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ENERGEO 5

Publié le 07-05-2019

la transition Ă©nergĂ©tique bas-carbone en France, dans l’Union europĂ©enne (UE) et dans le monde est aujourd’hui dĂ©ployĂ©e de façon inĂ©gale et Ă  un rythme trop faible pour prĂ©server le climat et la biodiversitĂ©. Les Ă©missions de CO2 poursuivent leur hausse et les engagements des États sont insuffisants : ils placent le monde dans une trajectoire de rĂ©chauffement de + 3 °C. Les efforts pour financer des mesures d’adaptation doivent encore ĂȘtre considĂ©rablement renforcĂ©s.

Les enjeux gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques liĂ©s aux politiques de l’énergie et du climat se complexifient, s’étendent et se renforcent. Aux problĂ©matiques liĂ©es Ă  la sĂ©curitĂ© des approvisionnements en combustibles fossiles qui demeurent aiguĂ«s (Ukraine-Russie, Iran-Arabie Saoudite, dĂ©troits, terrorisme) s’ajoutent dĂ©sormais de nouvelles rivalitĂ©s, desquelles Ă©manent de nouveaux risques voire menaces de nature gĂ©opolitique et gĂ©oĂ©conomique liĂ©s Ă  la transition Ă©nergĂ©tique : autour des mĂ©taux critiques ; autour des technologies, de l’innovation et les chaĂźnes de valeur ; autour de l’accĂšs aux marchĂ©s et du contrĂŽle des actifs ; autour de l’établissement et la diffusion des normes, qui sont instrumentalisĂ©es pour façonner les orientations technologiques et servir des intĂ©rĂȘts industriels ; autour des technologies numĂ©riques et des systĂšmes de pilotage des rĂ©seaux.

La maĂźtrise des chaĂźnes de valeur des technologies bas-carbone est un enjeu de compĂ©titivitĂ©, de dĂ©veloppement Ă©conomique, de souverainetĂ© Ă©nergĂ©tique et de sĂ©curitĂ©. Ces technologies stratĂ©giques de la transition Ă©nergĂ©tiques incluent : le nuclĂ©aire civil, les Ă©oliennes terrestres et marines et leurs aimants, la prochaine gĂ©nĂ©ration de cellules photovoltaĂŻques et les onduleurs, l’automobile avec le vĂ©hicule thermique Ă  haute performance, les batteries, notamment de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, pour la mobilitĂ© et le stockage de l’électricitĂ©, la mobilitĂ© hydrogĂšne pour le ferroviaire, les bus et le fret, les systĂšmes de stockage de l’électricitĂ© via l’hydrogĂšne, les technologies de pilotage intelligent des rĂ©seaux et de la consommation, les technologies de recyclage, ou encore les technologies de protection face aux risques cyber.

La Chine et les États-Unis ont pris une certaine avance : cĂŽtĂ© chinois, c’est principalement le rĂ©sultat d’une volontĂ© Ă©tatique forte s’appuyant sur des entreprises publiques et des chaĂźnes de valeur intĂ©grĂ©es, une capacitĂ© d’investissement et une appĂ©tence au risque inĂ©galĂ©es. CĂŽtĂ© amĂ©ricain, c’est le rĂ©sultat d’une politique de soutien direct et indirect aux acteurs Ă©conomiques et d’un Ă©cosystĂšme d’innovation historiquement trĂšs dĂ©veloppĂ© et efficace. Les entreprises amĂ©ricaines et chinoises procĂšdent Ă©galement Ă  des rachats d’actifs en Europe dans le domaine des technologies bas-carbone. L’UE dispose d’atouts scientifiques et industriels mais ses politiques publiques ont privilĂ©giĂ© le dĂ©membrement de ses groupes pour renforcer la concurrence et ouvrir ses marchĂ©s, au dĂ©triment d’un objectif de leadership technologique.

La France et l’UE ne maĂźtrisent pas l’extraction et l’enrichissement de la plupart des mĂ©taux critiques. Les cellules photovoltaĂŻques sont chinoises, mĂȘme si plus de la moitiĂ© de la chaĂźne de valeur est europĂ©enne et locale. Elles n’ont pas d’avantages sur la technologie de l’éolien onshore, ni sur les batteries de troisiĂšme gĂ©nĂ©ration dont 50 % sont chinoises. En revanche, l’UE dispose d’un avantage sur les onduleurs de panneaux solaires, sur l’éolien offshore posĂ© et flottant et d’un potentiel sur les batteries solides de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration ou les batteries Ă  flux, la possibilitĂ© d’effectuer des percĂ©es dans les nouvelles gĂ©nĂ©rations de cellules photovoltaĂŻques, ou encore le recyclage. Enfin, elle a de solides capacitĂ©s dans le nuclĂ©aire civil, l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, l’hydrogĂšne et dispose d’une importante industrie automobile qui prend lentement le virage de l’électrification, ainsi que de capacitĂ©s cyber. Ces atouts doivent ĂȘtre mis Ă  profit pour construire des filiĂšres industrielles stratĂ©giques, crĂ©er des emplois et de la valeur ajoutĂ©e sur le territoire europĂ©en et Ă©viter une situation de dĂ©pendance technologique.

À l’échelle europĂ©enne, la transition Ă©nergĂ©tique a franchi un palier avec les objectifs 20-20-20 qui sont en passe d’ĂȘtre atteints (sauf pour le niveau des Ă©missions de l’Allemagne pour les secteurs non couverts par le marchĂ© carbone, et en dĂ©pit d’un ralentissement des progrĂšs dans l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique). Des objectifs renforcĂ©s ont Ă©tĂ© fixĂ©s pour 2030 et les discussions s’ouvrent sur les objectifs et la stratĂ©gie 2050. Pour s’inscrire dans une trajectoire de 2 °C et idĂ©alement 1,5 °C, il faut dĂ©sormais accĂ©lĂ©rer et approfondir le processus et ainsi franchir une nouvelle Ă©tape, bien plus difficile et complexe. Il faut des transformations systĂ©miques dans la gouvernance et les politiques publiques, dans les stratĂ©gies des entreprises et les comportements des citoyens. Ces transformations devront aussi susciter un consensus aussi large que possible. En effet, les politiques europĂ©ennes de l’énergie et du climat ont Ă©tĂ© Ă©tablies dans un contexte et pour des objectifs visant l’intĂ©gration des marchĂ©s et la sĂ©curitĂ© des approvisionnements, qui ne correspondent pas Ă  une dĂ©carbonation profonde. Le dĂ©fi sera de les adapter Ă  cette transformation en profondeur.

La France et l’UE sont au seuil d’une phase inĂ©dite dans le processus de dĂ©carbonation qui requiert un travail d’anticipation, un discours de vĂ©ritĂ© et de responsabilitĂ© sur les objectifs, choix technologiques, coĂ»ts et contraintes techniques, opportunitĂ©s et stratĂ©gies de dĂ©carbonation car des dĂ©cisions lourdes et complexes qui engagent l’avenir doivent ĂȘtre prises. MalgrĂ© des divergences de fond sur la question du nuclĂ©aire civil, le tandem franco-allemand a un rĂŽle d’impulsion essentiel Ă  jouer, Ă  la fois dans la gouvernance globale et europĂ©enne de l’énergie, et doit aussi inciter d’autres pays europĂ©ens volontaires Ă  les rejoindre. Les deux pays mĂ©riteraient de faire le pari d’une union franco-allemande du climat qui travaillerait par petits et grands pas, Ă  la fois dans le domaine de la coopĂ©ration entre les deux pays, de l’UE et de la gouvernance mondiale.

À la veille des prochaines Ă©lections europĂ©ennes, un nouveau pacte pour la transition Ă©nergĂ©tique pourrait ĂȘtre Ă©tabli sur la base des recommandations suivantes :

Poursuivre un objectif de neutralitĂ© carbone, ou quasi-neutralitĂ©, Ă  l’horizon 2050 et revoir Ă  la hausse l’engagement actuel de baisse des Ă©missions de – 40 % en 2030, vers – 43 Ă  – 45 %, pour Ă  la fois tenir compte du renforcement des politiques publiques (Paquets Ă©nergie propre et mobilitĂ© notamment) mais aussi envoyer un signal fort lors des prochains sommets sur la gouvernance mondiale du climat en septembre et dĂ©cembre 2019.

AccroĂźtre la capacitĂ© d’expĂ©rimentation des États, des territoires et des villes pour soutenir l’investissement et l’innovation dans les technologies bas-carbone, tout en Ɠuvrant pour des coopĂ©rations renforcĂ©es dans le domaine industriel et rĂ©glementaire. LancĂ©es sur la base du volontariat, ces initiatives pourraient ĂȘtre soutenues et coordonnĂ©es par une Agence europĂ©enne de la transition Ă©nergĂ©tique.

Mettre en Ɠuvre une stratĂ©gie Ă©lectrique commune entre la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne dans un contexte de rĂ©ajustements des mix Ă©lectriques nationaux et de sortie progressive du charbon. Cette analyse des Ă©quilibres de production rĂ©gionaux devra aussi nourrir les rĂ©flexions sur le schĂ©ma d’interconnexion dans un contexte post-Brexit d’une part, et sur l’opportunitĂ© d’un renouvellement du parc nuclĂ©aire existant, d’autre part.

Face aux vulnĂ©rabilitĂ©s liĂ©es aux mĂ©taux critiques, la France et l’UE doivent rĂ©agir en favorisant une relance des activitĂ©s miniĂšres responsables sur leur territoire et en liant leur politique d’aide au dĂ©veloppement Ă  la mise en Ɠuvre de standards environnementaux et sociaux dans le secteur minier, tout en appuyant les initiatives de traçabilitĂ©. CĂŽtĂ© demande, quatre volets doivent ĂȘtre poursuivis conjointement : rĂ©utiliser, recycler, rĂ©duire et rĂ©industrialiser.

Consolider la politique industrielle europĂ©enne pour les technologies bas-carbone, en tirant les leçons de l’expĂ©rience rĂ©cente de l’Alliance europĂ©enne des batteries. En s’appuyant sur un diagnostic solide du niveau de dĂ©pendance technologique actuel et futur et sur un dialogue resserrĂ© avec les acteurs acadĂ©miques et industriels europĂ©ens, l’UE doit mobiliser tous les outils de politiques publiques Ă  disposition (rĂ©glementation et normes, financement, Ă©ducation, filtrage des investissements, etc.) pour amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ©-coĂ»t et hors coĂ»t de l’offre europĂ©enne. Dans le mĂȘme temps, l’UE doit organiser un dialogue franc avec ses partenaires commerciaux pour garantir un accĂšs Ă©quitable aux diffĂ©rents marchĂ©s.

Enfin, accĂ©lĂ©rer les travaux liĂ©s Ă  la taxonomie pour promouvoir le dĂ©veloppement Ă  grande Ă©chelle de la finance verte et responsable et ainsi non seulement inciter Ă  des investissements compatibles avec l’accord de Paris au sein de l’UE, mais aussi dans les pays Ă©mergents.

En complĂ©ment de cette refonte de l’agenda domestique europĂ©en, l’UE doit ajuster sa stratĂ©gie diplomatique et installer un leadership global pour lutter contre le changement climatique. Cela implique d’investir les coopĂ©rations bilatĂ©rales (UE-Chine, UE-Inde, etc.), de lier les accords de libre-Ă©change Ă  la mise en place d’engagements climatiques ambitieux ou, Ă  dĂ©faut, d’évaluer la pertinence d’une taxe carbone aux frontiĂšres de l’UE, de s’appuyer sur les instances de gouvernance mondiale comme le G7 et le G20 pour accroĂźtre les efforts de maĂźtrise des consommations et obtenir un arrĂȘt de l’investissement dans les nouvelles centrales Ă  charbon. De nouvelles alliances doivent ĂȘtre constituĂ©es pour favoriser une transformation durable des villes et un changement d’échelle du processus d’électrification, en Afrique subsaharienne en particulier. La stratĂ©gie de dĂ©carbonation de l’UE doit enfin inclure un accompagnement spĂ©cifique des efforts dĂ©ployĂ©s dans les pays voisins, orientaux et mĂ©diterranĂ©ens, pour Ă©viter la constitution d’un nouveau mur climatique aux frontiĂšres de l’Europe.

Auteur(s) : la transition Ă©nergĂ©tique bas-carbone en France, dans l’Union europĂ©enne (UE) et dans le monde est aujourd’hui dĂ©ployĂ©e de façon inĂ©gale et Ă  un rythme trop faible pour prĂ©server le climat et la biodiversitĂ©. Les Ă©missions de CO2 poursuivent leur hausse et les engagements des États sont insuffisants : ils placent le monde dans une trajectoire […]

Source(s) : CSFRS, IFRI

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