplification administrative concernant les énergies en mer, la géothermie et la méthanisation ont été annoncées dans le cadre d’un futur projet de loi[7]. Elles pourraient s’accompagner de mesures supplémentaires visant à fluidifier le développement des projets éoliens terrestres et solaires : par exemple, une révision plus fréquente des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3RENR) pour mieux intégrer l’évolution des gisements ; ou une évolution de la répartition des coûts et responsabilités entre les porteurs de projets et les opérateurs de réseaux afin de renforcer l’incitation à développer des solutions efficaces et innovantes permettant de maximiser la capacité d’accueil du réseau.
Enfin, les prochaines années devraient voir une croissance soutenue de l’autoconsommation électrique après l’établissement du statut juridique pour l’autoconsommation collective en avril 2017 et le lancement d’appels d’offres dédiés pour un volume total de 450 MW sur 3 ans. La réflexion autour de la définition du tarif d’usage des réseaux pour les installations d’autoconsommation (appelé micro-TURPE)[8] pourrait être mise à profit pour amorcer une réflexion d’ensemble sur le financement des réseaux électriques et plus largement le rôle des acteurs du système électrique et les formes de solidarité entre territoires et citoyens dans le domaine de l’énergie.

 

Orienter les transformations de la mobilité vers les objectifs environnementaux

Le quinquennat qui s’ouvre doit engager la transformation du secteur du transport vers l’atteinte des objectifs environnementaux. À ce titre, la priorité annoncée pour la mobilité quotidienne va dans le bon sens, car elle est responsable de la plus grande partie des émissions de CO2 et des polluants locaux. La définition d’une stratégie pour la mobilité propre se base d’abord sur l’identification des leviers de changement dans le domaine de l’aménagement du territoire pour limiter la croissance des besoins de mobilité. Stopper l’artificialisation des sols, rapprocher les secteurs résidentiels des secteurs d’emplois ou repenser la mobilité en construisant des offres diversifiées de mobilité tout en privilégiant les mobilités actives (vélo, marche) sont autant d’axes identifiés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qu’il convient de mettre en œuvre à l’échelle locale en accord avec les spécificités des territoires. La lutte contre la précarité liée à la mobilité, trop souvent un frein à l’emploi, doit aussi être priorisée en garantissant l’accès de tous les individus et territoires à une mobilité propre.
Dans un secteur traversé par les ruptures technologiques (électrification, véhicules autonomes) et d’usage (mobilité partagée), il est essentiel d’agir dès aujourd’hui pour mettre les multiples innovations, souvent portées par les acteurs privés,au diapason de la transition bas carbone. L’avenir n’est pas écrit dans ce domaine, et les politiques publiques peuvent faciliter la convergence entre innovation dans la mobilité et protection de l’environnement dans leurs domaines d’intervention légitimes, par exemple en s’assurant de la bonne articulation entre mobilité partagée et transports collectifs conventionnels. Ensuite, l’annonce de l’interdiction de la vente de véhicules émetteurs de gaz à effet de serre à l’horizon 2040 est venu confirmer que la montée en puissance des véhicules électriques et hybrides est au cœur de la stratégie française de décarbonation du transport. Malgré les déclarations des fabricants relatives à leurs ventes records et à l’augmentation de l’autonomie des modèles proposés, le déploiement des véhicules électriques reste en deçà de la trajectoire visée et devrait être multiplié par six d’ici 2020[9]. Les instruments économiques et réglementaires pour le déploiement devraient prioriser la généralisation de ces véhicules auprès des classes moyennes et populaires, pour lesquelles une offre plus étoffée de véhicules est nécessaire.
Au-delà de la redéfinition des incitations à l’achat (bonus-malus), dont la neutralité pour le budget de l’État devrait être assurée, une réflexion sur l’amélioration des conditions de financement des achats automobiles pourrait être menée pour améliorer l’accès à des véhicules dont le coût à l’achat restera élevé dans un avenir proche. Une remise à plat de la taxation énergétique devra être menée pour limiter les effets redistributifs entre particuliers et les conséquences budgétaires pour les finances publiques de l’État, dont les ressources fiscales reposent encore largement sur la taxation des carburants fossiles. Les pouvoirs publics devront aussi faciliter l’intégration des véhicules électriques dans le système électrique en favorisant l’investissement dans les infrastructures de recharge nécessaires et en fixant le cadre législatif adéquat pour que la recharge des véhicules se fasse aux moments les plus propices pour le réseau électrique.
Malgré l’échec récent de l’écotaxe poids lourds, la question du transport de marchandises devra aussi être reposée, avec comme angles prioritaires le financement des infrastructures par les camions en transit sur le territoire et la logistique urbaine afin de limiter la congestion due à la multiplication des livraisons. Le fret ferroviaire, moribond, pourrait faire l’objet d’une relance orientée vers le renforcement des systèmes d’interopérabilité avec le transport routier (ferroutage). L’impasse actuelle du secteur français n’est pas une fatalité, comme le montre la bonne santé du secteur en Allemagne. Enfin, au niveau international, la France devra adopter une position ambitieuse dans le cadre des négociations internationales de l’Organisation maritime internationale sur les émissions du transport maritime et de l’Organisation de l’aviation civile internationale sur les émissions du transport aérien dont le développement reste très rapide[10], afin que l’aviation se voit attribuer un objectif compatible avec les objectifs multilatéraux de lutte contre le changement climatique.

 

Intégrer les nouveaux modes de gouvernance locale de l’énergie

L’adage d’une « transition par tous et pour tous » a été un marqueur fort du Débat national sur la transition énergétique (DNTE) de 2013, fondé sur la vision d’une gouvernance plus décentralisée et de la possibilité donnée au citoyen d’être acteur de projets sur son territoire. Cette nouvelle vision du citoyen « acteur » plutôt que « consommateur » au sein du système énergétique est également reprise par la Commission européenne dans le paquet « Énergie propre pour tous les Européens », qui met en avant un nouveau rôle des citoyens, à la fois producteurs et consommateurs d’énergie, tout en reconnaissant pour la première fois l’intérêt d’un statut particulier des coopératives locales de l’énergie au sein du marché électrique. Dans le contexte français, la réflexion sur la participation citoyenne à la transition énergétique se focalise principalement sur les projets citoyens et participatifs d’énergies renouvelables et pourrait s’étendre aux projets d’autoconsommation collective. Derrière ces concepts se cache une multitude de modèles, fondés sur la participation plus ou moins forte des citoyens et des acteurs locaux au financement et à la gouvernance des projets, avec plusieurs promesses à la clé : renforcer l’acceptation sociale des projets, accroître les retombées économiques pour le territoire et plus généralement faciliter l’appropriation locale et citoyenne des projets de transition énergétique. Inspirée du retour d’expérience de l’Allemagne, où près de la moitié des projets d’énergies renouvelables ont été développés par les citoyens eux-mêmes, la loi TECV a apporté une série de mesures pour favoriser l’émergence de ce type de projets en France, avec un certain succès : selon une étude récente de l’Ademe, plus de 150 projets citoyens ont déjà vu le jour en France, et l’activité des plateformes numériques de financement participatif en faveur des projets énergétiques connaît une croissance rapide.
Au-delà de ces premiers succès, plusieurs évolutions appellent à l’élaboration d’une réelle stratégie publique en matière de développement et de soutien aux projets citoyens et participatifs.

  • De prime abord, malgré un potentiel considérable, l’engouement français pour ces modèles innovants reste pour l’instant limité en comparaison des développements observés en Allemagne ou au Danemark. Si l’on veut réellement généraliser ces modèles pour favoriser l’appropriation locale des projets, il faut s’en donner les moyens.
  • En second lieu, les évolutions réglementaires récentes tendent à généraliser des formes de participation citoyenne limitées, au détriment des projets fondés sur une réelle gouvernance participative, maîtrisée par les citoyens et les collectivités locales. En effet, la réglementation actuelle privilégie avant tout la participation financière – et minoritaire – des citoyens, facilitée par l’intégration d’un « bonus participatif » dans les appels d’offres pour les projets ENR et le développement des solutions de financement par la foule (crowdfunding) sur des plateformes Internet. À l’inverse, les projets « citoyens » sont confrontées à de nouvelles complexités, concomitantes au passage à des dispositifs de soutien plus concurrentiels (appels d’offres) et intégrés au marché (obligation de commercialisation directe).
  • Enfin, il faut tirer profit de l’expérimentation de nouveaux modèles organisationnels citoyens ou locaux pouvant être valorisés pour la transition énergétique, dans différents domaines, allant de l’autoconsommation solaire à l’organisation de marchés décentralisés de l’énergie via les technologies blockchain ou encore à l’utilisation du crowdsourcing, pour mieux cibler les aménagements publics en fonction des besoins identifiés[11]. Au-delà de ces premiers succès, plusieurs évolutions appellent à l’élaboration d’une réelle stratégie publique en matière de développement et de soutien aux projets citoyens et participatifs.

 

Mobiliser les sources de financement pour la transition énergétique

Qu’il s’agisse de la massification des rénovations thermiques performantes, du développement accéléré des énergies renouvelables ou encore du déploiement de nouvelles solutions de mobilité durable, la transition énergétique représente un défi considérable en termes de mobilisation de sources de financement. L’investissement dans la transition énergétique coûte cher (entre 12 à 33 milliards d’euros d’investissements additionnels par an), mais toujours moins cher que le fait de ne rien faire et de subir les dommages d’un dérèglement climatique incontrôlé et d’une hausse des prix de l’énergie. Au total, elle pourrait engendrer des gains cumulés dont les estimations varient de 300 et 1 000 milliards d’euros d’ici 2050[12].
Le renforcement proposé de la trajectoire de la contribution climat-énergie dans le cadre du projet de loi de finance 2018 – pour atteindre 86,20 euros par tonne de CO2 en 2022 – est un premier pas essentiel pour renforcer l’attractivité des investissements compatibles avec la protection du climat pour les acteurs privés. C’est aussi un signal positif qui s’inscrit dans la droite ligne des préconisations existantes depuis quelques années alors que laFrance figurait, en 2014, parmi les plus mauvais élèves d’Europe en matière de fiscalité écologique.[13].S’agissant d’une orientation à long terme, l’enjeu de mise en œuvre de cette trajectoire ne résidera cependant pas uniquement dans le niveau de coût affiché à long terme, mais aussi dans les mécanismes d’accompagnement permettant de rendre cette trajectoire crédible pour l’ensemble des acteurs économiques.
Mobiliser les financements ne se limite cependant pas à l’adoption de signaux économiques. L’État joue également ici un rôle important et, à ce titre, l’annonce fin septembre 2017 d’un grand plan d’investissement comprenant 20 milliards d’euros dédiés à la transition écologique s’inscrit dans la lignée de ce qui s’est fait depuis dix ans dans le cadre des Programmes d’investissement d’avenir. Pourtant, au-delà du montant de l’enveloppe et de la mobilisation de fonds (publics) additionnels, la question du financement de la transition énergétique est plus délicate qu’il n’y paraît autour de plusieurs enjeux associés à l’intervention publique : fléchage des investissements existants, efficacité des dispositifs d’aide et développement des mécanismes innovants pour réduire les risques et coûts financiers.
À titre d’exemple, en 2011, les investissements pour la rénovation des logements s’élevaient à près de 40 milliards d’euros. Sur ce total, 15 milliards d’euros ont été investis dans des travaux ayant un impact sur la performance énergétique, mais seule une infime partie a servi à des rénovations très performantes du type « bâtiment basse-consommation », dont la montée en puissance est pourtant cruciale pour le respect des objectifs de long terme : décarbonation et réduction de la consommation énergétique. Ceci implique avant tout un meilleur calibrage des outils réglementaires et de soutien pour flécher les financements vers les projets les plus performants et utiles à long terme.
Variable clé pour la viabilité économique des projets de transition énergétique en raison de leur durée de vie et de leur intensité capitalistique, le coût du capital représente un second enjeu majeur. Or celui-ci dépend tout autant de l’ingénierie financière (des mécanismes permettant de lever des fonds à partir de l’épargne nationale, des marchés obligataires ou interbancaires) que des cadres réglementaires et politiques eux-mêmes. Les solutions d’ingénierie financière adaptées vont dépendre du secteur considéré et des enjeux identifiés. Dans certains cas, la mise à disposition de prêts à taux préférentiels, comme pratiquée par la banque publique allemande KfW, peut permettre de massifier les investissements, tout en les rendant moins onéreux. Dans d’autres, une intervention plus ciblée peut être nécessaire pour réduire les risques pris par les porteurs de projets et les investisseurs associés, par exemple par le biais de sociétés de tiers-financement, de fonds de garantie (afin de faciliter l’accès à la dette) ou de fonds d’amorçage en capital-risque pour financer la phase de développement des projets (particulièrement pertinents pour faciliter les projets citoyens d’énergies renouvelables).
Au final, ce ne sont généralement pas les fonds qui manquent : les investisseurs institutionnels, de plus en plus sensibilisés aux risques liés au changement climatique, sont avides de placements à maturité longue et à faibles risques. Les projets de transition énergétique peuvent parfaitement répondre à cette demande, mais sont encore trop souvent considérés comme trop risqués en raison des incertitudes et du manque de lisibilité sur les cadres réglementaires ou de taille trop modeste en l’absence de mécanismes d’agrégation appropriés.

 

Inscrire la transition énergétique française dans le contexte européen et international

Considérant à la fois les interdépendances physiques et économiques des marchés de l’énergie européens et le cadre existant des politiques européennes sur l’énergie et le climat, il apparaît indispensable d’inscrire la stratégie énergétique française dans le contexte plus large de la transition énergétique européenne. Pour cela, un premier pas serait de s’accorder sur un compromis ambitieux relatif aux propositions législatives de la Commission européenne intitulées « Énergie propre pour tous les Européens » publiées à la fin du mois de novembre 2016 et dont les négociations aux Parlement et Conseil européens devraient durer jusqu’en 2018. Ces propositions comprennent des mesures concernant la gouvernance des politiques énergie-climat, la promotion de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables et une réforme des règles du marché électrique qui visent à opérationnaliser les objectifs énergétiques et climatiques de l’UE et à accélérer la transition énergétique en Europe. C’est en réussissant une transition maîtrisée que l’Union européenne pourra renouveler son leadership dans le cadre des cycles de renforcement de l’ambition prévus par l’Accord de Paris sur le climat.
Concernant la gouvernance énergie-climat, l’équilibre des responsabilités entre l’échelle nationale et communautaire constitue le point de friction, les États membres étant de plus en plus soucieux de limiter les interférences de Bruxelles dans la définition de leurs politiques nationales. Une approche pragmatique sur la gouvernance consisterait à circonscrire les recommandations que formulerait la Commission européenne à un nombre limité d’indicateurs de haut niveau relatifs à l’état de la transition énergie-climat des États membres (émissions de CO2, part d’énergies renouvelables ou consommation d’énergie), tout en laissant une large capacité aux États de définir leurs moyens d’atteindre ces objectifs et en préservant l’élaboration de plans énergie-climat transparents et détaillés pour servir de base à la coopération et l’émulation entre les États membres. Définir clairement le cadre européen comme le strict minimum à atteindre, sans être inhibiteur pour les États membres désireux d’aller plus loin volontairement ou au moyen de coalitions d’États ambitieux, favoriserait également l’enclenchement d’un cercle vertueux de l’ambition sur le continent.
Sur la réforme des marchés électriques, la France, comme la plupart des pays européens, a choisi de développer les énergies renouvelables, dont le caractère variable des productions photovoltaïques et éoliennes exige d’adapter le système électrique pour le rendre plus flexible. Ceci suppose de renforcer la valorisation par le système de la flexibilité des moyens de production et de développer les réseaux transfrontaliers d’électricité, le pilotage des consommations électriques et les solutions de stockage de l’électricité. Pour ce faire, les propositions visent à rapprocher le marché de gros du temps réel et d’aligner plus fortement les marchés de court terme au niveau européen pour leur permettre de mieux répondre aux fluctuations des productions des énergies renouvelables. Des modifications sont également proposées pour favoriser le développement des flexibilités au niveau local en phase avec la progression de la décentralisation de la production d’électricité, notamment par la reconnaissance des agrégateurs et des communautés locales de l’énergie. Enfin, ces propositions visent aussi à renforcer la solidarité entre les États membres pour assurer la sécurité d’approvisionnement par une plus grande mise en commun des ressources dans le but de limiter le coût pour le consommateur final.
Idéalement, ces propositions seront adoptées sous leur forme la plus ferme possible. Dans le cas contraire, un affaiblissement du marché unique de l’énergie est possible et la renationalisation des politiques énergétiques qui pourrait s’en suivre serait préjudiciable au consommateur européen, principal bénéficiaire de l’ouverture des marchés de l’énergie, et aux nouveaux acteurs et modèles d’affaires du marché électrique qui comptent sur les économies d’échelles du marché unique pour prospérer. Cette issue s’avèrerait de plus paradoxale, car si les États membres continueront d’avoir des systèmes énergétiques distincts, les défis posés par la transition sont similaires en de nombreux points, notamment concernant l’intégration des énergies renouvelables au système électrique.
Enfin, dans le cadre de la relance du projet européen, la France pourrait chercher à renforcer la coopération dans le domaine de l’énergie avec ses voisins ambitieux, en particulier l’Allemagne, par des initiatives pionnières ouvertes aux autres partenaires européens. L’établissement d’appels d’offre communs pour les projets d’énergies renouvelables et une coopération visant le renforcement de la tarification du CO2 dans le secteur électrique constitueraient une première étape, qui pourrait être étendue à d’autres sujets comme l’établissement d’un fonds commun pour le financement de la transition énergétique ou d’une coopération renforcée dans la définition des stratégies nationales de décarbonation de long terme tenant compte des interactions de systèmes énergétiques interconnectés et respectueuse des intérêts nationaux des États membres.

RÉFÉRENCES

Rüdinger, A. et al. (2017). La transition du système électrique français à l’horizon 2030 – Une analyse exploratoire des enjeux et des trajectoires ». Iddri, Studies N°05/2017.

Bergmans, N. (2017). La demande d’électricité en France : quels enjeux pour la transition énergétique ? Iddri, Studies N°06/2017.

Saujot, M. et al. (2017). Lutter contre la vulnérabilité liée à la mobilité en France. Iddri, Policy Briefs N°07/2017.

Saujot, M. et De Feraudy T. (2017). Une ville plus contributive et durable : crowdsourcing urbain et participation citoyenne numérique. Iddri, Studies N°04/2017.

Sartor, O. et al. (2017). Véhicules électriques en France : un plan de financement à 15 ans pour un déploiement massif. Studies N°08/2017.

Rüdinger, A. (2016). La transition énergétique par tous et pour tous : quel potentiel d’hybridation pour les projets d’énergies renouvelables ? Iddri, Working Papers N°05/2016.

Rüdinger, A. (2016). Éléments d’analyse pour une stratégie de déploiement et d’intégration des énergies renouvelables électriques en France. Iddri, Working Papers N°05/2016.

Rüdinger, A. (2013). La rénovation thermique des bâtiments en France et en Allemagne : quels enseignements pour le débat sur la transition énergétique ? Iddri, Working Papers N°07/2013.

References[+]


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