Les drones au service de la mer : un outil en pleine évolution?

Mis en ligne le 13 Fév 2018

Cet article analyse l’intérêt offert par les drones pour la défense, la sécurité et l’exploitation optimale du domaine maritime. Au-delà des drones aériens, c’est l’ensemble des systèmes inhabités et robotisés dont les potentialités sont évaluées à ces fins. L’auteure explore ainsi les diverses voies que les drones au sens large pourraient ouvrir en environnement maritime.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

                                   Les références originales de ce texte sont : Les drones au service de la mer : un outil en pleine évolution?, Océane Zubeldia, Centre d’études stratégiques de la marine,  n°12, juin 2017

Ce texte ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site du CESM.


Les drones au service de la mer :  un outil en pleine évolution ?

 

Selon le rapport « Blue Growth » de 2012, l’économie maritime de l’Union européenne représente 5,4 millions d’emplois (7 millions en 2020) et une valeur ajoutée brute de près de 500 milliards d’euros par an ; les chiffres pour la France sont de 300 800 emplois directs et 69 milliards d’euros de valeur de production[1]. En raison de sa nature et de ses richesses, l’environnement maritime est l’objet de convoitises et de menaces : appauvrissement des ressources, migration de masse, pollution marine, piraterie, pêche illégale, etc. Avec la prise de conscience croissante des enjeux liés à la mer, la maritimisation de l’espace est de plus en plus prégnante, certaines solutions semblant offertes par de nouveaux moyens : les drones. Pensés comme un outil technologique, de défense et de sécurité, leur utilisation n’est pas l’unique apanage du domaine militaire, mais concerne aussi le domaine civil. On peut parier sur une accélération de leur usage et des applications de plus en plus duales, mais les drones aériens ne sont pas les seules catégories d’appareils auxquelles les marines et les gens de mer portent un intérêt. Les systèmes inhabités de surface et sous-marins, voire les robots, ont également toute leur place. La convergence entre les nanotechnologies, les systèmes de communication et les énergies alternatives semble tout aussi prometteuse.

 

Les drones et l’environnement maritime

Les premières expérimentations d’engins inhabités ont eu lieu sur l’eau. En 1898, l’ingénieur d’origine serbe Nikola Tesla développe un modèle réduit de bateau dirigé par radio et alimenté par batterie électrique, le Teleautomaton. Actuellement, il existe  quatre types de composantes parmi les drones militaires (terre, air, espace et mer), mais une seule retient prioritairement l’attention des débats et de l’actualité : le volet aérien, idéal pour le survol de territoires, en temps de guerre comme de paix. Cette orientation va-t-elle perdurer ou peut-on attendre une rupture, celle du maritime ?  Les océans couvrent 70 % de la surface du globe, assurent 90 % des communications internationales via les câbles sous-marins et le transit de 90 % du commerce mondial.
Pour assurer la sécurité de ces liaisons et l’exploitation des richesses du domaine maritime, le recours à des moyens de surveillance et de protection est indispensable et les drones y trouvent toute leur place. Depuis le renforcement de la surveillance en mer, le partage d’informations, jusqu’aux opérations de recherche et de sauvetage en passant par la lutte contre les agissements criminels, les besoins abondent.

Le milieu marin se caractérisant par un environnement hostile et dimensionnant, il faut pouvoir compter sur des équipements adaptés. La rusticité, mais également la performance et l’intégration avec les autres appareils sont recherchées. Selon un rapport d’information du Sénat sur la défense des frontières maritimes en France : « Le drone ne peut se substituer aux moyens actuels qui restent nécessaires en cas d’intervention,  mais il permet d’élargir le champ visible et ainsi de démultiplier l’efficacité de moyens de  surveillance trop peu nombreux » [2]. La surveillance et la protection des frontières de ces espaces demandent, en effet, le maximum de permanence que les systèmes inhabités, qu’ils soient aérien, de surface ou sous-marin, peuvent apporter.

L’élargissement des domaines d’emploi des technologies dites « opérées à distance » soulève cependant des questions liées au type de mission à réaliser. Du fait de leurs capacités et de l’éventail de possibilités qu’ils offrent, les drones sont aujourd’hui plus particulièrement pensés comme des appareils complémentaires intégrés à un ensemble. Concernant la France, le système de drone aérien pour la marine (SDAM) est en  cours d’expérimentations en vue d’une intégration sur les plates-formes de la Marine dans le courant de l’année 2019, notamment au profit des futures frégates de taille   intermédiaire (FTI) [3]. De son côté, l’US Navy a dévoilé fin 2016 un projet relatif au renouvellement de son architecture de forces sur 30 ans qui intègre une utilisation renforcée de systèmes inhabités capables d’opérer en environnement contesté ou en  combinaison avec les groupes aériens composés de F-35C et de F/A-18[4]. C’est au cours de cette même période 2016 que l’actualité a montré les tensions pouvant naître en mer avec des drones, un navire battant pavillon chinois interceptant un drone sous-marin américain au cours d’une opération en mer de Chine méridionale. Reste que l’utilisation de ce type d’appareil semble devoir se développer du fait d’un champ d’application étendu, dans le domaine militaire comme civil. L’exploitation économique de l’espace maritime est en effet confrontée à des défis extrêmement variés : sécurisation des infrastructures critiques, conséquences du réchauffement climatique, émergence de la cyber menace, tandis que les zones belligènes sont nombreuses et les aires d’instabilité sans limites [5]. Ce contexte requiert  par conséquent une approche opérationnelle duale. De ce point de vue, les drones laissent entrevoir des synergies et des applications multiples. Suivant le type de système  considéré – Unmanned underwater vehicle (UUV), Unmanned surface vehicle (USV), Unmanned aerial vehicle (UAV), etc. –, ils peuvent accomplir des missions très variées :  hydrographie, surveillance, protection et exploration de parcs éoliens ou de platesformes  pétrolières, inspection des ouvrages d’art et réseaux, études scientifiques des cultures marines…

 

Une « économie bleue » des drones

La notion d’« économie bleue » est formulée par un entrepreneur belge, Gunter Pauli, qui fonde sa pensée sur un modèle économique ne produisant ni émissions ni déchets, mais permettant la création d’un écosystème favorable à l’emploi [6]. L’économie maritime défendue par l’Union européenne s’inscrit dans cette même perspective[7]  et, dans le cadre d’Horizon 2020, la Commission européenne subventionne de  nombreux programmes de recherches relatifs aux drones tels que le projet IntCatch,  d’environ 9 millions d’euros, coordonné par l’Université de Vérone (Italie). Associant six universités européennes et quatorze agences publiques et privées, ce programme vise par exemple la préservation du lac de Garde via le développement de drones de surface. Le projet européen MORPH, sous la gestion scientifique de l’Ifremer de la Seyne-sur-Mer et du Centre européen de technologies sous-marines, associe quant à lui 32 chercheurs de cinq pays (Portugal, Allemagne, Espagne, Italie, France). Il va développer dix robots sous-marins pour différentes missions : protection des ports et des barrages, analyse et inspection d’infrastructures industrielles en mer, détection des mines et exploration des ressources marines. Le projet AEROARMS, robot aérien doté de deux bras multi-articulés autonomes, coordonné par l’université de Séville (Espagne), regroupe cinq pays (France, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne) autour  de la réalisation d’un robot ayant la capacité de servir aux tâches d’inspection et d’entretien industriels pour un budget de 5,7 millions d’euros. Dernier exemple enfin, la société française CLS (Collecte Localisation Satellite), filiale du CNES spécialisée en océanographie spatiale, l’Ifremer et Ardian se sont associés avec le fabricant de drones portugais Tekever pour répondre à l’appel d’offres formulé par l’Agence européenne de sécurité maritime (AESM) concernant le développement d’un drone capable de détecter les pollutions maritimes par hydrocarbures[8].

La loi n°2016-816 sur l’« économie bleue » du 20 juin 2016 a pris en compte ce développement attendu de l’économie maritime en introduisant, de manière tout à fait novatrice, la responsabilité due à l’usage des drones maritimes, de surface ou  sous-marins[9]. Jusqu’à présent, aucun cadre législatif ne les prenait en compte bien que leur utilisation en mer nécessite des dispositions spécifiques qui ne peuvent être les mêmes que celles des règles relatives à l’insertion dans la circulation aérienne générale (CAG). Cette loi offre ainsi une forme de reconnaissance aux systèmes inhabités dans l’espace maritime et, d’une certaine façon, illustre leur importance grandissante. Une application de premier ordre dans laquelle les systèmes inhabités pourraient connaître leurs lettres de noblesse est celle de l’exploitation des ressources du sol et du sous-sol marins (réserves d’hydrocarbures, nodules polymétalliques, ressources biologiques ou terres rares). Ces ressources font l’objet de nombreuses convoitises et   suscitent un effort de recherche en vue de leur exploitation ; même si, à ce jour, il n’y a pas encore de maturité technologique suffisante pour une exploitation efficiente, il  semble toutefois que la voie de la robotisation soit en train de s’ouvrir.

 

Vers une robotisation ?

Plus que pour les autres milieux, la question de l’automatisation des systèmes inhabités dans l’environnement maritime se pose. Qu’en est-il en France ? Les systèmes inhabités en milieu marin tendent à s’orienter vers une robotisation qui touche aussi bien les domaines militaire que civil. Le marché de la robotique semble porteur avec des appareils performants, économiquement et techniquement plus accessibles. Cet essor ne doit pas être déconnecté de la généralisation des robots dans les activités de loisirs.

Le tableau[10] ci-après montre toute la dualité de ces appareils et illustre de manière concrète qu’un domaine pousse l’autre en étant source d’innovations. La généralisation de la robotisation pourrait concerner aussi le navire autonome. [11]


Cette opportunité d’emploi entraîne de vifs débats entre les « tenants des robots » et ceux qui souhaitent que l’homme demeure au coeur du processus de décision. S’agit-il de remplacer les hommes par des robots pour leur épargner des tâches dangereuses ou  simplement pénibles comme dans l’industrie ? La robotique maritime va bien plus loin dans la réflexion. Ainsi, les projets relatifs à l’autonomie, au stockage d’énergie et au respect de l’environnement concentrent les efforts de recherche. Une attention toute particulière est portée au transport international, le shipping. L’objectif est de  développer des cargos qui soient autonomes et bénéficient d’un mode de propulsion hybride. La robotique sous-marine ouvre l’accès aux grandes profondeurs et devient
par voie de conséquence un autre axe de développement. Elle permet de réaliser de nouvelles opérations[12]et de réduire les risques humains, par exemple dans la guerre des mines, l’exploration sous-marine ou la cartographie. Ce type de système permet d’acquérir des informations au centimètre près, quand les sonars des bateaux se contentent du mètre et les satellites de 5 kilomètres carrés. Des événements récents – l’exercice militaire Unmanned Warrior[13]. et la mission effectuée pour la recherche du vol MH370 – mettent en lumière l’intérêt stratégique de maîtriser  12. 90 % des fonds marins de la Terre demeurent inexplorés.
Le drone S-100 Camcopter, aussi appelé SERVAL pour Système embarqué de reconnaissance vecteur aérien léger. Ici en essai avec le patrouilleur Adroit.  les profondeurs. Troisième axe de développement : les engins de surface utilisant les énergies renouvelables comme le soleil, la houle ou le vent pour se propulser. Dans un scénario futuriste, on peut imaginer des drones aériens se rechargeant en mer via   des éoliennes. Toutes les voies liées aux nanotechnologies sont aussi prometteuses : des chercheurs de la Case Western Reserve University (CWRU), université privée de
Cleveland spécialisée dans la recherche médicale et l’ingénierie, ont mis au point un robot hybride qui associe muscles biologiques de limace de mer et carapace en   polymère imprimée en 3D.
À l’avenir, les systèmes inhabités seront certainement de réels outils au service de la mer, tant dans les transports d’urgence et de commerce que dans le secours en mer, la guerre des mines ou encore l’hydrographie. Leur généralisation nécessite néanmoins, à ce stade, une plus grande maturité technique et énergétique.

References[+]


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